mardi, août 17, 2010

Neutralité ou neutralisation du Net ?


Après les cyber-attaques chinoises, après la sécurité des réseaux informatiques, après la protection des données stratégiques et l'intelligence économique, après la lutte contre le piratage, après la falsification des identités numériques et le droit à l'oubli, voilà que s'annonce enfin un nouveau et merveilleux sujet d'agitation lyrique de la blogosphère : la « neutralité du Net » !

 



Il est vrai que les récentes révélations des comportements extra-conjugaux de CEO libidineux de la Silicon Valley nous laissent plutôt indifférents, blasés que nous sommes de ce côté-ci de l'atlantique. Que, dans la maison des secrets, Eric (Schmidt) fait disparaître du Web le blog de Kate (Bohner), une ancienne — mais très proche — amie ; que Mark (Hurd) soit poussé à la démission par un conseil d'administration horrifié par un soupçon de harcèlement de Jodie (Fisher) ; mais soit vivement défendu, contre toute attente, par Larry (Ellison), lui-même le parangon de vertu et prosélyte de la tempérance que l'on connaît, cela ne nous impressionne plus guère au pays de Nicolas et Carla, de Mazarine, et de DSK !

 



Non ! Il nous faut du solide, du roboratif sévèrement technique, fleurant bon l'acronyme et le protocole système, de l'arcane technologique bien filandreux et ramifié propice à distiller une confusion byzantine dès la première pression à froid, bref, de la part des anges directement téléchargée de l'alambic blogosphérique, porté à ébullition. Ce sera donc, pour la rentrée, la neutralité du Net, mis en Wiki dans nos chais, vintage 2010.

 



L'infatigable Lawrence Lessig avait parmi les premiers dressé l'épouvantail dès 2006 : s'alarmant d'une proposition de vote au Congrès américain, il argumentait avec conviction que l'Internet était une chose bien trop sérieuse pour être laissée aux seules mains des opérateurs télécom et des câblo-opérateurs. En 2008, Lessig a témoigné devant la FCC pour le respect de la neutralité du Net, une cause dont il s'est fait depuis le champion. En 2006, la tempête avait été déclenchée par le lobbying appuyé d'AT&T et de Verizon au comité du commerce du Sénat américain pour demander l'instauration d'un paiement à la qualité de l'accès au Net. Deux ans plus tard, le débat avait été, cette fois, relancé par l'aveu de Comcast, le second plus gros fournisseur de bande passante aux USA, qu'il se livrait au traffic shaping, à l'inspection des paquets (deep packet inspection) et au contrôle du trafic P2P à l'insu des utilisateurs et des fournisseurs de services en ligne.

 



La neutralité du Net était alors promue au rang de thème de la campagne présidentielle d'Obama de 2008. À mi-mandat, alors que les Démocrates sont en difficulté, la question est aimablement remise sous les projecteurs par un pavé signé Google et Verizon jeté dans la mare réglementaire le 10 août dernier. La main sur le coeur, Eric Schmidt et Ivan Seidenberg, les CEO respectifs de Google et de Verizon, protestent à l'unisson de leurs bonnes intentions en soumettant à la FCC une proposition commune de cadre réglementaire pour la gouvernance d'un Internet « ouvert ».

 



Quand on se souvient que les mêmes Google et Verizon s'étaient étripés devant les tribunaux lors des enchères pour le spectre de fréquences 700 MHz menées par la FCC en 2007 — Verizon arguant que les règles d'ouverture et de neutralité prônées à l'époque par la FCC étaient « arbitraires et relevaient du caprice », Google s'érigeant alors comme défenseur héroïque du consommateur numérique — les gesticulations actuelles des deux acolytes de circonstance entretiendraient plutôt le doute et la suspicion.

 



L'analyse fouillée de cette proposition Google-Verizon par l'Electronic Frontier Foundation (EFF) mérite l'attention : elle tente de séparer le bon grain de l'ivraie en respectant une certaine... neutralité !

 




  • Le projet Google-Verizon voudrait limiter le champ réglementaire de l'autorité de la FCC à la mission qui la circonscrit déjà : se saisir et arbitrer au cas par cas les plaintes qui lui sont soumises. Plutôt favorable dit l'EFF — libéralisme oblige — toujours soucieuse de mitiger l'intrusion intempestive de l'Etat dans le fonctionnement des marchés.


  • Le projet Google-Verizon rappelle ô combien techniques et abscons sont les tenants et aboutissants de la neutralité du Net : les deux géants appellent de leurs voeux à la mise en place d'une autorité technologiquement compétente qui présiderait aux choix de gouvernance au plan technique.


  • Plus troublant, l'autorisation que le projet Google-Verizon accorderait sans restriction aux opérateurs d'user de pratiques « raisonnables » de gestion et de contrôle du réseau. Tout est dans la définition du « raisonnable » ? De plus, seraient exclus du périmètre neutre de mystérieux «  additional online services  », la FCC se chargeant de publier annuellement un rapport édulcorant quant à la nocivité éventuelle du trafic engendré par ces « services en lignes supplémentaires » et indéterminés sur la distribution du débit aux autres services en ligne (« non supplémentaires », donc ?).


  • Enfin, et source de commentaires innombrables, et de prises de positions variées et parfois plaisantes, une énorme exception pour l'Internet sans fil et pour les contenus « illégaux   : aux termes de la proposition Google-Verizon, ils seraient totalement exclus de la pensée neutraliste. Il est piquant de voir geindre AT&T sur son blog officiel que Wireless is different, rejoignant là Verizon dans la complainte du telco sur la saturation des réseaux IP radio — ce constat de croissance explosive étant d'ailleurs assez incontestable, à moins de renvoyer tous nos iPhones à Cupertino.



Il ne s'agit là, à ce stade, que d'un projet de cadre de travail, une sorte de pacte de non-agression entre deux titans du Net et des télécommunications, dont l'interprétation pourrait simplement être celle d'un mouvement préemptif dans un climat régulatoire qui point à l'horizon politique aux USA. Il est alors instructif de comparer à ce qui se passe sous nos cieux européens.

 



En douce France, c'est le branle-bas de combat ! En mai 2010, la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, rattachée à l'Economie, l'industrie et l'emploi, lance une consultation publique sur le projet de dispositions législatives de transposition en droit français du fameux Paquet Télécom. En plus d’un règlement, ce dernier est composé de deux directives dont certains articles concernent directement la neutralité du Net. Une proposition de transposition a été présentée en conseil des ministres, et le processus législatif devrait être lancé à la rentrée. Ceci afin de respecter un calendrier serré, i.e. avoir transposé la nouvelle réglementation avant le 25 mai 2011. Dans cette précipitation, le gouvernement peut déposer le projet de loi pour examen devant les deux chambres ou décider de légiférer par ordonnance dans un souci de rapidité. L'UMP aurait déjà prévu de s'atteler à une telle proposition de loi dès la rentrée.

 



Ces deux directives du Paquet Télécom (2009/136/CE et 2009/140/CE) sont prudemment déminées par le Secrétariat d'Etat chargé de la Prospective et du Développement de l'économie numérique : on n'y parlerait que d'une « série de dispositions visant à renfoncer la transparence et l’information du consommateur en matière de gestion des réseaux par les opérateurs ». La première directive, en effet, n'interdit pas la discrimination (de l'accès) si elle est pratiquée avec la transparence bien-pensante indispensable, du moment que le consommateur « est pleinement informé »... qu'il n'a pas le choix. Dans la seconde directive il est dit que les opérateurs doivent « favoriser » la capacité des utilisateurs finaux à accéder à l'information et à la diffuser, le mot « assurer » ayant été finalement remplacé après d'épineux débats au Parlement européen. De même, cette directive indiquait dans sa première version que cette obligation était restreinte aux applications et services licites : cette précision a disparu ultérieurement mais pourrait bien réapparaître — surtout après les excellents commentaire de Brice Hortefeux ou ceux de Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, dans le contexte général de bienveillance qui assure la sérénité des débats.

 



Depuis le début de l'année fleurissent en France rapports et consultations : un rapport du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le colloque « Neutralité des réseaux », une consultation publique de l'Arcep, un appel à propositions du la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles, et pour faire bonne mesure, une autre consultation publique du Secrétariat à l'économie numérique pour nourrir un rapport (toujours non publié) remis aux parlementaires comme devoir de vacances le 1er août, d'après NKM elle-même. Vous ne pourrez pas dire qu'on ne vous a pas prévenu !

 



Dans son édition du 7 août, Libération publie quelques bonnes pages de ce fameux rapport « à discuter à la rentrée ». Surprise, surprise ! Ça se lit comme du Google-Verizon dans le texte ! Il reconnaîtrait aux opérateurs le droit de « recourir à des mécanismes de gestion du trafic », entérinant des pratiques déjà répandues malgré les protestations du contraire des opérateurs. Le rapport ne trouverait rien à reprocher aux limites à la neutralité du Net que des opérateurs imposent déjà au trafic sur les réseaux mobiles : interdiction des échanges en peer to peer, de la consultation des vidéos en streaming ou de la téléphonie sur le Web — quel meilleur moment donc que cette chasse aux sorcières VoIP pour que Skype, le luxembourgeois honni, annonce son intention d'entrer en Bourse !

 



Le rapport, emporté par l'élan de la pensée neutraliste (façon Eusebio Cafarelli ?), déclarerait que tout doit tendre à la neutralité : référencement et moteur de recherches (aux algorithmes « secrets ») dont la Commission européenne serait saisie dans quelques mois — serait-ce une éruption d'un anti-Googueulisme primaire (vous souvenez-vous de Quaero ?) déjà obsolète même aux États-Unis ?— support de Flash sur les smartphones (suivez mon regard), bref « vigilance et neutralité » !

 



L'irénisme consensuel d'institutions aussi disparates que des industriels du Net comme Google et Verizon, parfois vitupérés comme suppôts intolérables du libéralisme impérialiste américain, de l'industrie de l'édition, musicale en particulier, dont on connaît l'esprit charitable, et des penseurs de la haute administration française communiant dans le paternalisme soucieux d'une neutralité sous surveillance laisse évidemment prévoir d'imminentes catastrophes. Le président de l'Arcep — combien de divisions ? — promet de définir « ce qu’est le standard de l’accès à Internet » : on s'occupe de tout vous dis-je.

 

mercredi, août 11, 2010

La défiance envers les marchés actions


La tendance légèrement haussière des indices financiers US, ces dernières semaines le S&P 500 s'est apprécié de 7 %, par exemple, est certainement entraînée par les bons résultats des derniers trimestres publiés par les entreprises américaines et par les résultats satisfaisants — quoique critiqués par certains observateurs, comme on pouvait s'y attendre — des fameux stress tests des banques européennes. Cette bonne tenue des marchés ne serait-elle que de façade ?

 



Dans le même temps, en effet, on constate que les volumes de transaction ont uniformément baissé sur toutes les classes d'actifs aux USA. Les investisseurs institutionnels américains désertent les marchés depuis le début 2010, imités plus récemment dans leur immobilisme par la banque de détail et les retail investors. Depuis mai dernier, plus de $40bn ont été sortis des fonds mutuels en actions pour s'investir dans des bons du trésor ou des obligations d'Etat aux USA. Une fuite massive hors des marchés actions qui efface largement les légers gains affichés par les indices !

 



Quels que soient les mouvements du marché, quels que soient les niveaux de clôture, hausse ou baisse, rien ne semble arrêter l'hémorragie des fonds institutionnels et de détail de ces derniers mois. Seuls les arcanes stochastiques des inébranlables algorithmes de trading et les gammas élevés des fonds indiciels (les ETF) — dont la récente prolifération rappellerait avec insistance « l'exubérance irrationnelle » de naguère — parviennent aujourd'hui à soutenir les actions éloignées de plusieurs déviations standards de leur valeur de marché. Tout semble prêt pour un nouveau 6 mai, le flash crash qui vit le Dow Jones perdre en quelques minutes plus de 600 points avant de revenir, tout aussi brutalement, à son niveau d'ouverture. Il est notable que, des mois après, on se perde toujours en conjectures sur les causes réelles de cette défaillance des marchés.

 



Seuls les optimistes n'attribueraient cette retraite précipitée qu'aux incertitudes planant sur la zone Euro et à la cristallisation progressive d'un niveau de chômage élevé — et de longue durée — aux USA. Rappelons-nous la sérénité retrouvée de l'été 2007 durant lequel les investisseurs rassurés par le retour d'une stabilité de bon aloi après la succession des éclatements de bulles technologiques, asseyant leurs certitudes sur les simulations de marché de plus en plus sophistiquées et la planification à long terme de modèles financiers gavés de CPU multi-coeurs, embrassaient un horizon d'une dizaine d'années d'un regard confiant... La brutalité de la crise financière, devenue depuis économique et mondiale, a fait voler en éclats cet état d'esprit. Et même si le fracas de l'automne 2008 s'atténue lentement, deux ans plus tard, les investisseurs de toutes origines semblent en subir de durables séquelles : une perte de confiance assez générale dans le bien-fondé des marchés d'actions et un retour à une anxiété court-termiste obscurcissant tout plan d'avenir.

 



Et il est vrai qu'avec un peu de recul, les heurts réitérés des années 2008-2010 ne furent guère de nature à clarifier l'horizon : les menaces de tempêtes abondent encore ; la volatilité de la trajectoire politique des Etats-Unis à mi-mandat démocrate, l'imprévisibilité de l'intervention des états sur les marchés, les revirements réglementaires et législatifs parfois doctrinaires, souvent à court terme, la Fed elle-même qui ranime le spectre d'un second plongeon récessif de l'économie (double-dip recession) dans ses prévisions de la semaine passée, tout semble conspirer à saper la confiance des investisseurs. Il faut espérer que ce n'est que là qu'inquiétude passagère et que les USA ne suivront pas l'exemple de la décennie « perdue » du Japon qui avait été annoncée par les même signes avant-coureurs...

 



En France, pas mieux !



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