vendredi, décembre 08, 2006

Google s'intéresse à votre santé

Adam Bosworth, transfuge de BEA après avoir été un grand apôtre de XML chez Microsoft, avait rejoint Google en 2004, laissant planer un épais mystère sur les activités qu'il allait développer chez le grand rival de Microsoft. Dans une opération de communication qui semble aussi soigneusement planifiée que le lancement d'un film hollywoodien, quelques pièces du puzzle sont aujourd'hui savamment distillées à la presse, dans les blogs informés et dans des conférences spécialisées.

John Battelle, l'auteur du livre officiel sur l'avènement et la grandeur de Google (« The Search: How Google and Its Rivals Rewrote the Rules of Business and Transformed Our Culture », la recherche/la quête: comment Google et ses rivaux ont récrit les règles du business et transformé notre culture, rien que ça...), l'a repéré le premier. Après une interruption soudaine, aussi longue qu'inexplicable de son blog, Adam Bosworth vient d'y republier un unique billet la semaine dernière dont le contenu soulève quelques interrogations. Dans une page au titre on ne peut plus explicite (Official Google Blog), Adam Bosworth qui s'y exprime donc bien au titre de la société dont il est Vice-Président lève un coin du voile : « [pour les malades] il est incroyablement difficile d'accéder à la bonne information et d'obtenir l'assistance dont ils ont besoin pour prendre les bonnes décisions. Le système de santé n'est pas particulièrement bien organisé pour répondre à ces questions. Je crois que notre industrie peut aider à résoudre ces problèmes et améliorer la situation. ».

Nicholas Carr, auteur quant à lui du fameux « Does IT Matter ? » (L'informatique importe-t-elle vraiment ?), vient de dénicher un nouvel indice : une conférence, organisée par la fondation Markle, qui oeuvre à l'encouragement de l'emploi de l'informatique pour améliorer la vie publique (santé et sécurité publiques en particulier), sous le titre « Connecting Americans to their Health Care ». Dans un « keynote », le même Adam Bosworth y déplore que chaque individu n'ait pas aujourd'hui un dossier personnel lui donnant accès à toute l'information relative à sa propre santé. À l'heure où « l'information file à la vitesse de la lumière sur le Web et Google peut retrouver les réponses pertinentes à n'importe quelle question en moins d'un tiers de seconde » Adam Bosworth fustige un système de santé où le médecin de famille doit attendre le fax ou le document papier avec les résultats du laboratoire d'analyse.

Quoi ? Comment ? Où sont donc les contre-feux français, vaillants remparts des Lumières et défenseurs des exceptions culturelles et autres ? Alerte générale. Comment pourrait-on laisser passer une telle conduite attentatoire au rang du pays qui va consacrer 260 millions d'euros à construire Quaero, le moteur de recherche qui relève le défi de la défense du patrimoine culturel de l'Europe face au Google mondialisant et mercantile ? Car enfin, on lit sur www.sante.gouv.fr (l'URL est claire !) depuis 2004 : « Il n’existe actuellement aucun dispositif permettant aux professionnels de santé de partager l’information médicale d’un patient. Une des grandes mesures de la réforme pour l’Assurance maladie est de favoriser une coordination des soins effective en créant le dossier médical personnel qui permettra un parcours de soins optimal pour toute personne, dans toute la France, pour n'importe quelle situation et à tout moment ». Du Bosworth dans le texte, sauf que lui parle deux ans plus tard ! Et que propose-t-il donc ?

Il s'agirait d'un nouveau service de Google qui associerait à chaque patient (mais « tout bien portant est un malade qui s'ignore » dirait le Dr Knock) une « URL Santé » (Health URL), centralisant sur les serveurs du moteur de recherche toutes les informations du dossier médical du patient. Fondé sur une abondante utilisation de XML pour rendre compatibles et inter-opérables données et fichiers des médecins, des laboratoires d'analyse, des hôpitaux et des cliniques, l'URL Santé individuelle agira également comme portail personnalisé à toutes les informations de santé ramenées par le moteur de recherche, redonnant contrôle d'abord au patient et aux personnes engagées dans les soins à lui porter. L'ordre des priorités est énoncé de manière différente mais les objectifs du DMP et de l'URL Santé sont partagés : optimiser l'économie du système des professionnels de la santé (comprendre : réduire les coûts) et optimiser le parcours de soins aux patients (améliorer la qualité individuelle des soins).

Dans la directive française : « Les données seront centralisées et les dossiers seront hébergés en toute sécurité auprès d'un tiers, un " hébergeur de données de santé à caractère personnel ". Les hébergeurs seront désignés au terme d'un appel d'offres pour leur fiabilité, notamment pour les garanties apportées en matière de confidentialité des données. Ils devront être agréés " hébergeur de données de santé " aux termes du décret correspondant. Vous serez ensuite libre de choisir l'hébergeur de votre choix et pourrez changer d'hébergeur si vous le souhaitez ». Verra-t-on Google demander l'agrément « hébergeur de données de santé » ? Au vu de la tempête déchaînée l'année dernière par Google Print/Google Book Search qui provoqua l'éruption de notre Jeanneney national et catalysa le lancement dudit Quaero, cela n'en prend pas la direction...

À ce sujet une incidente grinçante que je ne peux m'empêcher de faire. On lit dans la presse quotidienne d'hier que lentement mais sûrement, la filiale française du géant américain Amazon numérise des milliers de livres en français pour permettre aux internautes de consulter des extraits d'ouvrages. Elle convainc les éditeurs sans faire de bruit, contrairement à son concurrent Google et vient de franchir un nouveau cap avec les éditeurs français. Amazon.fr a convaincu cinq nouvelles maisons - Les Éditions Eyrolles et de l'Organisation, l'École des Loisirs, Michel Lafon et les Presses de Science Po - de permettre aux internautes d'effectuer des recherches dans le corps même du livre. Comme dit avec tact l'article dans un politiquement correct de rigueur : « Amazon a accepté de coopérer avec les éditeurs français ».

Mais imaginons le scénario de l'URL Santé, après GMail et Office 2.0 vous voilà donc personnellement, authentiquement et confidentiellement logué sur GHealth, Ajax et XML à tous les étages. Combien de temps peut-on imaginer que Google résiste avant de glisser un discret bandeau AdWords et AdSense dans la page d'accueil ? Avez-vous, par exemple, remarqué dans GMail le bandeau supérieur affiché en permanence au-dessus des messages : « Extrait du Web » certes mais aussi « Lien Commercial » ? Ce qu'on accepte dans le courrier électronique serait-il imaginable dans ce GHealth hypothétique ?

Voilà de quoi occuper quelques comités et hautes autorités. Ceci dit, ces révélations organisées peuvent laisser imaginer bien d'autres supputations. Peut-être Adam Bosworth est il simplement en mission commandée de défrichage, chargé de tester les marchés et provoquer une réaction des industriels de la santé qui pourraient s'intéresser à des contrats de partenariats avec Google plutôt que de le voir débarquer sur leurs plates-bandes. C'est ce qui vient de se passer dans le domaine, en pleine controverse politico-médiatique aujourd'hui, de la vidéo en ligne. Google vient de signer un partenariat avec BSkyB en Angleterre aux termes duquel le moteur de recherches met à disposition les outils techniques de gestion et de montage vidéo, hérités de l'acquisition de YouTube, pour le développement de nouveaux services haut-débit sous la marque BSkyB, qui pourrait d'ailleurs concurrencer à terme YouTube. Et ce n'est que le premier d'une série de partenariats avec l'industrie des médias confie Eric Schmidt, le CEO de Google. L'URL Santé comme premier pas vers des partenariats de Google dans l'industrie pharmaceutique ou avec les gestionnaires de la santé publique et autres acteurs privés ?

En tout cas Google ne recule devant aucune ambition !

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