mercredi, décembre 12, 2007

Pour un Grenelle de l'aménagement durable du Web

La présentation de Jason Calacanis, ce matin à la conférence Le Web 3 à Paris, fut volontairement polémique. La polémique, on le sait, ne fait pas peur à l'organisateur de cette conférence, Loïc Le Meur, qui, l'année dernière avait invité sans prévenir les candidats à l'élection présidentielle à cette même conférence, déclenchant aussitôt une tempête de critiques dans la blogosphère qui vit d'un très mauvais œil l'intrusion de la politique la plus « politicienne » dans leurs retranchements technobsessionels. (Je m'étonne qu'il n'ait pas profité de cette semaine déjà fertile en controverses pour y inviter le colonel Khadafi à plancher sur la liberté du Web en Lybie : succès assuré !)

Calacanis est un « serial entrepreneur » aux opinions tranchées. Au plus fort de la bulle Internet il avait lancé avec succès la newsletter Silicon Alley Reporter - qui devait disparaître en 2001 dans la débâcle Internet du début de siècle - avant de créer Weblogs, racheté en 2005 par AOL, puis de lancer il y a quelque mois Mahalo. Ce matin il ne faisait pas bon se trouver dans le collimateur de Jason Calacanis ! Car, dans son élocution inimitable où les phrases se précipitent hors de la bouche plus rapidement même qu'il ne faut pour les prononcer, il s'en prit violemment à ceux qui, dit-il, « polluent » le Web. « Nous sommes en train de détruire le Web !» prophétise-t-il en laissant subrepticement et parfois sournoisement le spam détourner et envahir les formidables outils de communication que le Web a permis de mettre en place.

Le premier exemple choisi pour illustrer son propos est usenet, un des premiers, si ce n'est le premier, forum de discussions apparu à la fin des années 70 sur ce qui devait devenir l'épine dorsale du réseau Internet dix ans plus tard. Ne servant pratiquement plus que du spam, dit Calcanis, et des messages racoleurs destinés à appâter l'éventuel internaute non encore averti des risques graves que le « phishing » et autres vols d'identité numérique font courir à ses cartes de crédit, usenet, tombé en désuétude, sombre sous le poids même du détournement des intérêts collectifs et sociaux qui présidèrent à sa conception à l'origine. Outre que la concurrence du Web depuis 2000 et plus récemment des moteurs de recherche, qui offrent tous des « groupes » à la fonctionnalité plus ou moins équivalente, des blogs et des wikis a certainement joué un rôle au moins aussi important dans l'obsolescence de usenet, la confiscation insidieuse d'une plate-forme numérique de communication, généraliste, ouverte et « libertaire » montre, en effet, l'autre face de ce qu'on appelle aujourd'hui dans la terminologie moderne, les réseaux sociaux ou le graphe social.

Poursuivant sa démonstration, vouant aux gémonies un certain nombre de sites comme PayPerPost.com - avec attaque ad hominem en règle contre son fondateur Ted Murphy, affiché pleine page sur la diapositive avec des qualificatifs assez imaginatifs - dont le modèle est de permettre aux marques de rémunérer des bloggers pour faire leur éloge dans leurs publications personnelles, Calacanis veut attirer notre attention critique sur la facilité avec laquelle ces détournements sont facilités, involontairement ou hélas ! volontairement, par les promoteurs mêmes de ces plateformes. Articles diffamatoires sur Wikipedia, spam ou contenu stipendié dans le résultat des moteurs de recherche, fausses identités sur Facebook, les exemples se multiplient avec le développement rapide des outils et des plateformes « communautaires ». Et, plus que le « freerider » qui dans le jargon de l'économiste désigne celui qui bénéficie du bien commun sans y contribuer - « l'externalité positive », si vous voulez briller dans les blogs - ceux que Calacanis vilipende sont ceux qui détournent l'intérêt collectif à leur profit individuel.

En revanche, la cure proposée par Calacanis est peut-être pire que le mal qu'elle prétend soigner. Selon lui, il faudrait diminuer, pour certaines plateformes ou certains services, le niveau d'anonymat et exercer un contrôle plus strict à l'inscription et au login des utilisateurs. À ce sujet il cite l'exemple de Angie's List, un site où les utilisateurs s'abonnent pour quelques dollars par mois afin de lire et de poster des revues et des opinions sur les commerces locaux. Le fait de payer un abonnement devrait, d'après lui, assurer que le risque de détournement est moindre. (Ceci dit, il me semble qu'à moins d'avoir d'inquiétants moyens de coercition le site ne pourrait empêcher le fournisseur de service mal intentionné de se créer un compte à titre individuel et de l'utiliser pour tresser les louanges de son propre commerce sous l'apparence du consommateur indépendant.)

Et que dire lorsque le détournement est mis en place volontairement pour servir les intérêts politiques d'un gouvernement, comme généralement on le pense de la Chine et de quelques autres pays ? Ou encore ceux d'une corporation particulière : on pense aux débats qui agitèrent la Commission Olivennes. (Dialogue qui a l'air de s'envenimer singulièrement : Olivier Bomsel, économiste de renom et membre de ce noble aréopage, s'est récemment emporté devant la vivacité des réactions déclenchées par ce rapport et traité publiquement l'UFC-Que choisir de « secte de charlatans » ! Ceci dit, c'est assez peu surprenant de la part de l'auteur de « La gratuité c'est le vol ! » chez Grasset.)

Quoiqu'il en soit, le « Greenpeace du Web » qui viserait à le dépolluer et inciter ceux qui publient à le faire dans le respect (« Vigilance et propreté » comme on le lit sur toutes les poubelles de Paris) de son écologie menacée, attend son Al Gore. Avis aux bonnes volontés...

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