Jeudi 02 mars 2006
Devant le lamentable rang des université et des institutions académiques européennes dans le classement publié par l’Université Jiao Tong de Shanghaï, José Barroso avait suggéré début 2005 l’idée d’un « European Institute of Technology » (EIT) sur le modèle du MIT, le fameux Massachusetts Institute of Technology, véritable vivier de prix Nobel et foyer de l’innovation technologique.
Le mois dernier, le président de la Commission européenne est revenu à la charge, critiquant le monde académique pour sa fragmentation – plus de 2 000 universités et institutions académiques aspirent à un rôle prééminent dans la recherche en Europe – et pour la rigidité de son organisation. S’ajoutant à ce « saupoudrage » des ressources, la faiblesse des budgets consacrés à l’éducation et à la R&D, comparée aux efforts déployés aux États-Unis, rendait selon lui d’autant plus urgent la création de l’EIT avec l’ambition de tisser des liens plus étroits entre recherche, financements privés et industries.
Sans doute galvanisé par cette perspective, la France proposait immédiatement de contribuer à hauteur de 300 millions d’euros au projet à condition que le nouveau campus soit établi à Paris – le syndrome JO 2012 n’a pas fini de se propager ! Ce qui serait savoureux, si cela ne traduisait l’incompréhension et la confusion qui président à la réflexion politique pourtant indispensable sur l’innovation, c’est bien qu’au même moment des milliers de chercheurs aient à nouveau envahi les rues parisiennes (et autres) manifestant contre l'avant-projet de loi d'orientation et de programmation pour la recherche et l'innovation (Lopri, mais qui invente donc ces acronymes ?).
Quant au « saupoudrage » et à la fragmentation vilipendée par M. Barroso, que dire de nos soixante sept pôles de compétitivité nationaux dressés sur leurs ergots dont, précise le site competitivite.gouv.fr pas moins de neuf ont une « vocation » mondiale ! Rappelons que si l’enveloppe totale du financement de ces pôles est de 1,5 milliard d’euros sur 3 ans, en 2005 Microsoft à lui seul a investi 6 milliards de dollars en R&D, soit plus que le plus gros budget de R&D en Europe (Daimler-Chrysler avec 5,6 milliards de dollars).
Il faudrait peut-être plutôt chercher le verrou à faire sauter du côté de l’accompagnement de la transformation de la recherche en innovation, de l’innovation en produit industriel, et du produit industriel en développement de marchés. Même Microsoft, si, admettons-le, il y est aussi partiellement poussé par les recours juridiques engagés tant aux États-Unis qu’en Europe contre sa position jugée trop monopolistique, se pose aujourd’hui la question de la valorisation de cet effort massif de recherche qu’il consent chaque année.
Gage (un peu forcé) de sa bonne volonté, Microsoft annonce vouloir collaborer avec des startups dans la valorisation de la propriété intellectuelle mise au point dans ses laboratoires de recherche : Le géant du logiciel travaille déjà avec plusieurs agences gouvernementales à travers le monde, notamment en Irlande et en Finlande, où il propose des tests de codes sources qui peuvent faire l’objet d’une licence (voir le site www.microsoftipventures.com).
Tout ceci sert évidemment l’intérêt bien compris de l’éditeur : ce rapprochement de circonstance avec les PME le rend plus présent sur un marché colossal sur lequel il ne peut évidemment pas faire l’impasse (les acquisitions antérieures de Navision et de Great Plains le montrent à l’évidence), et lui permet, par ailleurs, de faire bonne contenance devant les zélotes (souvent européens) du logiciel libre et de l’ouverture complète des codes source. Il n’en reste pas moins que le procédé reflète que la politique de l’innovation est un vrai sujet aux aspects économiques, techniques, juridiques, voire politiques, qui ne peut se satisfaire de jugements à l’emporte-pièce et de pronunciamientos péremptoires, même pour les entreprises du profil de Microsoft.
Cette réflexion ne semble aujourd’hui pas être dans l’air du temps européen et encore moins le fort de notre pays. Qu’Enel se hasarde à annoncer son intérêt pour une entreprise française, et il provoque le réflexe obsidional dont nous n’arrivons décidément pas à nous débarrasser et, en conséquence, une nationalisation « en douceur ». En Espagne, Endesa convoité par E.ON organise aussi la résistance.
Dans ce secteur de l’énergie, ce n’est pas l’épouvantail technologique américain que l’on agite pour légitimer ces réactions, mais, cette fois, le grand méchant russe Gazprom dont les turbulences récentes inquiètent en haut lieu. (La typologie des épouvantails m’apparaît de mieux en mieux établie : l’américain mondialiste, odieux capitaliste libéral, grand niveleur de l’exception culturelle ; l’indien arriviste mondialisé, quant à lui, odieux exploiteur des bas coûts, imperméable au « bon » modèle social ; le russe enfin, parvenu mondialisant, odieux démiurge de trafics variés, rachetant notre Côte d’Azur et vouant aux gémonies ses oligarques qu’il encensait naguère – quant à la Chine…). Ne faudrait-il pas un peu plus de sérénité dans la modélisation des enjeux économiques des politiques industrielles de l’innovation ?
Des initiatives existent : Microsoft France a annoncé la création en France de l'initiative IDEES destinée à favoriser le développement de start-up françaises innovantes dans le domaine du logiciel. Cette initiative s'appuie sur des partenariats croisés avec des sociétés de capital risque et sur le parrainage de start-up, Microsoft France apportant un soutien technique, commercial et marketing. Dassault Systèmes a annoncé, à l’occasion d’une réunion récente de l’AFDEL, une initiative similaire à l’occasion du déménagement de son campus à Velizy.
La puissance publique a mis en route l’ANR, l’AII, Oseo, et les pôles de compétitivité mais son rôle est peut-être plus d’inciter à la mise en place d’un climat juridique, réglementaire et social favorable à cette migration de la R&D innovante à l’industrie que de s’y substituer. À l’échelle européenne, les projets IST tentent aussi de rassembler les bonnes volontés (et les crédits ! le financement reste le nerf de la guerre), les programmes 2006 sont lancés mais ils ne sont prévus que sur 3 ans. Enfin l’éducation et l’enseignement restent la préoccupation majeure dans la pérennité des effets d’une éventuelle relance de l’intérêt pour les technologies innovantes.