dimanche, novembre 29, 2009

Go, Go, Google, Go!


En juillet dernier Google, déjà connu pour le système d'exploitation Android destiné aux smartphones, annonçait travailler sur un autre système d'exploitation, Chromium OS. La semaine dernière, Google prenait de vitesse les observateurs en en mettant le code en Open Source. Prévoyant une disponibilité générale pour l'année prochaine, Google précise que cet OS à été conçu pour la population « qui passe le plus clair de son temps sur le Web ». La stratégie de contournement du poste client est évidente, dans un mouvement de confrontation explicite avec Microsoft — mais faisant également entendre sa petite note dissonante dans l'orchestre des Linux orientés poste de travail. Chromium OS s'articulera autour du navigateur renforcé pour servir de conteneur d'applications. (Profession de foi : « All apps are web apps. The entire experience takes place within the browser and there are no conventional desktop applications. ») Ce renforcement s'appuie sur des innovations dans le multithreading, dont les bases ont été jetées dans le navigateur maison de Google, Chrome, et dans la vitesse et la sécurité du modèle d'exécution. À ce sujet, Microsoft n'est pas en reste, et la division Microsoft Research travaille depuis le début de l'année à Gazelle, un nouveau navigateur mâtiné de système d'exploitation.



Pratiquement au même moment — et il est difficile de croire à l'indépendance totale de cette séquence d'annonces —, Google livre un nouveau langage de programmation, rien moins : Go. Fruit de l'esprit fécond de l'ancienne génération : Ken Thompson (Turing Award, co-inventeur d'Unix aux Bell Labs, d'UTF-8 et Plan 9 avec Pike), Rob Pike (Plan 9 et Inferno aux Bell Labs, UTF-8), et de la nouvelle : Robert Griesemer, Russ Cox, Ian Taylor, Jini Kim et Adam Langley, Go, se veut un avatar moderne, rapide, parallèle, sécurisé et Open Source de C++. Ce qui, pour l'anecdote, provoque le plus grand désespoir de Keith Clark et Francis McCabe qui avaient mis au point en 2003 un langage pour la programmation de systèmes multi-agents, appelé quant à lui Go! — noter le « ! » qui fait toute la Yahoo-esque différence. (Sans parler de l'éphémère tablette de Go Corp.)



Cette floraison soudaine de logiciels n'est pas anodine à l'heure où s'engage entre les titans du Web la bataille du cloud computing dans laquelle Microsoft jette ses forces derrière Windows 7. Contre-attaque brillante sur le terrain de l'Internet du futur, de ses langages et de ses systèmes d'exploitation, à l'heure où la récente promesse du magnat de la presse Rupert Murdoch de déréférencer tous ses sites de contenus de Google laisse à penser que la messe n'est peut-être pas tout à fait dite sur les moteurs de recherche et la publicité en ligne malgré la prévalence de Google (63,5% de toutes les recherches en 2008, toujours en croissance).



Pourquoi mettre ainsi une croix sur près de 25% du trafic Web sur le trésor de la couronne, le site du Wall Street Journal ? En dépit des présomptions du contraire, le Citizen Kane australien n'est peut-être pas affecté de gâtisme mais bien plutôt illuminé d'un redoutable machiavélisme. L'idée diabolique ne consisterait-elle pas à attirer un Microsoft par les news alléché et à tenir à Bing à peu près ce langage : pourquoi ne vous vendrais-je pas le droit exclusif d'indexer le contenu de mes sites de média ? Ne seriez vous point prêt à payer espèces sonnantes et trébuchantes, et au denier douze, pour un tel privilège ? Ceci mielleusement adressé à un Bing, en position de challenger, qui cherche à se développer tous azimuts, comme en témoigne le récent accord avec Wolfram Alpha...



Imaginons un instant que tous les autres acteurs des médias suivent Murdoch et s'avisent de mettre aux enchères le privilège d'indexer leurs précieux contenus et leurs flux d'actualités, comme dans le modèle actuel de la publicité en ligne où Google règne en maître. La suprématie de Google, contre laquelle fusent aujourd'hui certaines critiques — notamment sur le règlement Book Search, et pas qu'en notre douce France — en serait peut-être ébranlée au prix de l'incommodité pour les internautes de savoir sur quel moteur chercher quel contenu au gré des alliances ainsi scellées.



Le PDG de News Corp. espère-t-il renverser le modèle qui conduisit Google à sa première place actuelle ? Il n'a certainement pas oublié, en revanche, qu'échoit par ailleurs en juin 2010 l'accord exclusif de 2006 entre MySpace — autre site phare du groupe — et Google sur la recherche et la publicité en ligne, aux termes duquel Google garantissait $900m de revenus à News Corp !



Quant à Microsoft, quelle meilleure occasion de se saisir de ce moment opportun où toute la presse et les médias traditionnels sont contraints à une remise en question, parfois dramatique, de leur identité et de leur entreprise, pour les armer de Bing en vue d'un ultime et héroïque baroud de résistance à l'envahisseur numérique de Mountain View ? À l'occasion du lancement du moteur de recherche onomatopée en Angleterre, Peter Bale, producteur exécutif de MSN UK aurait rencontré discrètement des représentants du Financial Times, de News International, d'Axel Springer, d'Associated Newspapers et de quelques autres médias européens. On imagine aisément la teneur des conversations.



Alors urgence à réagir de la part de Google ou déploiement inflexible d'une stratégie froidement élaborée ? Chromium OS, Chrome et Go, un contre-feu au coeur même des plates-bandes du géant de Redmond avec la perspective de rééditer le « coup » Android ? En effet, les opérateurs se ruent sur le système d'exploitation pour smartphone, qu'ils considèrent comme le moindre des deux maux, comparés au succès croissant de l'iPhone et du Blackberry qui leur fait effectivement perdre le contrôle de l'interface graphique utilisateur — qui figure la promesse de nouveaux services payants. En préférant l'interface graphique Open Source de Google ils voient une échappatoire salutaire à cette nouvelle menace. Du coup, peut-on s'interroger, pourquoi les opérateurs paieraient ils un jour Google pour la version non Open Source d'Android ? Aha ! nous dit Bill Gurley. Peut-être parce que Google est prêt à les payer pour ce faire en rétrocédant une partie des revenus de la recherche sur la version payante de la plateforme — une marge arrière illustrative d'un modèle inédit : « moins cher que gratuit » ! Et pourquoi s'arrêter là ? Si un HP, un Acer ou un Dell s'engageait à construire des netbooks basés sur Chromium OS et le navigateur Chrome, ils bénéficieraient dans le modèle « moins cher que gratuit » d'un partage de revenus sur chaque recherche effectué sur leurs machines... et renforceraient au passage Google, clic après clic ! Inversion fascinante du modèle traditionnel de Microsoft qui lève la taille et la gabelle Windows sur les constructeurs et pour qui le débat sur le prix de Windows pour les netbooks est toujours un problème.



samedi, novembre 14, 2009

HP veut aussi contrer Cisco


Alors que l'on spéculait plutôt sur une acquisition dans le secteur du Business Intelligence, HP vient d'annoncer son intention d'acquérir le vénérable équipementier réseau 3Com, le valorisant à 2,7 milliards de dollars.



En effet, toute l'année 2008 HP avait réorganisé de fond en comble son offre Neoview — avec en ligne de mire directe le rival Teradata, dont Mark Hurd, le CEO actuel de HP, fut président pendant 3 des 25 années qu'il passa chez NCR — l'intégrant à un nouvellement créé Business Intelligence Group, débauchant même Ben Barnes, patron de la division Business Intelligence chez IBM Global Services pour le diriger. La transformation de NonStop SQL Database, à l'origine développée par Tandem et transmise en 2001 à HP via son acquisition ($25bn) de Compaq qui venait lui-même d'acquérir Tandem (en 1997 pour $3bn), en Neoview s'accompagna de partenariats de plus en plus resserrés avec des éditeurs comme MicroStrategy pour l'analyse et le reporting, ou encore Quadrant dans les secteurs de la finance et de l'assurance. On s'attendait naturellement à une acquisition rapide de ces cibles pour renforcer le positionnement concurrentiel de HP dans un domaine où les consolidations sont allées bon train : acquisition de Business Objects par SAP, de Cognos par IBM, d'Hyperion par Oracle et celle, plus modeste et plus discrète, de Datallegro par Microsoft, par exemple. Il faudra donc attendre encore un peu pour que se déploie la stratégie offensive de Mark Hurd.



Comme l'ont immédiatement analysé tous les observateurs de l'industrie, avec le rachat de 3Com c'est plutôt Cisco que HP a aujourd'hui dans le collimateur. Et précisément au moment où John Chambers, l'énergique CEO de Cisco est distingué par US NEws World and Report comme dirigeant de l'année 2009, héraut du retour triomphant de la high tech américaine après le hiatus de la crise (the biggest comeback of modern times !). Cisco est notoirement connu pour avoir déployé une stratégie agressive de croissance externe depuis sa création en 1984 jusqu'à devenir le géant de 2009, projetant un chiffre d'affaires de plus de 36 milliards de dollars — le dernier exemple en date, fin octobre, étant l'acquisition du spécialiste de la sécurité Web en mode Saas ScanSafe.

Même s'il n'atteint pas au statut de grand ancêtre fondateur et à l'âge de HP — et de son fameux garage, à l'origine de la mythologie fondatrice de la Silicon Valley toute entière et fondé en 1939 — l'aventure de 3Com remonte elle aussi assez loin dans l'histoire des réseaux. 3Com a été fondée par le médiatique Bob Metcalfe, célèbre inventeur d'Ethernet, en 1979. Après une IPO record en 1984, puis l'acquisition de Bridge Communications en 1987, une startup fondée par le français Eric Benhamou — grand employeur des jeunes stagiaires ingénieurs des Télécoms de la génération (vieillissante) de votre serviteur au début des années 80 — c'est lui qui en prenait la tête en 1990 et qui mena l'entreprise durant une décennie. 3Com s'illustrait par le rachat de US Robotics (en 1997 pour $7,3bn) le fabricant historique de modems et acquéreur de Palm deux ans auparavant. Après des tentatives et des repentirs stratégiques nombreux, Palm sera essaimé et retrouvera son autonomie en 2000. Dans le même temps, 3Com cherchera à nouer des liens avec les géants chinois naissants des secteurs du réseau et du téléphone, culminant avec la création en 2003 d'une joint venture avec Huawei, finalement rachetée par 3Com en 2006 ($882m) après une lutte acharnée avec les offres concurrentielles de plusieurs fonds d'investissement et de Huawei lui-même. L'année suivante, ces fonds, dont Bain Capital, et Huawei s'alliaient pour une OPA revancharde sur 3Com (pour une valorisation de $2bn). Las, devant la réticence des autorités américaines et en particulier celle de la commission sur les investissements étrangers, l'offre est retirée au printemps 2008. Patriotisme économique et impact sur la trésorerie des fonds d'investissement de la crise immobilière qui battait déjà son plein aux USA en 2007-2008 étaient passés par là... La réputation de 3Com déjà passablement ébréchée après l'explosion de la Bulle Internet par les atermoiements de son management en prenait encore un coup.



Mais avec 3Com, HP acquiert donc immédiatement une position dominante en Chine (via les développements de l'ancienne joint venture H3C) dans les équipements de réseaux de données, le coeur du métier de Cisco. De son côté, Cisco avait signé début novembre une alliance avec EMC et, en particulier, avec sa division VMWare pour la fourniture de serveurs et de produits destinés aux datacenters, les fers de lance de HP.



L'Europe est notablement absente sur ces sujets. L'appel de Didier Lamouche, PDG de Bull, à l'occasion du séminaire gouvernemental sur le Numérique de septembre dernier, à consacrer une partie du décidément fort convoité Grand emprunt au HPC et aux datacenters français — qui n'a guère été entendu si l'on en croit les premières « fuites » sur le rapport Juppé-Rocard (lire d'ailleurs la petite mise au point de sémantique appliquée d'Alain Juppé) — paraît en effet bien pâlichon au vu des enjeux de la bataille planétaire qui s'engage pour le déploiement de l'Internet du futur.



ShareThis