samedi, septembre 12, 2009

Une tentative de hold-up déjouée rue Saint-Dominique


La Maison Poulaga filait la borgnote à la fraîche, ce jeudi matin, rue Saint-Dominique. Rencardés par un condé tout ce qu'il y a de plus officiel du Centre d'analyse stratégique, les pandores avaient eu vent d'un braquage à la carre qui se préparait au 28 bis, à la Maison de la Chimie. Le « Gang des numériques », mené par l'as de coeur NKM et ses barons Frédéric Mitterrand, Michel Mercier et Hervé Novelli s'attaquait aux coffiots de la bande rivale du Grand emprunt national. Avec la complicité d'une salle comble pour ce Séminaire emphatiquement intitulé : « Numérique : investir aujourd'hui pour la croissance de demain. ».



On fera observer que l'artiche n'est même pas encore collecté que tous se bigornent pour étouffer la becquetance. Mais comme le remarquait l'impérissable Fernand Naudin : « je reconnais que c'est jamais bon de laisser dormir les créances. Et surtout de permettre au petit personnel de rêver ». Il a donc fallu l'intervention expresse du gusse de Bordeaux et du fondu du Groenland, les capi di tutti capi Alain Juppé et Michel Rocard, pour calmer les ardeurs numériques du petit gotha des digital natives parisiens.



Malgré l'insistance de NKM à qualifier le séminaire de « nos débats » et de « nos travaux », la conférence fut plutôt constituée de trois tables rondes assenées magistralement. Chacun des nombreux orateurs délivrait en un temps minuté quelques pensées définitives sur l'usage indispensable de la future manne du Grand emprunt à ses sujets immédiats de préoccupation.



Infrastructures et réseaux



La matinée s'ouvrait sur l'exercice — en France devenu inévitable, mais aussi imité maintenant aux Etats-Unis — de la réconciliation de la ruralité revendiquée de notre pays et de l'égalité républicaine d'accès aux merveilles promises du Numérique. D'aucuns cherchent à hisser l'accès à Internet « partout et tout le temps » à la hauteur constitutionnelle du Principe de précaution ou du droit opposable au logement : pas de vie sociale et citoyenne sans accès à Internet, éviter à tout prix horresco referens la « Fracture numérique », nouvel épouvantail de la doctrine. (NKM, prompte aux barbarismes, évoquait ainsi les « espaces d'abandons » qui menacent et nous enjoignait « d'être attentifs à faire en sorte que » après avoir invité toute l'audience sur Twitter avec #emprunt.)



Michel Mercier, solidement secondé par Jacques Pélissard, Président de l'Association des maires de France, réclamait des milliards pour un déploiement de la fibre optique « jusqu'au pied de chaque clocher » sous le regard noir d'Augustin de Romanet, Directeur général de la Caisse des dépôt et consignations qui voyait bien qui devrait mettre la main au portefeuille. La Caisse, rappelons-le, devrait pour la première fois de son histoire plus que centenaire, afficher des pertes, estimées à 1,5 Mds d'euros, pour l'année 2008. Il dut donc remettre les pendules à l'heure en rappelant d'abord que, par contraste avec le haut débit, le très haut débit ce n'était plus de la roupie de sansonnet : les misérables 2 Mds d'euros du déploiement de l'ADSL faisaient petite monnaie devant les 40 Mds auxquels sont estimés le déploiement et la généralisation du « très haut débit pour tous ». Yves Gassot, Directeur général de l'IDATE, rappelait à ce sujet dans une intervention enfin ouverte sur le monde, bien loin du nombrilisme parisien, que le plan Obama consacrait $7,2bn au déploiement du très haut débit aux USA là où plus de $40bn seraient consacrés à la Santé et qu'en Australie, 20 Mds d'euros étaient alloués à la création d'une infrastructure mutualisée de très haut débit, joint venture entre tous les opérateurs de télécommunications et l'Etat australien.



Au vu de l'état des finances publiques, le colbertisme reprenait vite le dessus. M. de Romanet préconisait ainsi un schéma de financement à la portée de nos moyens — où plutôt de leur absence patente — diversifié en fonction de trois zones : urbaines/denses — les très grandes agglomérations —, les villes de taille moyenne et les zones rurales, dites « zones 1, 2 et 3 » pour ne froisser personne.



En zone 1, ce sera le renoncement immédiat et irréversible. Au motif que la rentabilité pour les opérateurs télécoms est de facto assurée par le nombre et la densité des abonnés, on la livrera à la foire d'empoigne qui se prépare pour le câblage en fibre optique jusqu'au pas de porte. Compte tenu du rôle et des méthodes juridico-psychologiques — dont il est hélas beaucoup question, comme par hasard, aujourd'hui — de l'opérateur historique et de l'avidité des opérateurs privés, le spectacle devrait être sanglant !



En zone 3 qui, en dehors de Michel Mercier cumulant — rappelait-il lui-même — le ministère (de l'Espace rural et de l'aménagement du territoire) et la présidence du Conseil général du Rhône, — il fut longtemps maire de Thizy, capitale mondiale de la matelasserie pour ceux qui l'ignoreraient encore —, n'inspire pas grand monde, c'est forcée et contrainte que la CDC bâtirait des nouveaux « réseaux d'initiative publique » sur le modèle actuel, lancé par la loi de juin 2004.



En zone 2, c'est plus délicat... Il faudra —
Augustinus dixit — attirer les fond privés par l'initiative publique et « libérer l'investissement ». Voilà qui rappelle furieusement le rafraîchissant Rapport Attali pour « libérer la croissance française » au timing (26 janvier 2008) particulièrement réussi, à six mois d'une crise majeure, financière et économique. (C'est sans doute aussi ce qu'on appelle la « chronologie des médias » sur laquelle nous reviendrons plus bas.) S'élevant en démiurge de la mêlée numérique, la tutélaire CDC recommande qu'en zone 2 tous les opérateurs soient (fermement) invités à s'allier pour déployer une infrastructure mutualisée délivrant à tous les flux numériques devenus constitutionnellement indispensables. Ce qui présenterait également l'avantage de simplifier et de faciliter le contrôle des contenus qui y circulent.



Au final, sont donc reprises les grandes lignes de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique du sénateur Xavier Pintat, dont Bruno Retailleau, nommé rapporteur sur la saisine de la Commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, était sur l'estrade pour vanter la mesure et la sagesse — malgré un formidable lapsus qui m'enchante, et qui lui fit appeler un instant le « Rapport Pintat », le « Rapport Pétain ». Le Directeur général de la Fédération française des télécommunications, le Président de l'ARCEP, le Président de l'Association des fournisseurs d'accès et de services Internet, étaient priés d'acquiescer.



Tous en revanche prêchent à l'unisson pour que, d'une part, le déploiement dans les zones 1, 2 et 3 soient simultanés et pas séquencés (luttons contre la fracture) et que le wireless très haut débit ne soit pas oublié, d'autre part. (Même s'il faudra préventivement desceller toutes les antennes à peine installées au motif du Principe de précaution du Grenelle des antennes !)



Logiciels et services



Bien décevante ensuite la table ronde « logiciels et services : renforcer la compétitivité des entreprises françaises ». Sur le refrain éculé lancé par Hervé Novelli « Pourquoi les grands éditeurs sont-ils américains et n'en dénombre-t-on que si peu en France ? » (Un au dernier décompte, je crois !), on aurait eu envie de plagier Joe Dassin :




Mes amis, je dois m'en aller

Je n'ai plus qu'à jeter mes clés

Car il m'attend depuis que je suis né

L'Numérique



J'abandonne sur mon chemin

Tant de choses que j'aimais bien

Cela commence par un peu de chagrin

L'Numérique



L'Numérique, l'Numérique, je veux l'avoir et je l'aurai

L'Numérique, l'Numérique, si c'est un rêve, je le saurai

Tous les sifflets des trains, toutes les sirènes des bateaux

M'ont chanté cent fois la chanson de l'Eldorado

Du Numérique



Mes amis, je vous dis adieu

Je devrais vous pleurer un peu

Pardonnez-moi si je n'ai dans mes yeux

Que l'Numérique



Je reviendrai je ne sais pas quand

Cousu d'or et brodé d'argent

Ou sans un sou, mais plus riche qu'avant

Du Numérique



L'Numérique, l'Numérique, je veux l'avoir et je l'aurai

L'Numérique, l'Numérique, si c'est un rêve, je le saurai

Tous les sifflets des trains, toutes les sirènes des bateaux

M'ont chanté cent fois la chanson de l'Eldorado

Du Numérique



L'Numérique, l'Numérique, si c'est un rêve, je rêverai

L'Numérique, l'Numérique, si c'est un rêve, je veux rêver



Passons sur les interrogations que pourraient susciter la représentation du secteur par les seules sociétés Meetic, Berger-Levrault et Mandriva. Marc Simoncini déclenchait quelques applaudissements d'une audience par ailleurs hébétée, en se demandant à quoi servait de construire aux frais du contribuable une infrastructure si c'était pour « que Google y vende plus de trafic, eBay plus d'armoires et Amazon plus de livres ». Jolie formule qui nous amènera au débat de l'après-midi sur le poncif du « patrimoine numérique et des industries culturelles ».



Didier Lamouche, PDG de Bull, s'enorgueillissait d'avoir accompagné Nicolas Sarkozy au Brésil pour tenter de fourguer ses pétaflops « éco-efficaces, ultra-denses et ultra-performants » à Lula. Au point d'imaginer le HPC et l'extreme computing comme nouveaux domaines d'excellence française. (Après s'être vanté que seuls IBM et Bull pouvaient être comptés au rang des survivants de la naissance de l'informatique moderne — je ne suis pas certain que le positionnement « ancien combattant » ne soit très heureux, remugle d'une époque pas si lointaine où l'Etat se mêlait d'informatique.) Dans le même ton, Pierre Hermelin, Directeur général de Cap Gemini, avait eu un peu plus tôt le privilège d'inaugurer la journée, succèdant à NKM au podium pour un long quart d'heure de réclame sans vergogne pour Cap Gemini qui n'avait, au fonds, rien à faire dans ce séminaire — il est vrai que polytechnicien énarque, il fut à la direction du Budget, ensuite directeur de cabinet d'Hubert Curien puis de Dominique Strauss-Kahn, à la Recherche, et à l'Industrie et au Commerce extérieur : doublement auréolé de la fonction publique et du pantouflage dans l'industrie informatique on imagine sans peine l'autorité qu'il peut figurer. Ceci dit, son quart d'heure écoulé, réduit de surcroît par un slideshare vidéo ressassant quelques banalités d'usage, il devait rapidement s'éclipser sans assister aux autres présentations.



Dans la pantomime, l'indispensable professeur d'université américaine était joué avec conviction par Eli Noam de la Columbia University. (La « sérénité bucolique » de sa résidence secondaire à China Pond a fasciné le New York Times l'année dernière.) Il s'est dit surpris par l'envie que suscitaient les Etats-Unis chez nos compatriotes alors que le maigre 1% des plans de relance américains consacré au broadband s'enkystait déjà dans une lourdeur bureaucratique qui en contredisait l'objectif même. Il rappelait, en revanche, le Small Business Act exemplaire du rôle renforcé du secteur public dans l'usage et l'achat de nouvelles technologies. Un point dont on pourrait peut-être enfin s'inspirer en France où l'on a l'impression au contraire que tout le poids est mis du côté de l'Etat, et du public, actionnaire ou guichet à subventions.



En France, par exemple, les FCPI et les FIP, puis maintenant les fonds dits ISF se sont progressivement substitués aux fonds privés dans le financement des jeunes pousses — issues des subventions variées, crédit d'impôt recherches et autres incubateurs et business angels mais pas encore parvenues au stade, aujourd'hui regrettablement déserté de la grosse PME. La première conséquence est que l'argent consacré au financement des jeunes entreprises de high tech est presque majoritairement public, directement de l'Etat (via la Caisse des dépôts ou OSEO) ou, après validation par OSEO, via les FCPI/FIP — qui n'ont d'ailleurs pas qu'une vocation technologique. Les montants déjà faibles, à comparer aux Etats-Unis, souffrent évidemment de cette attrition des fonds privés. De plus le déplacement de l'épargne des FCPI vers les fonds ISF (et en particulier les holdings ISF) dévoie le système vers l'effet d'aubaine. Les investissement directs comptent à ce titre pour une réduction fiscale de 75%, alors qu'elle est de 50% pour FCPI et FIP : investir avant le 15 juin dans une pizzeria familiale est donc plus rentable que d'essayer, sur le long terme qui plus est, de financer la jeune pousse innovante. Enfin — il faut le marteler — le financement de l'innovation ne se conçoit que dans la durée : une startup a non seulement besoin de financement initial mais de refinancements ultérieurs pour accompagner son développement commercial — et au passage, ne pas diluer ses actionnaires de la première heure. À ce propos, l'amendement proposé par le sénateur Arthuis qui viserait à imposer aux FCPI et fonds d'investissements d'investir leurs fonds en totalité avant 6 mois, plutôt que les 24 mois actuels, est une offense au bon sens, reflètant l'incompréhension persistante qui entoure toujours l'entrepreneuriat dans notre doux pays.



Dans cet esprit, la suggestion à peine évoquée, en particulier par la députée d'Eure-et-Loir, Mme de La Raudière, de consacrer un nouveau FSI (Fonds stratégique d'investissement) au secteur français du logiciel et des services n'a que peu de chances de passer à la Commission du Grand emprunt.



Patrimoine et industries culturelles



Mais c'est peut-être de la table ronde de l'après-midi que l'on attendait le plus d'étincelles. Présidée par notre Frédéric Mitterrand national, elle réunissait en effet Google Europe, Mats Carduner, et Warner France, Iris Knobloch, d'un côté ; Michel Boyon, Président du CSA, Alain Kouck, PDG d'Editis — maintenant espagnol —, Vincent Marcatté, Président du Pôle de compétitivité (à vocation mondiale le dira-t-on jamais assez !) Images et Réseaux, Claudie Haigneré, Présidente de la Cité des sciences et de l'industrie et du Palais de la découverte, Michèle Tabrot, députée des Alpes-Maritimes, de l'autre ! On se réjouissait d'avance, dans le contexte délétère du second passage imminent de la loi Hadopi et de la levée de boucliers internationale — mais certainement d'inspiration française au nom de l'exception culturelle — contre le programme Google Books et surtout contre le Google Books Settlement.



On sentait d'abord Frédéric Mitterrand sur la défensive, invoquant Edgar Poe et Guy Debord pour affirmer qu'il « a identifié la révolution numérique comme l'enjeu central du minitère de la culture et de la communication ». Mais comme le disait le regretté Mao, « la révolution n'est pas un diner de gala » ! Le Ministre récitait la litanie des louables et méritoires efforts de « nos établissements », le Louvre, le Musée d'Orsay, la RMN, la CNC, l'INA — brosse à reluire généreuse pour Emmanuel Hoog au passage — pour numériser les collections dont ils sont dépositaires. Mais, las, même dressés sur ses ergots, Gallica et ses plus de 300.000 documents numérisés en mode texte fait pâle figure devant les 10 millions (!) de livres numérisés par Google.



Au point qu'alors que le secret de discussions entre la BNF et Google était récemment éventé et qu'on prétendait le nouveau Ministre à peine nommé déjà déstabilisé par ce contre-pied aux cris d'orfraie poussés naguère par Jean-Noël Jeanneney — statue du Commandeur de l'Exception culturelle, s'il en est — il a fallu que François Fillon, qui concluait la journée, vînt à sa rescousse. « Pour moi Google n'est pas un problème mais un défi » nous assurait-il ; « on s'est récemment ému que la BNF ose discuter avec Google au sujet de la numérisation de son fonds d'ouvrage. Mais ce qui serait choquant, c'est qu'elle ne le fasse pas ! » poursuivait-il. D'ailleurs Frédéric Mitterrand n'avait-il pas insisté sur le fait que « le Ministère n'est pas dans une position défensive. Il n'est pas opposé, en soi, à l'idée de recourir à des prestataires privés. » Bref, ne nous fâchons pas !



Il faut dire qu'en face, quand on parle d'éducation culturelle et artistique ou d'enseignement de l'histoire des arts on sort les revolvers. Avec un aplomb invraisemblable, Iris Knobloch, de Warner France, commençait par remercier le Ministre pour la « très bonne loi Hadopi » — à peine un vague « Hou ! » se fit-il entendre vite réduit au silence, quelle tristesse ! — et fustigeait ce pays où le « consommateur » n'est pas encore très au fait de tout ce que peut lui apporter Internet ! Idem de la part de Mats Carduner, de Google Europe, qui nous professait que l'important était d'équiper les français pour accéder à Internet — et contribuer au trafic du moteur de recherches, sans doute. Que l'on renvoie donc ces brillants dirigeants à l'étude des statistiques d'équipement et d'usages en France, par exemple celles très nourries et analysées en profondeur que publie régulièrement l'IDATE.



Si l'on était d'ailleurs sérieux sur « l'affaire de la numérisation » la volonté politique règlerait rapidement la question. Michel Rocard, qui s'exprimait dans un discours impromptu, ne mettait-il pas sa priorité sur l'économie des savoirs bien plus que sur le numérique, particulièrement irrité, semblait-il, par la chute de l'Université française dans les classements internationaux des établissements d'éducation. Dans les pages du Monde de vendredi dernier, la Bibliothèque municipale de Lyon expliquait son adhésion au programme Google Books par l'obstacle insurmontable que représentaient les 60M d'euros estimés pour la numérisation de 100 millions de pages. Dans le même temps le FSI en investissait plus du double dans les équipementiers automobiles au bord du dépôt de bilan — préserver les emplois ou le patrimoine culturel, cruel dilemme...



Estimant avoir apaisé l'odieuse pieuvre Google, Frédéric Mitterrand pouvait alors se livrer à quelques effets d'annonce : « une porte d'entrée unique du patrimoine culturel français sur Internet » (je suggère : patrimoineculturelfrancais.google.com sur un serveur offshore, puisque les relations sont au beau fixe, avec un stockage S3 chez Amazon). Ensuite, pour l'utilisation du Grand emprunt, on verrait d'un bon oeil : la numérisation des imprimés, la numérisation des salles de cinéma en HD, et, surtout, la mise en place de la radio numérique terrestre et de la télévision mobile personnelle. En quoi élever le suivi impérieux de Secret Story sur son mobile au rang de priorité nationale est-il « un enjeu éthique, politique et déontologique », pour reprendre le dithyrambe frédomiterrandien, voilà qui m'échappe quelque peu...



Au passage, le Ministre indiquait, devant un Michel Boyon, Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui faisait la chattemite et n'en pouvait mais à de tel propos, que la RNT et la TMP n'échapperaient plus aux garanties de l'autorité du CSA, qui se chargerait d'y faire respecter le droit et la civilisation !



Et c'est bien de « civilisation numérique » que Claudie Haigneré nous entretint à son tour. Dans un très curieux monologue utopique, Mme Haigneré — qui n'a d'évidence pas d'adolescents à la maison — s'inquiète de la nécessité « d'alphabétiser » la jeune génération à l'usage d'Internet. (Cette génération Y ne serait-elle pas, au contraire, en avance de plusieurs métros sur nous ? Pour ceux qui seraient tout juste revenus au pays après une longue expatriation fiscale, rappelons que c'est cette génération que nous vilipendons par la « riposte graduée » dont les vertus pédagogiques sont indiscutables et que le monde entier nous envie, refrain etc. Et que l'on s'apprête à criminaliser sous la pression de certains lobbies industriels.) Elle imagine alors des sortes de « living labs » pour éduquer au numérique dans l'Hexagone, des expérimentations in silico, des formations par le serious gaming, des universités numériques citoyennes (Syndrome du burn-out ? Ivresse de l'espace ?).



En l'écoutant, cependant, les accents de Jean-Jacques Servan-Schreiber annonçant en juin 1983 le « grand défi de l'été : l'ordinateur fait surgir la ressource humaine » me revenaient en mémoire. Flanqué de Samuel Pisar et de Raj Reddy sur une photo jaunie du Centre Mondial, Informatique et Ressource Humaine, il déclarait : « Nous avons une occasion unique. Une révolution des esprits, des rapport sociaux et des vocations de demain ». Plus loin dans ce plaidoyer précurseur : « La passion des jeunes est évidente : leur talent à la maîtrise de l'informatique, sans exception » ; il convainquait pas moins de septs ministères, les administrations régionales, la Datar de l'époque et l'Agence de l'informatique — que tout cela fleure encore bon la planification nationale — d'avoir réuni un premier lot de 2.000 ordinateurs pour l'opération « un été pour l'avenir », des centres d'accueil et d'initiation à l'informatique dans toute la France. Une envolée lyrique qui a un peu plus de souffle, même vingt-six ans après, que le mauvais pilot de la saison 1 de « France Numérique 2012 » diffusé l'année dernière !



Plutôt que ces mièvreries bien sympathiques au demeurant, on eut aimé que soit évoquée l'imminente « catastrophe des métadonnées », au rang des soucis immédiats de la numérisation massive du patrimoine culturel. Des bibliothécaires professionnels s'inquiètent publiquement de la méthode de numérisation entamée par Google. Selon eux, les méta-données, c'est-à-dire finalement la fiche descriptive qui accompagne chaque ouvrage dans une bibliothèque (auteur, éditeur, classification, etc.), seraient dans un tel état de chaos dans Google Books qu'elles rendent d'emblée inexploitable même cette bibliothèque numérique. Illustré par des exemples savoureux, parfois hilarants, cet inventaire signale et rappelle que sans contexte il n'est pas de valeur, et que les classifications, d'apparence absconse et parfois fourmillante, laborieusement mises au point et affinées par des générations de bibliothécaires (Lectures de rentrée obligatoires : The Intellectual Foundation of Information Organization après, bien sûr, La Bibliothèque de Babel de Borges — mais vous le saviez déjà) sont indispensables et constitutives de la Bibliothèque numérique.



Les papis font de la résistance



François Fillon venait clôturer ces discussions « passionnantes et passionnées » en fin d'après-midi. Dans le filage sans scrupule du story telling gimmick de sa technophilie « révélée », François Fillon nous confiait qu'il eut « dans sa carrière la chance de connaître Internet à ses balbutiements, c'était en 1993 avec le premier navigateur de la NCSA ». (Ce qui, entre nous, le mettrait parmi les quelques dizaines de personnes qui eussent pu chiper l'idée à Marc Andreesen et Eric Bina avant Jim Clark et devenir milliardaire !) On est pas loin d'Al Gore qui en 1999 déclarait qu'il avait créé Internet.



Michel Rocard avait très brillamment déminé le terrain avant le buffet dans les jardins de l'Hôtel de Broglie. Le Grand emprunt « ne le sera pas par son montant, mais par son exemplarité » avertissait-il. Ses priorités qui iraient plutôt à la croissance verte et à l'éducation sortaient renforcées de son observation qu'au Groenland — dont les cinquante sept mille habitants sont connectés en haut débit — « le passage en cinquante ans de la chasse au phoque à un équipement haut débit pour tous est une merveille socioculturelle ». De là à ce qu'on gèle les investissements...



Ce n'était pas le propos d'Alain Juppé, qui liait — parcours de NKM oblige — écologie et numérique et réitérait : « le Grand emprunt n'est pas un emprunt comme les autres ». « Nous voulons que les projets à financer participent de la création d'une croissance différente » — positive et orientée plutôt à la hausse pourrait-on souhaiter ? Quelques indications : « si nous décidons d'investir sur des infrastructures, les infrastructures numériques seront prioritaires » nous susurrait-il malicieusement.



Et pour conclure ce songe d'une nuit d'été, Alain Juppé laissait espérer : « dans le cadre du Grand emprunt, le numérique à toutes ses chances ! ». (Fin de la Saison 2 de France Numérique 2012.)



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