lundi, décembre 31, 2007

Les voeux de Microsoft pour 2008 : meilleurs succès à Steve Jobs et à Eric Schmidt !

Avec un cours de son titre à pratiquement $200 (NASDAQ:AAPL, une capitalisation de près de $175bn !), Apple tire indubitablement les dividendes d'une stratégie industrielle unique par son audace, exécutée par le maître ès-communication Steve Jobs. Et que dire d'un Google, dont un titre (NASDAQ:GOOG) à plus de $700 valorise la société à 220 milliards de dollars ? L'année 2007 fut certainement particulièrement faste aux deux géants de l'informatique et des réseaux. Mais qui donc pourrait en 2008, s'approprier finalement les bénéfices de cet engouement parallèle pour l'iPhone et pour les applications Google ? Et pourquoi pas Microsoft...

Bill Gates est en train de réussir le mouvement périlleux du passage de témoin de fondateur et architecte des technologies du géant de Redmond à une équipe, au premier rang de laquelle Ray Ozzie et Scott Guthrie incarnent une vision bien différente de celle des origines de la firme. (Un voyage que Steve Jobs, considéré plutôt comme le sauveur messianique « en série » de la société qu'il avait fondée il y a plus de trente ans, n'a pas encore entamé, alors que Bill Gates se consacrera dès mi-2008 entièrement à sa fondation caritative.) Ray Ozzie, on s'en souvient, après avoir travaillé pendant quelque temps avec Dan Bricklin sur Visicalc, puis avec Mitch Kapor sur Lotus Symphony, est l'inventeur de Lotus Notes. Il est ensuite fondateur de Groove Networks, ou sa vision du logiciel comme amplificateur de coopération et de collaboration prenait soudain l'ampleur de l'Internet naissant. Microsoft rachetait Groove, dans laquelle il détenait déjà une participation minoritaire, en 2005 et adoubait Ozzie Chief Software Architect l'année suivante. Son « discours inaugural » fin 2005 lançait le concept de « Software plus Services » pour rallier les forces vives de Microsoft à sa propre vision du développement de l'informatique, fomentant ainsi une révolution interne d'ampleur comparable à celle de 1995 lorsque, dix ans auparavant, le trublion Netscape éveillait le géant endormi de Redmond au phénomène du Web. Scott Guthrie est quant à lui l'inventeur de la nouvelle architecture ASP.NET des produits serveur de Microsoft avec Mark Anders : il est, depuis 1997, à l'origine de la Common Runtime Library, et d'ASP.NET ainsi que des développements des outils et des serveurs d'applications Web de Microsoft ; autant dire au cœur de la stratégie de développement et de déploiement des produits phares la compagnie.

C'est dans le contexte de cette transition que cette révolution interne appelée des vœux de la nouvelle équipe manquait de capoter. Qui se souvient de HailStorm, annoncé en 2001, « un ensemble de services en ligne d'infrastructure, moteur du développement de .NET, pour permettre aux programmeurs de créer de nouveaux services XML pour les consommateurs et les utilisateurs en entreprise avec un niveau de personnalisation et de portabilité d'un terminal à un autre encore jamais atteint » ? Erreur de casting : c'est bien plutôt Google qui semble aujourd'hui près de réaliser cette ambitieuse profession de foi ! Quant à l'iPhone d'Apple, un million d'appareils vendu en 3 mois, ne s'annonce-t-il pas comme la revanche du Tablet PC, un million vendus aussi mais en trois ans (2002-2005) ? Google et Apple démontrent ainsi brillamment la validité de la stratégie incarnée par l'école des « modernes » de Microsoft emmenée par Ozzie et Guthrie.

Entre-temps, Microsoft a mis au point Silverlight, une bibliothèque runtime quasiment universelle fonctionnant sur pratiquement tous les terminaux connectés et connectables au Web, une architecture ASP.NET de serveur fusionnant Web et serveurs d'entreprise, une nouvelle génération d'outils de développement ultrasophistiquée pour instrumenter des développeurs entretenus dans l'avidité de « features » par un marketing sans faille, et s'est équipée de datacenters colossaux, du débit et de la bande passante, ainsi que de capacité de stockage dont la combinaison abolit complètement la distinction entre service distant et service local, exécution de l'application localement (dans le navigateur ou sur le desktop) et exécution distante. Lorsque ces frontières, qui, à la réflexion, ont depuis l'origine de la micro-informatique encadré son usage, deviennent invisibles à l'utilisateur final, ce modèle d'architecture informatique virtuelle ne peut plus être arrêté dans son élan. Quel utilisateur se soucie de savoir si c'est Flash ou Silverlight qui fait tourner son application favorite ? Quel utilisateur s'interroge plus d'une seconde sur la localisation exacte de l'exécution de son application « on-demand » préférée, vite devenue indispensable ?

Malgré les débats actuels sur les temps de latence et le haut débit, qui seront n'en doutons pas transitoires - le Minitel, disait-on naguère, grand frein de la progression du Web en France ! - l'iPhone en est déjà pratiquement à ce stade d'ubiquité. La nature en ligne et à la demande des interfaces utilisateur triomphe toujours, à la fin, des modèles fondés seulement sur l'accès. Le succès de l'iPhone engage par exemple Google à porter rapidement ses quasi-applications d'entreprise sur la nouvelle plateforme ; ce faisant Google renforce le bloc Safari/Firefox/Opera au détriment d'Internet Explorer, ce qui encourage les nombreux services Web comme Facebook à s'activer prioritairement à offrir des ports d'entrée au nouveau terminal d'Apple ; ce qui entraîne l'émergence progressive d'une fédération de services contrôlés par les utilisateurs eux-mêmes (e.g. OpenSocial de Google) qui constitue, au final, un contournement efficace du blocage éventuel des sites sociaux et des quasi-applications d'entreprise par l'informatique technique.

Ces mouvements déjà sensibles dans l'industrie sont des alliés puissants dans la confrontation entre les « anciens » et les « modernes » chez Microsoft. S'il reste incontestable que les revenus de Windows et d'Office alimentent toujours l'argumentaire de la ligne du parti, protéger à tout prix la forteresse Office, le temps joue néanmoins en faveur de la vision d'Ozzie et alia chez l'éditeur. Car enfin, si Office est devenue un tel point d'ancrage de Microsoft dans l'entreprise c'est bien aussi le résultat, partiellement au moins, d'une stratégie de contournement habilement concoctée dans les années 1990 contre des départements informatiques vétilleux devant l'envahissante micro. Windows 95, Windows for Workgroups et Office 97 ont joué le rôle d'un cheval de Troie pour les applications de productivité et les applications d'entreprises de Microsoft - celles-là même que la virtualisation Web à-tout-va place aujourd'hui devant le dilemme de se réinventer ou de disparaître. Par ailleurs, l'adoption par les entreprises du dernier né de Microsoft, Windows Vista, serait loin d'être un long fleuve tranquille. Certains décideurs auraient même décidé de remettre en cause leur programme initial de migration, selon une étude du cabinet Forrester Research parue en juin dernier. Ce qui réduit d'autant les chances de rééditer le même stratagème dix ans plus tard.

Dans le même temps, Microsoft s'essaye à de nouveaux services, au nez et à la barbe de Google : HealthVault, lancé en octobre, par exemple, est un nouveau site en version bêta destiné aux particuliers qui souhaiteraient gérer et stocker leur dossier médical personnel en ligne. Tandis que Google pré-lance en décembre une nouvelle interface dédiée à l'iPhone, il s'intéresse aussi aux autres plateformes mobiles avec Android qui inclut un système d’exploitation, une interface utilisateur et des applications. Toutes ces annonces, publiées à un rythme de plus en plus rapide, confortent plus encore la stratégie « Software plus Services ».

Contrairement à ce que laisse entendre le département de relations publiques de Google, il ne s'agit donc probablement pas d'un combat entre Microsoft et Google sur le terrain des applications d'entreprise et de productivité, un secteur où Google est loin d'avoir le succès financier escompté - son modèle reste bien, à ce stade, celui de revenus publicitaires en ligne alimentés par le moteur de recherches -, mais bien de l'ascendant d'une vision sur une autre à l'intérieur même de Microsoft. Et venant de l'acteur qui est déjà, depuis des années, dans une position dominante précisément sur ces secteurs on peut logiquement s'attendre à un retour en force de celui, en l'état actuel, qui est le mieux équipé pour rafler la mise.

mercredi, décembre 12, 2007

Pour un Grenelle de l'aménagement durable du Web

La présentation de Jason Calacanis, ce matin à la conférence Le Web 3 à Paris, fut volontairement polémique. La polémique, on le sait, ne fait pas peur à l'organisateur de cette conférence, Loïc Le Meur, qui, l'année dernière avait invité sans prévenir les candidats à l'élection présidentielle à cette même conférence, déclenchant aussitôt une tempête de critiques dans la blogosphère qui vit d'un très mauvais œil l'intrusion de la politique la plus « politicienne » dans leurs retranchements technobsessionels. (Je m'étonne qu'il n'ait pas profité de cette semaine déjà fertile en controverses pour y inviter le colonel Khadafi à plancher sur la liberté du Web en Lybie : succès assuré !)

Calacanis est un « serial entrepreneur » aux opinions tranchées. Au plus fort de la bulle Internet il avait lancé avec succès la newsletter Silicon Alley Reporter - qui devait disparaître en 2001 dans la débâcle Internet du début de siècle - avant de créer Weblogs, racheté en 2005 par AOL, puis de lancer il y a quelque mois Mahalo. Ce matin il ne faisait pas bon se trouver dans le collimateur de Jason Calacanis ! Car, dans son élocution inimitable où les phrases se précipitent hors de la bouche plus rapidement même qu'il ne faut pour les prononcer, il s'en prit violemment à ceux qui, dit-il, « polluent » le Web. « Nous sommes en train de détruire le Web !» prophétise-t-il en laissant subrepticement et parfois sournoisement le spam détourner et envahir les formidables outils de communication que le Web a permis de mettre en place.

Le premier exemple choisi pour illustrer son propos est usenet, un des premiers, si ce n'est le premier, forum de discussions apparu à la fin des années 70 sur ce qui devait devenir l'épine dorsale du réseau Internet dix ans plus tard. Ne servant pratiquement plus que du spam, dit Calcanis, et des messages racoleurs destinés à appâter l'éventuel internaute non encore averti des risques graves que le « phishing » et autres vols d'identité numérique font courir à ses cartes de crédit, usenet, tombé en désuétude, sombre sous le poids même du détournement des intérêts collectifs et sociaux qui présidèrent à sa conception à l'origine. Outre que la concurrence du Web depuis 2000 et plus récemment des moteurs de recherche, qui offrent tous des « groupes » à la fonctionnalité plus ou moins équivalente, des blogs et des wikis a certainement joué un rôle au moins aussi important dans l'obsolescence de usenet, la confiscation insidieuse d'une plate-forme numérique de communication, généraliste, ouverte et « libertaire » montre, en effet, l'autre face de ce qu'on appelle aujourd'hui dans la terminologie moderne, les réseaux sociaux ou le graphe social.

Poursuivant sa démonstration, vouant aux gémonies un certain nombre de sites comme PayPerPost.com - avec attaque ad hominem en règle contre son fondateur Ted Murphy, affiché pleine page sur la diapositive avec des qualificatifs assez imaginatifs - dont le modèle est de permettre aux marques de rémunérer des bloggers pour faire leur éloge dans leurs publications personnelles, Calacanis veut attirer notre attention critique sur la facilité avec laquelle ces détournements sont facilités, involontairement ou hélas ! volontairement, par les promoteurs mêmes de ces plateformes. Articles diffamatoires sur Wikipedia, spam ou contenu stipendié dans le résultat des moteurs de recherche, fausses identités sur Facebook, les exemples se multiplient avec le développement rapide des outils et des plateformes « communautaires ». Et, plus que le « freerider » qui dans le jargon de l'économiste désigne celui qui bénéficie du bien commun sans y contribuer - « l'externalité positive », si vous voulez briller dans les blogs - ceux que Calacanis vilipende sont ceux qui détournent l'intérêt collectif à leur profit individuel.

En revanche, la cure proposée par Calacanis est peut-être pire que le mal qu'elle prétend soigner. Selon lui, il faudrait diminuer, pour certaines plateformes ou certains services, le niveau d'anonymat et exercer un contrôle plus strict à l'inscription et au login des utilisateurs. À ce sujet il cite l'exemple de Angie's List, un site où les utilisateurs s'abonnent pour quelques dollars par mois afin de lire et de poster des revues et des opinions sur les commerces locaux. Le fait de payer un abonnement devrait, d'après lui, assurer que le risque de détournement est moindre. (Ceci dit, il me semble qu'à moins d'avoir d'inquiétants moyens de coercition le site ne pourrait empêcher le fournisseur de service mal intentionné de se créer un compte à titre individuel et de l'utiliser pour tresser les louanges de son propre commerce sous l'apparence du consommateur indépendant.)

Et que dire lorsque le détournement est mis en place volontairement pour servir les intérêts politiques d'un gouvernement, comme généralement on le pense de la Chine et de quelques autres pays ? Ou encore ceux d'une corporation particulière : on pense aux débats qui agitèrent la Commission Olivennes. (Dialogue qui a l'air de s'envenimer singulièrement : Olivier Bomsel, économiste de renom et membre de ce noble aréopage, s'est récemment emporté devant la vivacité des réactions déclenchées par ce rapport et traité publiquement l'UFC-Que choisir de « secte de charlatans » ! Ceci dit, c'est assez peu surprenant de la part de l'auteur de « La gratuité c'est le vol ! » chez Grasset.)

Quoiqu'il en soit, le « Greenpeace du Web » qui viserait à le dépolluer et inciter ceux qui publient à le faire dans le respect (« Vigilance et propreté » comme on le lit sur toutes les poubelles de Paris) de son écologie menacée, attend son Al Gore. Avis aux bonnes volontés...

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