mardi, octobre 28, 2008

France Numérique 2012 : serious gaming

Le moins que l'on puisse dire c'est que la priorité légitime accordée à la gestion de la crise financière fait passer au second rang nombre des initiatives imaginées naguère en des temps plus favorables ! Si les trois cent et quelques propositions du fameux rapport Attali de la Commission pour la Libération de la Croissance Française ne semblent plus d'une actualité brûlante, le non moins attendu plan de développement de l'économie numérique, « France Numérique 2012 », concocté par Eric Besson, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la Prospective et de l'évaluation des politiques publiques, a également fait les frais de l'imbroglio financier planétaire. Son annonce a d'abord été retardée, au grand regret de Pierre Faure qui animait le 14 octobre dernier la Journée « TIC et PME 2010 », au centre de conférences Pierre Mendès France à Bercy, et qui pensait pouvoir y réserver la primeur de ses commentaires.

Seconde déception le même matin, Luc Chatel, secrétaire d’Etat chargé de l’Industrie et de la Consommation, auprès de la ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, et porte-parole du Gouvernement, qui devait ouvrir les débats sur le « numérique au service de la compétitivité » — des PME françaises, en particulier — se faisait remplacer — admirablement d'ailleurs — par Luc Rousseau, directeur général des Entreprises au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Emploi, qui nous rassurait sur l'importance du sujet pour le secrétaire d'Etat, retenu le matin même par un coup de fil du Président qui exigeait toutes affaires cessante sa présence à ses côtés pour parer à la tempête financière.

Cela devait devenir une habitude. À peine dix jours plus tard, la conférence Europe Innova pour « accélérer l'innovation en Europe » faisait un retour triomphal sur le territoire en s'installant pour 48 heures à Lyon. Elle réunissait tout le Gotha des administrations et pouvoirs publics européens s’affairant aux politiques publiques d'encouragement et d'accompagnement de l'innovation. Au moment où Luc Chatel, secrétaire d'Etat, etc. devait ouvrir la conférence, Luc Rousseau, doublure maintenant attitrée, prenait place au pupitre et nous rassurait sur l'importance du sujet du jour pour le secrétaire d'Etat, retenu — cette fois, la veille tard — par un coup de fil du Président qui exigeait toutes affaires cessantes, etc.

Le « numérique » passerait-il donc à l'arrière plan des préoccupations des imaginatifs bâtisseurs de politiques publiques dont l'appétit légiférateur est réputé insatiable ? Pas du tout ! Dans l'introduction, France Numérique 2012, rendu public entre temps — en l'absence, cependant, du Président, timonier proclamé du vaisseau (fantôme) « Capitalisme mondial » pris dans les vagues scélérates, etc. — donne tout de suite le ton :

  • « L'économie numérique est le principal facteur de gain de compétitivité des économies développées. » C'est ici l'idée maîtresse des politiques publiques européennes en faveur de l'innovation, exprimées d’ailleurs sous de multiples formes à Europe Innova : plus de numérique permettrait de rendre l'économie des pays, Européens en particulier, plus concurrentielle — sous-entendu contre les USA et, surtout, les pays émergents de la zone Asie.
  • « Les emplois de l'économie numérique sont peu délocalisables » y est-il affirmé. C'est on ne peut plus clair : plus de numérique c'est plus d'emplois et moins de délocalisation dans ces repoussoirs économiques que l'on qualifie avec hauteur de « pays à bas coûts ».

Au plan des petites et moyennes entreprises, les messages des diverses administrations européennes à Europe Innova et ceux des pouvoirs publics, hôtes de la journée TIC et PME 2010, sont parfaitement alignés. Le numérique et les TIC sont l'avenir (radieux) des PME (relire Alexandre Zinoviev !) ; seul le surcroît de compétitivité qu'amène indubitablement le numérique leur permettra de devenir ces fameuses « gazelles » dont toute l'Europe s'accorde à dire qu'elles nous font tant défaut que notre économie et nos emplois restent désespérément à la traîne mondiale. La France est cependant à la pointe de l’innovation grâce à nos fameux 71 pôles de compétitivité. D'ailleurs leur premier bilan, présenté opportunément quelques jours avant, début octobre, donne toute satisfaction. Que l'on en juge :

« Le 1er octobre 2008 s’est tenue à Bercy la 4ème journée d’information et d’échanges entre les pôles de compétitivité, l’Etat, les collectivités locales. Cette manifestation a été l’occasion de présenter la 2nde phase de la politique des pôles de compétitivité (pôles 2.0). Parmi les priorités à mettre en oeuvre figurent notamment la nécessité d’établir une feuille de route stratégique, d’amplifier l’accompagnement des PME dans leur croissance et d’établir une meilleure collaboration entre les acteurs permettant la mise en place d’un écosystème favorisant l’innovation et la compétitivité. » (En Novlangue dans le texte.)

Notons le néologisme des « pôles 2.0 », qui cède à la mode pourtant plutôt déclinante du « Web 2.0 », et la mention, comme à Europe Innova, de leur transformation en « clusters » —le Novterme sous lequel nous souhaiterions exporter en Europe, via une bien volontariste politique des clusters, la vision hexagonale d'une Innovation Décrétée, nouvel habit des intérêts régionalistes de tous bords. Il apparaît que dans la « phase 2 » qui bée devant nous, les pôles réfléchiront à leur business plan et mettront en place leur stratégie — qu'ont ils donc bien pu faire durant la phase 1 ? Ce business plan est évidemment indispensable si les pôles veulent bénéficier de la manne résultant de la « mobilisation renforcée de la Caisse des dépôts et consignations », décidément singulièrement ponctionnée les semaines passant, puisqu'elle est appelée à constituer aussi le Fonds stratégique d'investissement national, fonds souverain à la française, dernier rempart du patriotisme économique contre les sangs impurs qui menaceraient de s'emparer du savoir-faire et de l'innovation nationale. (Pour le reste, même Mme Lagarde déclarait n'avoir que peu de précisions à fournir : « Je ne peux pas vous donner de chiffre parce qu'on n'a pas de chiffre précis », a-t-elle dit. « Cela n'a pas de sens d'annoncer un montant. C'est prématuré », déclarait-on à l'Elysée, ajoutant qu'il fallait d'abord « bâtir le fonds, sa gouvernance, définir les critères d'éligibilité pour les entreprises ». Nous voilà rassurés, les administrations ne manqueront pas d'ouvrage.)

Jean-Pierre Corniou, président de l'instance de coordination TIC et PME 2010 et MEDEF, insistait donc avec raison sur le numérique comme instrument du développement de l'économie nationale dans ses filières et dans ses territoires, évoquant la vision irénique de la réconciliation de l'aménagement du territoire, d'une politique de l'emploi terrassant le monstre délocalisateur, de standards numériques au service des utilisateurs et, bien sûr, ingrédient indispensable par les temps qui menacent, de l'épanouissement du développement durable.

Ces invocations parfois lyriques, ces jeux de scènes digne d'un Amphytrion moderne, ces dérobades et substitutions autour d'un discours cathartique convenu sur la compétitivité et le développement économique des PME appuyées sur l'innovation, les amalgames perpétuels entre recherche publique, privée, innovation et applications industrielles font aujourd'hui complètement disparaître le numérique derrière la seule théâtralité du discours sur le numérique. Pour plagier Taguieff, nous assistons au spectacle de « l'Effacement du Numérique ».

C'est dans ce contexte, je crois, qu'il faut juger les 154 mesures du plan France Numérique 2012. Pour commencer, notez bien, ce ne sont pas des mesures mais des « actions », ce qui montre bien que l'on poursuit allègrement dans le registre de la didascalie. Le plan numérique doit permettre à tous les français d'accéder aux réseaux et services numériques : Fantaisie en trois actes.

  • Parabase : prélude au lever de rideau. La scène se déroule dans un paysage idyllique de nos villes, de nos terroirs et des DOM-TOM où, depuis 2010, chaque français, dûment identifié par un passeport biométrique numérisé, est invité à cotiser 35 euros par mois pour un accès Internet haut débit fixe.
    On observe un tableau de genre dans lequel opérateurs interchangeables et courtois dévoilent en toute transparence les cartes de leur couverture de services, offertes à des instances de concertation sur l'aménagement des territoires qui définissent avec enthousiasme des cadres méthodologiques et bénéficient des généreuses largesses de la Caisse des dépôts et consignations — à nouveau ! — en étudiant la prise de participation minoritaire des collectivités locales dans les réseaux ouverts — faut-il y lire que ces largesses de la CDC ne sont désormais pas sans limite ?

    • Mais là n'est pas le plus important. Ce qui caractérise la tonalité de la pièce c'est la Télévision numérique, nouvelle fée des temps (hyper-)modernes. D'une part l'extinction annoncée (Les Cinq dernières minutes) de cette vieillerie sénile et radotante de télévision analogique libère enfin une précieuse bande passante (790-862 MHz, action n°7, procédure d'attribution fin 2009) parée de toutes les vertus pour la radio numérique, et pour les réseaux mobiles de téléphonie et de télévision de nouvelle génération. D'autre part la Télévision numérique et merveilleuse devient le support de nouveaux services, pour lesquels on « dégagera des ressources » (action n°20) et que l'on recevra sur son mobile (action n°21, Max la menace) — résultat d’un lobbying hyperactif au niveau européen pour la norme DVB-SH, enjeu industriel de taille pour la France.

    • Quant au débat sur la quatrième licence mobile nationale, la candidature récente de Free est enterrée (Six Feet Under) et on lancera au premier trimestre 2009 un « appel à candidature pour l'utilisation des fréquences disponibles dans les bandes des 2,1 GHz sur la base de trois objectifs : favoriser la concurrence, valoriser au mieux le patrimoine immatériel de l'État et assurer la meilleure couverture possible du territoire ». Dans le même temps, les conditions d'attribution de la bande 2,6 Ghz, utilisée notamment le WiMax, seront précisées l'année prochaine (action n°10).

Ce décor une fois campé, tout notre « temps de cerveau », riches et pauvres, en métropole et aux DOM-TOM, seniors et jeunes, handicapés ou non, devient entièrement disponible, à haut et très haut débit, à l'abreuvoir des réseaux numériques.

  • Acte I. Le rideau se lève sur un « ambassadeur numérique » en tenue d'apparat (action n°18), chantant d'une voix sonore de baryton le panégyrique du label « Ordi 2.0 » qui qualifiera la filière nationale de redistribution, de reconditionnement et de retraitement des ordinateurs au travers d'un portail web 2.0 (action n°24, Louis la brocante).

Il s'agit de développer la production et l'offre de contenus numériques. Ici il n'est question bien sûr que de surveiller et punir dans la plus pure tradition Olivennes (dont le rapport, remis l'année dernière, inventait la « riposte graduée » aux pirates informatiques avec le succès européen que l'on connaît). En effet, entrent en scène successivement un Observatoire public des technologies de marquage de contenus (action n°32), un groupe de travail piloté par l'AMRT (exit l'agence ad hoc imaginée par le même rapport Olivennes) pour « proposer un mode opératoire à la détection de contenus sous droit sur les sites d'hébergement », et un Répertoire national des oeuvres protégées (Amicalement vôtre). Dans cette prosopopée, il conviendra également :

    • de contribuer à la définition de standards interopérables de DRM (action n°38), de favoriser la diffusion du savoir français, i.e. des oeuvres et des données publiques, mais dans le cadre strict de licences spécifiques qui restent d'ailleurs à élaborer par l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat (APIE, Les Brigades du Tigre),

    • de renforcer l'effort de numérisation de la BnF et sa contribution à la Bibliothèque Numérique Européenne — suivez mon regard, boutons Google hors de France ! (Thierry la Fronde)

    • Bien sûr on réformera la Commission pour copie privée : sous couvert de « l'amélioration de son fonctionnement » elle sera (vivement) incitée à s'interroger sur la validité de la copie privée (et surtout de sa rémunération) pour tous les supports de la nouvelle économie numérique. Elle sera dotée de nouveaux moyens pour ce faire, et, pour faire bonne mesure, mise sous contrôle par désignation de son président et des organisations aptes à y être représentées par arrêté conjoint de pas moins de trois ministères : Culture, Industrie et Consommation ! (Les Shadoks)

    • Enfin le coryphée conclut ce premier acte ébouriffant par un apologue du développement du jeu vidéo et de l'usage de la simulation numérique (Les Experts). En particulier on sensibilisera (action n°61) les entreprises du secteur privé à l'intérêt du serious gaming — en français, on pourrait dire simulation ludique de tout problème complexe ; n'est-ce pas là, involontairement, une formidable mise en abyme du plan France numérique 2012 lui-même, archétype du serious game de politique industrielle, dont l'action n°62 recommande même la promotion au sein de la puissance publique...

    • Le secteur du logiciel est quant à lui à la portion congrue : pour revitaliser la peau de chagrin de l'industrie française du logicielle en voie d'extinction rapide, on ne proposera que de créer un réseau « Logiciels » de correspondants dans au moins dix villes clés (Heroes), en doublon du réseau TIC d'Ubifrance, de promouvoir un affichage séparé des prix des logiciels et systèmes d'exploitations pré-installés, et de permettre la vente découpée de l'ordinateur et de son logiciel d'exploitation — dont chacun sait qu'elles sont les raisons majeures de l'agonie des éditeurs de logiciels français ! Mais un tel monologue aussi ouvertement anti-Microsoft ne peut que susciter les applaudissements d’un public gagné à la cause !

    • Les logiciels libres et l'Open Source sont évidemment mentionnés – c'est presque devenu obligatoire dans un document officiel aujourd'hui – pour se réjouir de leur adoption par les entreprises françaises et européennes mais c'est tout.

    • Enfin un train d'actions (n°71 à 75) vise à raccrocher les wagons du calcul intensif et de la simulation numérique à grande échelle dont la France avait raté les premiers départs : sous l'égide de l'ANR, le Grand équipement national de calcul intensif (GENCI) devra voir son champ d'action élargi (et celui de ses contributeurs aussi, cela va sans dire) dans l'orbite de la collaboration CEA-CNRS en Île-de-France puis sera passé au niveau européen dans un grand plan hypothétique de développement de l'industrie de grands systèmes de supercalculateurs — là aussi il en va de la grandeur et de l'indépendance de la France, de l'Europe (Rocambole).

      Le rideau tombe avec ampleur sur ce tableau patriotique et conquérant.
  • Acte II. Diversifier les usages et les services numériques. La pièce adopte ici un ton plus badin et léger pour souffler après les effets de mâchoires saillantes du premier acte. C'est en fait pour mieux circonvenir, séduire, inciter et contrôler le citoyen cyberconsommateur numérique 2012 (Poigne de fer et séduction) :

    • Côté pile, promouvoir la protection des données personnelles au plan international (voeu pieux irréprochable), inviter, la main sur le coeur, le groupe de travail du Conseil national de la consommation en coordination avec la CNIL, à se presser un peu pour rendre des conclusions en 2009, inviter la CNIL elle-même à mettre en place une campagne de sensibilisation « informatiques et libertés » — et avec quels moyens alors que son président, Axel Türk, faisait naguère état de son impécuniosité et du désamour de la puissance publique à son égard !

    • Côté face, la lutte continue contre toutes les formes de cybercriminalité (Commissaire Moulin) : en priorité la contrefaçon vendue sur Internet (voyons, voyons, de qui donc protège-t-on d'abord les intérêts ?), mise en place de l'OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information — si ça c'est pas du serious gaming !) qui travaillera, sans nul doute, à alourdir l'Ardoise (Application de recueil de la documentation opérationnelle et d’informations statistiques sur les enquêtes) — je n'invente rien : actions n°84 et 85.

Au passage on apprend que le nombre « d'enquêteurs » de la Police française de l'Internet devrait doubler (Columbo) : le vent d'inspiration chinoise souffle aussi chez nous — j'espère d'ailleurs que l'aveu de l'existence d'enquêteurs en ligne ne surprendra plus les lecteurs de cette chronique. Il faudra assurer son quota de sanctions : de nouveaux délits sont créés dans LOPPSI (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure — c'est ici qu'excellent nos athlètes enquêteurs spécialisés en criminalité informatique (Les Enquêtes du Commissaire Maigret), champions, à l’instar d’un Imad Lahoud, de l'Internet-Réalité.) Des campagnes, nombreuses, pressantes, répétées, de sensibilisation aux risques associés à l'Internet, à l'usage des « plus jeunes » (Hélène et les garçons), seront inlassablement menées sous les auspices rassérénants de la Direction du développement des médias (DDM), du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) et de la Délégation aux usages de l'Internet (DAU) – (X-Files).

Enfin l'action n°91 : améliorer la lutte contre le spam est un modèle de subtilité toute en nuance et pondération : « les opérateurs seront invités à travailler avec les pouvoirs publics pour améliorer les conditions dans lesquelles ils pourraient s'engager à limiter l'accès aux numéros et SMS surtaxés correspondant à des services frauduleux ainsi que la réception de messages ou appels provenant de ces numéros et les reversements financiers associés ». Qu'en termes courtois et mesurés ces choses-là sont dites !

Et d'ailleurs cela commencera au plus tôt : dès l'école, avec 400 « cyberbases » — qui sont aux cybercafés ce que le lait materné est au Robusta — dès le primaire et dans les 5 ans (cf. Ordi 2.0 apparu au premier Acte, L’Île aux enfants). Sur cette base saine et vivifiante, on élèvera l'Université Numérique (Un, dos, tres), 100% des documents pédagogiques numérisés pour 100% des étudiants (action n°95) ; on creusera un référentiel des métiers du numériques ; on déploiera des filières de formation au numérique ; on adaptera des formations initiales aux besoins des entreprises — elles-mêmes rendues, rappelons-le, surcompétitives par le numérique, fruit des actions n°104 à 112.

Le grand passage est balisé par de nouveaux Ambassadeurs, formateurs, pédagogues et humanistes (Thibaud ou les croisades), finançant au besoin l'acquisition d'équipements informatique et Internet et soutenant un réseau social de « webschool » sur l'ensemble du territoire, nouveaux colonisateurs éclairés des masses primitives prisonnières de leur obscurantisme numérique, véritables missionnaires zélés des formations adaptées et dépositaires du Baromètre annuel de l'équipement et de l'usage de l'Internet et des TIC dans les TPE et PME en France. Cette formation inédite et moderne de la Congrégation pour la doctrine de la foi numérique s'intéressera également au télétravail qu'il faut encourager et pas que dans le privé, mais également dans le secteur public (action n°114), et en accroîtra la lisibilité — ce sera écrit en plus gros dans les offres d'emploi de l'ANPE, apparemment (action n°116) — elle lancera sur le sujet une « action nationale » en cohérence avec les acteurs du développement durable.

    • Pour encourager le commerce électronique ? Fort simple : promouvoir le statut d'auto-entrepreneur (MacGyver) — vous qui vendez sur eBay déclarez vous au plus tôt et enregistrez vous, vous serez protégés d’une part par la DGCCRF qui enquêtera annuellement sur les plaintes détaillées en matière de commerce électronique — et par une Charte d'Engagement Concertée, d’autre part, fixant les normes de références pour inciter les acteurs de l'e-commerce à lutter contre la contrefaçon — décidément !

      Le paradis numérique (Plus belle la vie) qu'annonce ce second Acte verra l'apothéose d'une dématérialisation complète de l'administration (actions n°120 à 135) avec une mention spéciale pour la justice (pré-plainte en ligne et dématérialisation des procédures dans la chaîne des métiers des services enquêteurs, Un juge, un flic), pour la santé et le bien-être (le dossier médical personnel en 2012 — déjà ! —, mieux que Google et que Microsoft ! Docteur House) et enfin, pour la mutation environnementale de la société (création d'un prix « Green IT » et d'un prix « TIC au service des Cleantech », en français dans le texte - Thalassa.

      Tomber de rideau sous les tonnerres nourris d'applaudissements de l'audience debout !

  • Acte III et Final. Rénover les politiques publiques dans le domaine des PME innovantes du numérique. Pour les mélomanes, il s'agit d'une reprise du thème du premier mouvement des Gazelles (Daktari) sur le mode (i) du couplage fort de la recherche et de l'innovation et (ii) de l'encouragement des PME à fort potentiel. Ici on facilite, on accompagne, on renforce, on encourage, on nomme un Ambassadeur de l'économie numérique en s'appuyant sur Ubifrance, on tire des bilans et (action n°142) on adopte une approche globale pour fonder une nouvelle stratégie nationale concrète de la recherche dans les STIC.

Du coup cette refondation consensuelle donne lieu à un regroupement des moyens humains et financiers (puisqu'il faut bien en parler après 73 pages) au sein d'une Délégation Nationale au Numérique, secondée par un Conseil National du Numérique qui regroupe les attributions du Comité de la télématique anonyme (CTA), du Conseil supérieur de la télématique (CNT), du Forum des droits de l'Internet (FDI), du Conseil consultatif de l'Internet (CCI), du Conseil stratégique des technologies de l'information (CSTI) et des deux collèges du Comité de coordination des sciences et technologies de l'information et de la communication (CCSTIC) — dont, avouera-t-on sans honte, les travaux récents nous avaient échappés. Dans le même élan on fusionnera la Commission consultative des radiocommunications (CCR) et la Commission consultative des réseaux et services de communications électroniques (CCRSCE), spécialistes du « dividende numérique » (Cold Case).

Pour le clou du spectacle, l'Etat s'engage à améliorer l'efficacité globale des systèmes d'information publics (2,6 milliards d'euros de dépense informatique par an, soit 4,3 Ecureuil-Natixis ou encore 0,53 KervielsThe Sopranos). L'ode pindarique à la mission de préfiguration pour étudier les gains, investissements et modes de gestion de la création d'un Centre de service partagé numérique, se termine sur une violente sortie contre l'impérialisme américain de l'ICANN — l'autorité yankee de gestion des noms de domaine Internet — exercé unilatéralement au détriment de l'ENISA (European Network and Information Security Agency). Fomentant un contre-pouvoir libérateur, l'action n°154, finale et grandiose, fédère nos partenaires européens autour d'une structure de gestion européenne de l'Internet des objets — connus sous le nom horticole de « racines ONS » — et mettre en commun les programmes nécessaires de R et D nécessaires à la création d'une architecture distribuée pour l'Internet des Objets en Europe.

Marseillaise. Rideau. Rappels. Hymne à la joie et rideau final.

Ce récit symbolique eut probablement encore frappé plus fort les esprits si le Président lui-même ne s'était décommandé au dernier instant — appelé, il est vrai, à des plus hautes et nobles tâches sur fond de crise financière mondiale (avec le secrétaire d'Etat, etc.). Dans ce premier filage du mythe, le registre du vocabulaire de ces fameuses actions frappe dès l'abord : inciter (8 occurrences), favoriser (39), encourager (12), accompagner (19), mettre en place (64), concerter (5), soutenir (11), adopter (10) mais agir (7) — et encore : « il s'agira de proposer » et « il convient d'agir de sorte que » ne devraient pas compter. L'hypotypose peinte par le plan Besson se situe donc largement dans le registre prudentiel et diplomatique comme s'il fallait respecter un fragile équilibre des forces en présence. On a pourtant connu naguère une présidence aux envolées bien plus directives sur, par exemple, la suppression de la publicité sur les chaînes de la télévision publique ; ou bien encore un rapport Olivennes dans la plus pure tradition de Jeremy Bentham (1748-1832).

Ainsi donc comme on efface le numérique comme sujet industriel, en le donnant à voir dans la représentation d'une allégorie où règne la céleste harmonie audiovisuelle dans une France européenne prima inter pares, ayant IP-acifié ses populations et aménagé ses territoires par la médication numérique, on efface subrepticement la volonté d'action politique en figurant un discours mondain et raffiné, informé certainement mais renonçant implicitement à l'action.

Sur la forme, le recours au format court et saccadé des cent cinquante quatre actions fait inévitablement penser aux techniques de montage du cinéma DV. Le récit mythique « France Numérique 2012 » prend alors l'apparence d'un storyboard fouillé prêt à la sérialisation après le succès espéré de ce pilot. Les nombreux plans-séquences sur la numérisation de l'administration, culminant dans sa complète dématérialisation — préfigurée ici à 7:33 minutes du début — laissent à imaginer le merchandising féroce que l'on pourra décliner autour des premières saisons 2009-2012, sans parler du buzz sur la Toile, de l'e-commerce collatéral et des revenus de la publicité en ligne que la prolifération vivace des portails, sites collaboratifs, répertoires, catalogues des oeuvres publiques, registres des ayant-droits, référentiels d'interopérabilité, études normatives, enquêtes et résultats en ligne laissent à l'imagination fertile du marketing. Serious gaming, indeed.

En attendant le DVD, qui ne devrait pas tarder à sortir (action n°65 : « Veiller au raccourcissement des délais de mise à disposition des contenus audiovisuels et généraliser la distribution numérique de musique sans dispositifs de protection bloquants conformément aux accords signés à l’Élysée le 23 novembre 2007 »), on peut regarder le clip de la bande annonce. J'attends déjà avec impatience la prochaine saison : « France Numérique 2017 » !

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