samedi, octobre 03, 2009

L'Open Source dans tous ses éclats.


Pourrait on dire qu'un certain degré de maturité d'une industrie devient reconnaissable lorsque qu'apparaissent les premiers appels à la consolidation et à l'unité ? La conférence LinuxCon, organisée à Portland du 21 au 23 septembre dernier, et l'Open World Forum à Paris, le 1er et 2 octobre, présentaient un fascinant panorama du statut actuel de la variété foisonnante de l'Open Source.



Mark Shuttleworth — extraordinaire champion de l'Open Source, tour à tour entrepreneur rendu millionnaire par la bulle Internet en 1999, cosmonaute en 2002 (!), fondateur en 2005 de la distribution Linux Ubuntu et généreux bailleur de fonds de la fondation qui en assure le développement, « parrain » de KDE eV, l'organisation qui assure le développement de KDE —, invité aux deux manifestations condensait cette idée en trois mots: « cadence, quality and design » à propos de Linux pour les postes client.



Les annonces récentes d'Intel autour de Moblin, bien sûr, et la politique de communication de Google autour d'Android et Chrome OS ont en effet relancé un débat « Desktop Linux » qui s'était quelque peu étiolé. Mais Shuttleworth a fustigé les obstacles qui encombrent encore, selon lui, la vision irénique d'un Linux pour tous (for the rest of us, dirions nous si nous ne craignions les foudres juridiques d'Apple — lire plus bas !). Linux souffrirait d'un manque de coordination à grande échelle des livraisons des innombrables applications Open Source que leurs communautés respectives se retrouvent à développer et maintenir pour des distributions diverses et variées au prix de coûteux et laborieux efforts. Cadence dans les livraisons qui, respectée par l'orchestre des développeurs, serait, de plus, source d'une meilleure qualité de code globale. Enfin, d'après le dictateur d'Ubuntu auto-intronisé, il est plus que temps que « l'expérience utilisateur » prenne le pas sur les seules considérations technologiques et que le design des interfaces utilisateurs, par exemple, entre prioritairement en ligne de compte. (Une page, encore, tirée de l'historiographie d'Apple.)



Tout ne serait donc pas si simple dans les communautés ! Impression renforcée par les derniers émois causés par Google autour d'Android. L'année dernière, Google avait entraîné des équipementiers et des opérateurs téléphoniques à former avec elle l'Open Handset Alliance pour développer Android, « la première plateforme ouverte et libre de téléphonie ». Avec l'infrastructure OS issue du libre, Google livre avec les terminaux Android un jeu d'applications essentielles, mais propriétaires, comme, par exemple, la synchronisation des données, ou encore GMail, Market, YouTube, etc. Un groupe de développeurs s'était alors emparé de ce bouquet «  OS + applications » et en avait modifié la partie libre (OS) et ré-inclus les applications Googles intactes : Cyanogen améliorait ainsi la performance de l'ensemble. (D'ailleurs si Cyanogen n'avait pas inclus ces applications, son utilité devenait discutable puisque Google ne fournit apparemment pas de moyen d'installer ses applications sur un terminal ne disposant que de l'OS.) Au fur et à mesure que le succès de Cyanogen croissait, Google s'inquiétait de voir ainsi distribuées ses applications propriétaires et sous copyright. Fin septembre Google passait en mode Microsoft et faisait parvenir les fameuses « cease and desist letters » à Cyanogenmod. La communauté s'en est évidemment émue, mais amenée à réfléchir sur les architectures technique et juridique de ses développements, elle semble aujourd'hui vouloir composer et afficher une attitude réfléchie et raisonnable.



Micro-débat peut-être, mais exemplaire, dans une discussion plus large sur le contrôle effective du terminal téléphonique : peut-il et/ou doit-il être une plateforme ouverte ? En toile de fond : Google et Apple ont maintenant porté leur dispute sur l'(in)disponibilité de l'application Google Voice sur l'AppStore devant la FCC. Histoire d'ajouter à la confusion, AT&T vient de déclarer à la FCC que, selon elle, Google Voice fonctionnerait en violation de la « Neutralité du Net » — ce qui dénote un certain aplomb chez l'ancien monopole des télécommunications, par ailleurs lié à Apple, lui même attaqué sur l'interopérabilité, par des accords d'exclusivité sur l'iPhone. (Google contre-torpille l'attaque d'AT&T dans une réponse rendue publique il y a quelques jours.)



Bref, le mélange libre/propriétaire, qui constitue l'un des modèles importants de diffusion commerciale de l'Open Source, reste toujours aussi délicat et sujet à effervescence rapide ! Nous n'en avons d'ailleurs pas fini avec le débat sur la bonne position de la frontière entre libre et propriétaire dans les modèles hybrides de commercialisation, nous annonçait Matthew Aslett du 451 Group à l'Open World Forum. Au-delà des vitupérations colériques de Stallman contre le cloud computing, le succès annoncé de cette réincarnation contemporaine du modèle client-serveur posera à nouveau la question des frontière entre Open Source et propriétaire. Les plateformes cloud computing peuvent-elles et/ou doivent-elles être complètement ouvertes ?



L'autre question sous-jacente aux précédentes, qui puisqu'elles pourraient finalement mettre en jeu l'équilibre de pans entiers de l'industrie des technologies de l'information relèvent peut-être à ce titre d'une politique industrielle, est bien alors celle du rôle de l'Etat dans l'orientation vers leurs éventuelles solutions. Au moment où l'ICANN réussissait à redéfinir ses liens d'inféodation au Département du Commerce américain en laissant une plus grande place aux organisation non-lucratives et aux autres pays (lire l' « Affirmation of Commitments » qui s'y substitue), le gouvernement français apparaît plus qu'empêtré dans le lacis qu'il a lui-même tissé de loi Hadopi 2, de défense du patrimoine culturel et de la question de sa numérisation (BNF contre Google ? Le livre numérique français, alternative au démon américain ?), de sa position sur le « paquet Telecom » et la Neutralité du Net à Bruxelles et de l'imminence du couvercle panoptique et carcéral, LOPPSI 2 — opportunément rappelée par la Quadrature du Net à l'Open World Forum — alors qu'en même temps il encourage ses administrations à passer à l'Open Source. (L'Open World Forum est sponsorisé notamment par la Mairie de Paris, la Région Ile-de-France, l’Agence Régionale de Développement de Paris Ile-de-France et la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, par exemple.) Exception culturelle française sans doute.



Mark Taylor de Sirius nous y expliquait que le gouvernement britannique avait adopté une politique volontariste d'encouragement et d'accompagnement de l'Open Source à tous les niveaux de ses administrations. Quant au Brésil, non content d'obtenir les Jeux Olympiques de 2016 au nez et à la barbe d'un Obama venu à Copenhague défendre les mérites sa ville de Chicago, il était récompensé à l'OWF en la personne de Corinto Meffe, du Ministère du Plan, comme le pays le plus favorable et ouvert à l'écosystème du libre. (Il est temps que je revisite Lua — à défaut de Rio de Janeiro...)



Ici, invité à s'exprimer par les organisateurs de l'OWF, Michel Cosnard, PDG de l'établissement public, a annoncé la création d'un Centre d'innovation et de recherche en informatique sur le logiciel libre (Cirill). Dans son communiqué, l'Inria explique que le logiciel libre a un rôle de plus en plus important à jouer dans le développement de la société numérique, mais qu'il faut l'étudier sous tous ses aspects : « Le logiciel libre est un objet complexe qui recouvre plusieurs dimensions aux logiques éventuellement contradictoires : il peut ainsi être à la fois un vecteur de la diffusion scientifique et un objet de recherche, un vecteur du transfert technologique et un objet industriel ». Eclats de rires : comme quoi on peut être dépositaire de la pensée neutraliste, puisque l'Inria avait antérieurement signé un partenariat mettant en place (et finançant !) un laboratoire commun de recherches avec Microsoft !



Là, les consortium OW2 et Open Solutions Alliance annonçaient dans des éclats de joie leur mariage. Ailleurs, Jim Zemlin de la Linux Foundation, appelait les audiences de l'OWF à plus d'interopérabilité pour éloigner la menace de fragmentation et d'éclatement qui pèserait selon lui sur la communauté FOSS. Ailleurs encore, les querelles internes éclataient dans la presse et s'épanchaient au grand jour, le quotidien financier La Tribune reprenant les déclarations, aux Assises du Numérique (tenues le même jour que l'OWF !), de la SSLL Linagora, ostensiblement absente de l'Open World Forum...



Pour conclure, c'étaient plutôt les éclats scintillants des awards pour les plus méritantes startups de l'Open Source dont on préfèrera se souvenir. Cinq furent distinguées mais toutes venues du monde entier méritaient de l'être :




  • Univention pour son serveur applicatif à destination des PME ;

  • Kerlabs pour la mise en cluster de Linux ;

  • Sonar Source (*) pour ses outils de contrôle-qualité du code source ;

  • Ulteo (*) pour son bureau virtuel libre multi-OS ;

  • MindTouch pour ses réseaux sociaux d'entreprise ;

  • PrestaShop pour ses composants libres d'e-commerce ;

  • Avalpa pour ses solutions de TV numérique ;

  • ActiveEon pour sa parallélisation libre ;

  • Kaltura (*) pour sa plateforme vidéo libre ;

  • BonitaSoft (*) pour sa plateforme Business Process Management (BPM) ;

  • Ecocube pour son IPBX virtuel et ouvert ;

  • Agiletec pour sa plateforme de publication de portails/intranets ;

  • XWiki pour sa plateforme de collaboration ;

  • The Learning Machine pour ses certifications et ses programmes d'e-learning ;

  • Sociatom pour ses réseaux sociaux d'entreprise ;

  • Many Designs pour son IDE Model Driven Architecture (MDA) ;

  • Maarch pour sa gestion documentaire ;

  • ScaleDB (*) pour son clustering de MySQL ;

  • Weelya pour son moteur de communication temps réel sur le Web ;

  • Linutop pour ses mini-PC Linux embarqués tout-en-un ;



Félicitons également les nombreux autres projets candidats qui sont parvenus à l'OWF pour cette première édition de l'Open Innovation Summit : rendez-vous l'année prochaine !



Jean-Pierre Laisné de Bull et OW2 inclinait au développement durable et donnait dans la préservation de la biodiversité : dans l'analogie qu'il tirait, le libre est comme la forêt primaire, sa canopée héberge une fantastique diversité de projets Open Source dont l'entrelacs des branches qui se croisent et s'entrecroisent représentent leur processus de développement organique. De ce bois dont l'Open Source serait métaphoriquement fait on distingue déjà les forêts primordiales, comme GCC, Linux ; les forêts cultivées, comme MySQL ; les pépinières et les jardins botaniques comme la fondation Apache ; enfin les IKEA comme Canonical ou Red Hat. Mais, s'interrogeait-il, où sont les grands parcs nationaux encore à constituer pour encore et toujours pousser et diffuser plus largement l'Open Source ?



(Dans l'histoire des National Parks américains, c'est en 1874 que le Congrès établit le Yellowstone après avoir, quelques années avant, fait la donation de la Yosemite Valley à la Californie en 1862, pour la préservation de la nature et de la vise sauvage. La période qui s'étend de 1850 à 1920 vit ainsi, aux Etats-Unis, la sensibilisation progressive de l'opinion publique à la préservation de l'environnement naturel au moment ou l'urbanisation et l'industrialisation rapides du pays changeait irréversiblement le mode de vie. Il y a certainement des leçons sur la gouvernance, individuelle et collective, progressiste et conservatrice, à tirer de l'étude de l'histoire des débuts des National Parks. Comme de celle, disait Jim Bessen, qui intervenait avant Jean-Pierre Laisné, de l'intelligence et l'invention collectives des matériels et processus qui firent naître et accompagnèrent la révolution industrielle. L'éclat du passé illumine toujours l'avenir...)



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