Aux temps protohistoriques du Net, l'ORTF, encore toute imbue de la solennelle et nationale mission d'éducation des masses, diffusait sur la première chaîne une irrésistible série de courts dessins animés de Hanna et Barbera : Satanas et Diabolo (#). Le synopsis en brillait par sa simplicité lumineuse ; son sous-titre : « Attrapez le pigeon ! », incantation comminatoire hurlée à tout bout de champ par le chef d'escadrille colérique Satanas, le résumait tout entier. Heureusement rediffusée régulièrement par le service public dans les années 1970 et 1980 puis reprise par les chaînes numériques, une très récente rediffusion, la semaine passée, dans la blogosphère vient de réjouir nos coeurs nostalgiques.
Si la mise en scène (#) en était modernisée comme il convient, à grand renfort de compte Twitter (#), de plagiat assumé de site Web Anonymous (#), de page Facebook (#), donc — nous voilà rassurés — dans la plus pure conformité au dogme du Net-activisme (#), le scénario n'eut pas même à être remanié tant intemporelle est sa démonstration. Devant le succès de cette reprise inédite, l'épisode pilote « PLF 2013 » fut suivi avant-hier d'un second (#), « OWF 2012 », à l'occasion de l'Open World Forum 2012 dont la modeste contribution à l'organisation de votre serviteur fut alors largement récompensée par la prise de bec — les pigeons vous dis-je — entre Jean-Louis Missika, adjoint au maire PS de Paris chargé de l'innovation, et Fleur Pellerin, Ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique, d'autant plus savoureuse qu'issus l'un et l'autre des rangs du même parti.
Quoiqu'il advienne de la qualification, le match joué fin septembre s'est terminé sur un score Chambo 1 - Mosco 0 qui laisse présager d'un vif échange de noms d'oiseaux au match retour. Contrainte donc de revenir sur ses annonces, aigrie par la tentative de récupération du MEDEF (#), et dans la précipitation à vouloir solder le flop médiatique de la série proposée par une chaîne concurrente (#), « France Numérique 2012 » dont on menaçait de nous assommer d'une sequel poussive, « France Numérique 2020 » aux casting improbable (#) et budget racorni, la délégation chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique pourrait ici laisser croire à son impréparation. Sentiment renforcé par la séquence Facebook contre la France éternelle jouée tout juste avant celle des #geonpi.
Car avant même la rediffusion triomphale de Satanas et Diabolo — par esprit de charité nous ne dirons rien de la distribution des rôles, chacun se rappelle, en effet, que dans sa chasse au pigeon Zéphyrin le démoniaque chef d'escadrille Satanas, outre Diabolo, son inepte délégué riant sous cape, est entouré des directeurs de cabinet Looping et Volavoile, l'un bégayant, l'autre ne pratiquant que le borborygme — le vrai-faux incident du « bug Facebook » (#) mettait en lumière la rançon de cette impréparation (#). Passe encore que la délégation chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique veuille feindre de ne pas s'être laissée prendre de court par un scoop de Metro France (#). Faut-il pour autant, communiqué patriotique publié dans la nuit même depuis une cellule de crise du Ministère, mobiliser solennellement la CNIL (#) dont le budget misérabiliste (#) serait peut-être mieux employé ailleurs, convoquer péremptoirement des « dirigeants » du réseau social — très probablement pour leur expliquer la grammaire de l'économie numérique, comme naguère la leçon d'économie si brillamment infligée par un éphémère Ministre de l'Economie à l'intolérable capitaliste de l'acier Lakshmi Mittal... avec le succès que l'on sait — alors même qu'en réaction, Facebook s'étonnait le jour même (#) qu'en 2012 l'on ne comprît pas encore le fonctionnement des messages privés sur le réseau ? Au pays qui a inventé le Minitel (rose) — que le monde entier nous envie — cela prêterait au mieux à ricaner !
Pour coiffer (temporairement) le tout, la vision romantique suffusant de la relation de cette farce hexagonale par le New York Times (#), qui alterne inexactitudes et clichés sur la France à destination d'un lectorat habitué à la contrefaçon du Woody Allen de Midnight in Paris, ferait suspecter que tant nos entrepreneurs à la française de l'Internet — par excès d'expertise et légitimement obnubilés par le rôle de vertu exemplaire dont ils (se ?) sont investis — que les têtes bien faites de notre administration à la française — par impréparation, voire ignorance du sujet — s'en remettent tous deux au Net-centrisme ambiant (#), substitut courant à la raison et la réflexion. Il est ici à craindre des manifestations à divers degrés du syndrome de Morozov (#) pour lequel aucun traitement n'est actuellement connu.