vendredi, janvier 02, 2009

2009 : Retour vers le futur

Il est devenu habituel de trouver, en cette période de début d'année, l'exercice, parfois convenu, des prédictions des observateurs de l'industrie pour la nouvelle année. (Lire, par exemple, une recension des prédictions de bloggers notables, ou encore "Cinq technologies à surveiller dans les cinq prochaines années".)

Pour ce qui concerne Christine Lagarde et Luc Chatel, point de doute, ce sera le Green IT qui occupera toute l'attention en 2009 — après tout dans Grenelle (de l'environnement) il y a aussi green. Un groupe de travail sera dûment constitué en janvier, dont on attend les conclusions au joli moi de mai 2009 (le prêtre Clément Janequin, compositeur ordinaire du Roi, le chantait déjà au XVIe siècle : « Ce mois de mai, ma verte cotte je vêtirai »). Ne doutons pas qu'après le caractère définitif des réponses apportées par France Numérique 2012 aux questions posées par l'envahissante numérisation de notre vie quotidienne et de notre exception culturelle, ce « Greenelle des technologies de l'information » achèvera de rendre « les Technologies de l’information et de la communication (TIC) moins polluantes et à favorisera leur utilisation au service du développement éco-responsable des entreprises ».

Ne soyons donc pas surpris si, en 2009, des dispositifs anciens reviennent donc au goût du jour. En commençant par le retrait progressif des contrôleurs, coprocesseurs, mémoires, coeurs graphiques et autres composants énergivores de toutes les cartes mères des ordinateurs commercialisés en France en 2009 (comme pour les ampoules à incandescence — après tout « 640K ought to be enough for anybody » avait déclaré un bien jeune Bill Gates...). Puis remettre sur les rails l'ordinateur à manivelle naguère proposé par Nicholas Negroponte. Enfin , comme sur nos autoroutes et routes de l'Hexagone, pourquoi ne pas limiter la vitesse autorisée des paquets TCP/IP sur les fibres optiques et les câbles coaxiaux français — ce qui entraînerait une nette diminution des collisions si coûteuses en octets et en bande passante — et faire obligation légale de les faire circuler tous les datagrammes phares allumés et revêtus d'un gilet jaune fluorescent et d'un triangle rouge pour fluidifier le routage.

D'ailleurs, sur le point de la consommation, l’ADEME est très claire : « un ordinateur doit être complètement éteint chez soi comme au bureau, ce qui prolonge sa durée de vie — sic. Il en est de même pour les autres appareils comme les photocopieuses ou les imprimantes. » L’agence rappelle en effet que la consommation totale des appareils en veille représente la production d’un réacteur nucléaire. Et ce, uniquement en France. Sachez également que même éteint, un ordinateur continue à se fournir en électricité pour gérer l’horloge interne notamment. Le seul moyen de ne plus consommer d'énergie est donc de débrancher complètement son PC. (Il faut dire que ces recommandations ont été publiées au coeur de la canicule de 2003.) Idem pour la consommation Internet, il faut se dégager le plus rapidement possible de cette assuétude neurasthénique à l'ADSL, génératrice de tant de pathologies et de maux sociétaux et si dispendieuse en watts carcinogènes.

Et y a-t-il seulement véritable nouveauté dans ces prédictions pour 2009 ? Un coup d'oeil à peine trente ans en arrière peut paradoxalement nous aider à discerner les sujets pressants d'actualité et à les envisager sous un autre angle :

  • En 1979, Microsoft livre la cinquième version de son Basic. Trente ans plus tard, Microsoft nous annonce Windows 7. Je laisse à chacun le soin de tirer la conclusion qu'il souhaite de ce raccourci temporel. C'est aussi en 1979 que Microsoft déménage d'Albuquerque (New Mexico) à Bellevue (Etat de Washington) — il est improbable que, nonobstant la pression réelle de ses grands concurrents, Google, IBM, Oracle, au premier chef, Microsoft n'en soit réduit en 2009 à revenir dans ses premiers locaux historiques... Steve Ballmer rejoint Microsoft en juin 1979.
  • 1979 est aussi l'année où The Source et Compuserve, les précurseurs de l'Internet version grand public, ouvrent leur Bulletin Board Service (BBS) en ligne et leur courrier électronique — via les lignes téléphoniques et à moins de 300 bauds, s'entend. Succès instantané dans plus de 200 villes aux USA pour The Source. (Dix ans plus tard, en 1989, Compuserve rachètera et démantèlera The Source. Compuserve a cessé de servir la France en novembre 2007.)
  • En mars 1979, ATT lance un réseau de téléphonie cellulaire pilote à Chicago. Xerox ouvre le Palo Alto Research Center (PARC) au coeur de la Silicon Valley.
  • Mais c'est Apple Computer qui, en 1979, fait encore le plus parler de lui : livraison de l'Apple II Plus ($1.195 et 48K de mémoire !), et de l'imprimante thermique Silentype ; sortie de Apple Pascal ; Jef Raskin lance un projet interne confidentiel, nom de code « Macintosh » (Motorola présente cette même année un nouveau microprocesseur, le 68000 ; Intel présente le sien, le 8088). En décembre 1979, Steve Jobs fait une visite, qui s'avèrera historique, au PARC.
  • Le logiciel pour PC entame ce qui se révélera être sa révolution industrielle. Wayne Ratliff, ingénieur chez Martin Marietta et membre des équipes du programme Viking de la NASA, écrit et diffuse, au JPL, un programme, Vulcan, pour PC ; le programme est renommé dBase II après qu'il le fasse distribuer par Asthon-Tate. Software Arts, une obscure boutique de passionnés de programmation pour le PC naissant créée par Dan Bricklin et Bob Frankston, publie Visicalc, distribué par Personal Software, Inc. La même année naissaient ainsi au PC la base de données et le tableur.

    De leurs côtés, SAP annonce et livre SAP R/2 et Software AG Natural.

  • Mais MITS et IMSAI, tous deux pionniers de la micro-informatique et chéris des hobbyistes font faillite et disparaissent. Schlumberger achète un Fairchild Semiconductor qui, à plus de vingt ans, commence à battre de l'aile ; Matra, encore aux mains de l'Etat, s'allie avec Harris Semiconductor.

    Novell Data Systems est fondé en 1979 comme constructeur et développeur de système d'exploitation ; Doug et Larry Michels fondent Santa Cruz Operation (SCO). Egalement en 1979, Gideon Gartner fonde sa société éponyme d'analyse et de conseil ; EMC est fondé par Richard Egan et Roger Marino pour commercialiser, distribuer puis fabriquer des cartes mémoires ; les auteurs de Zork créent Infocom en 1979 pour commercialiser les premiers jeux d'aventures en texte ; Alan Shugart and Finis Conner fondent Seagate Technology et livrent le premier disque dur au format 5,25 pouces ; Bob Metcalfe créée 3Com cette même année pour loger son activité de conseil en réseaux et systèmes ; Stan Shih fonde Acer ; VLSI technology démarre en 1979.

Trente ans plus tard, quelles questions occupent l'esprit des analystes et des bloggers de tous horizons ?

  • Microsoft bien sûr : Windows 7 qui, à peine annoncé, est déjà piraté ; le départ à la retraite de Bill Gates qui laisse la question du leadership technologique du géant de Redmond ouverte pour la première fois ; la consolidation autour des services Web et la concurrence acharnée des jeunes titans de l'Internet qui n'ont jamais autant mis Microsoft de se réinventer : l'esprit d'Albuquerque n'est peut-être pas si loin.
  • Internet évidemment qui a englobé définitivement les Compuserve, The Source, AOL et autres Calvacom dans une toile mondiale et universelle. En 2008 déjà et en 2009, cette universalité et cette « neutralité » menace d'être mise en cause. L'esprit universitaire, hobbyiste et communautaire de ses modestes débuts fait encore un peu de résistance face au déploiement commercial tout en publicité en ligne, en moteur de recherche, en extranets d'entreprise et en services Web personnalisés, certes, mais contrôlables et parfois intrusifs. Qui plus que Google illustre cette tension ?
  • Le pilote d'ATT en 1979 est devenu un phénomène mondial et la téléphonie mobile s'est aujourd'hui banalisée. Elle reste, en 2009, un des principaux vecteurs d'innovation technologique et de nouveaux services.
  • Comme il y a trente ans, Apple, qui a perdu son « Computer », fait parler de lui auprès d'une génération qui ne la connaît principalement que par l'iPod et l'iPhone. Ces deux produits redéfinissent des pans entiers de l'industrie, comme l'a fait le Macintosh en son temps, tous deux projetés par le visionnaire génial, revenu à la tête de l'entreprise qu'il a créée et qu'il dirigeait déjà en 1979, Steve Jobs, dont la santé déclinante inquiète de plus en plus.
  • Peut-on dire qu'après trente ans, le logiciel d'entreprise pour PC (puisque celui-ci a envahi le monde du travail) en a terminé avec sa révolution industrielle ? L'industrie du logiciel ne suit elle pas désormais les grands cycles économiques industriels classiques ? Ne devient-elle pas, comme la qualifiait naguère le Gartner Group, une industrie de « commodités » ? 2009 : la fin de l'histoire de l'enterprise software ?

    Sûrement pas : l'Open Source devrait en 2009 marquer un progrès encore plus important que durant ces dernière années. Se posant explicitement comme alternative aux modèles de développement et de diffusion du logiciel de ces trente dernières années, l'Open Source et les logiciels libres prennent une part croissante des marchés de l'informatique d'entreprise et des administrations (surtout en Europe où le libre est aussi affirmé comme position politique).

  • Enfin la disparition des pionniers de 1979 nous rappelle, s'il était nécessaire, que la crise économique actuelle s'étendra en 2009 — si même ce n'est pas déjà commencé au dernier trimestre 2008 — à tout le secteur informatique. Les fondeurs taïwanais ne produisent plus à pleine capacité, les constructeurs et les équipementiers souffrent de trésoreries tendues, les SSII cessent de recruter, les investissements informatiques ralentissent : l'industrie n'est plus à l'abri des tempêtes économiques et financières.

Et comme pour accentuer cette impression de « retour vers le futur », c'est en 1979 que la FCC impose aux USA une nouvelle réglementation aux constructeurs naissants de PC pour contrôler le niveau d'émission de radiations des machines qu'ils produisent afin de « protéger l'environnement et les utilisateurs » : le Green IT, bien avant l'heure ! À vos bonnes résolutions pour 2009.

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