jeudi, mai 27, 2010

Les libres Clodoaldiens


Vous aviez raté l'épisode pilote de France Numérique 2012 lors de la diffusion de la Saison 1 en octobre 2008, une série IP-télévisée au succès retentissant (Hadopi I, Hadopi II, ACTA, Albanel: le retour téléphoné, etc.) malgré un Eric Besson bien peu inspiré — tout le monde n'est pas Luc —, et de toute manière sur le départ ? Vous n'aviez pu assister à la Saison 2 jouée en septembre 2009, dans laquelle NKM twittait le rôle d'une Abby Sciuto dans le post mortem du Grand Emprunt — qui n'est, rappelons le, pas encore levé ! Rassurez-vous, la Commission Européenne vous offre aujourd'hui le replay TV des meilleurs épisodes !

 



Sous le titre moins ronflant mais lourd de promesse de Digital Agenda, la Commission Européenne livre en effet son ambitieux plan numérique pour « élever bien-être et prospérité en Europe ». Quand on rappelle (cruellement) l'objectif de la « Stratégie de Lisbonne », adoptée par le Conseil européen en mars 2000, en pleine bulle Internet : « qui fixe pour l'Union Européenne l'objectif de devenir, d'ici à 2010, l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », ne peut-on craindre que ces nouvelles incantations ne tournent court, elles aussi... D'autant plus, qu'avec un sens parfait du timing, elles sont énoncées comme un fait exprès à l'instant même où la crise grecque donne une saveur tout à fait particulière à la déconfiture européenne dans la tempête financière mondiale. Espérons ne pas avoir à attendre dix ans pour voir ce qu'il y a à sauver de ces louables déclarations d'intention: le Digital Agenda prévoit 16 actions clé et leur calendrier souhaité d'application.

 



Nous relèverons, quant à nous, la réaffirmation de l'attachement de l'Europe à l'interopérabilité et à l'ouverture des systèmes (action clé n°5). Voilà qui renforcera sans doute l'ancrage de l'Open Source dans les systèmes d'information de l'administration après les débats nationaux et houleux préalables à l'adoption du RGI.

 



C'est également de bon augure pour la petite congrégation des Clodoaldiens qui se proclamèrent libres, jeudi dernier, à la Bourse du Commerce de Paris. Fomentée par les suspects usuels du libre, la première conférence sur Open Source Cloud se tenait la semaine dernière en partenariat avec la Free Cloud Alliance. C'était l'occasion de mettre en avant les initiatives des différents chapitres clodoaldiens libres, en particulier :

 




  • L'Open Source Cloudware Initiative (OSCI) du consortium OW2 dans lequel Bull, France Telecom et l'INRIA mettent en commun des solutions de logiciel Open Source pour la couche IAAS (Infrastructure as a Service) ;


  • Le projet CompatibleOne du Groupe thématique Logiciel Libre du Pôle de compétitivité mondial System@tic, co-labellisé — notons le ! — par le Pôle de compétitivité, tout aussi mondial, de la région Paca SCS (Solutions communicantes sécurités, spécialisé dans les objets communicants notamment), qui vient de recevoir un financement de 10,5M Euros. Ce projet oecuménique, sous la bienveillante tutelle de la France, devrait prôner l'irénisme parmi la tumultueuse foule de prétendants à la béatitude clodoaldienne, horresco referens tous nord-américains. En s'attaquant aux problèmes d'interopérabilité et de compatibilité, au niveau IAAS et PAAS (Platform as a Service), entre les différents clouds du marché (Amazon, VMWare, RackSpace, Microsoft, Google, etc.), par le développement et la promotion de logiciels libres, CompatibleOne permettrait aux brebis (françaises) inconsciemment égarées dans les nuages américains de migrer en retour vers les clouds de dégrisement souverains et nationaux dont Le Grand Emprunt devrait financer le développement tardif dans la prochaine décennie. (Une sorte de Peuple Migrateur Open Source.)



Car si l'agitation fébrile secoue les pôles qui se déglacent, ce n'est pas l'hypoxie qui guette, mais bien la réalisation abrupte que le développement du cloud computing n'est pas sans impact sur l'économie, bien sûr, mais plus encore sur certaines questions de souveraineté. La prise de conscience des enjeux donne lieu à plusieurs initiatives, au-delà de celle des Clodoaldiens libres (maintenant reconaissables à leur cuculle lumineuse) : initiatives publique et privées se sont emparées récemment du sujet dans un bel ensemble.

 



François Fillon l'a dit, le cloud computing est une priorité du Grand Emprunt. Le Commissariat général à l'investissement — comme cela fleure bon le Gosplan néo-Colbertiste ! — devrait rapidement formuler sa stratégie dans ce domaine et décider des premières allocations de cette poche du Grand Emprunt — qui, vous l'ai-je fait déjà remarquer ? reste encore à lever. Déjà les prétendants de la sphère militaro-industrielle se bousculent et le Cloud Français est sur les rails, si on peut dire.

 



Le projet au nom de code Andromède regroupe en effet Dassault Systèmes, Thales et Orange autour du développement d'une plateforme cloud computing de confiance, nationale et souveraine : une « centrale numérique » hexagonale qui ouvrira la marche triomphale de la Nation contre le libéralisme hégémonique (et sauvage) de l'Amérique. (Notons la trouvaille remarquable — promise à faire flores — de l'expression « centrale numérique », pour datacenter, empruntée au vocabulaire du nucléaire conquérant des trente glorieuses dont la France se complaît encore à s'enorgueillir comme des trophées d'une gloire passée — voir Kepco dans les Emirats et la position délicate de Mme Lauvergeon dans le contexte actuel.) Encore faudra-t-il donc que la centrale numérique accouche d'un nuage qui ne soit pas de Tchernobyl !

 



Dans la sphère privée aussi, on se précipite. Le 10 mai dernier, l'ADEN publiait son Livre blanc proposant rien moins que des « clouds communautaires locaux » pour la dilapidation du Grand Emprunt — dont, je crois me souvenir, qu'il n'est pas encore vraiment levé. Il mêle harmonieusement les buzz du moment : communauté d'utilisateurs, cloud computing et aménagement du territoire, car, on l'élude assez rapidement, les centrales numériques ont aussi un impact sur l'environnement qui pourrait contrevenir aux déclarations incantatoires sur le développement durable. (Dont, il est vrai, qu' « elles commencent à bien faire ».) L'Association pour le développement de l'économie numérique en France, avec comme chef de file VMWare en l'occurrence, cherche donc à équilibrer les considérations d'emploi, de green IT, d'aménagement des régions et de mutualisation des usages dans la planification des fameuses centrales numériques avec ce concept de moteur hybride, le cloud communautaire local. En fait, un réseau de clouds communautaires locaux interconnectés à terme, visant « à garantir l'indépendance technologique et industrielle de la France, tout en dotant ses territoires des ressources et moyens technologiques indispensables au développement de leur économie, de leur attractivité et de leur compétitivité ».

 



En ce printemps tardif, il est donc beaucoup question de nuages sous toutes les formes et l'imagination de nos conseillers, consultants, prosélytes du libre, industriels, groupes d'influence et lobbies variés s'est rapidement enfiévrée. Il est difficile de ne pas s'en inquiéter au regard du contraste saisissant offert par le paysage concomitant de l'économie européenne et des résultats inexistants de la « stratégie de Lisbonne » décrétée avec le même volontarisme unanime de l'Europe il y a maintenant dix ans.

 



mardi, mai 18, 2010

Internet : social ou anti-social ?


La recherche d'un équilibre satisfaisant entre respect de la vie privée et appétit pour l'échange d'information sur les réseaux sociaux et les services Web 2.0 semble décidément bien chaotique et difficile ! Prenons deux exemples emblématiques qui offusquent ces derniers jours certains quartiers de la blogosphère : Facebook et Google.



Eternellement à la recherche d'un business model — c'en est d'ailleurs presque devenu la marque de fabrique du site — Facebook semble depuis quelque temps pratiquer la stratégie du fait accompli. En décembre dernier, le site communautaire de partage transformait le profil de ses membres en une « identité en ligne » commercialisable à son profit, auprès d'annonceurs publicitaires par exemple, sans prendre vraiment de formes pour en avertir les premiers intéressés. Des sites comme Gawker avaient alors crié à la Grande Trahison de Facebook et invité ses utilisateurs à la révolte. Plus d'ailleurs que le choix technique de laisser ces profils publics par défaut et de rendre leur configuration pour une protection raisonnable d'une complexité rebutante, on reprochait à Facebook la préméditation et la condescendance avec laquelle ces agissements furent ourdis.



Par le passé, en 2007 et 2008, Facebook avait comploté plusieurs tentatives similaires avec son système « Beacon » de collecte automatisée d'information sur les membres du réseau par des tiers parti — finalement retiré devant le tollé général —, ou encore avec les modalités de mise à jour de sa version 2.0 à la version 3.0. Mais, il y a encore deux ans, le réseau social n'était peut-être pas aussi fort qu'il pense l'être aujourd'hui.



Google a connu la même mésaventure avec le récent fiasco de l'introduction de « Google Buzz », un service hybride de partage et de microblogging, dans son propre service de courrier électronique GMail. Même option : le défaut est de rendre publique l'information a priori privée du détenteur de compte GMail, le moteur de recherches sélectionnant automatiquement les mises en relation d'après le profil de l'utilisateur. Ici aussi, Google a du modifier sensiblement le fonctionnement automatique de Buzz en réponse au mécontentement généralement exprimé dans la blogosphère. Buzz est cependant considéré comme un très efficace réseau de spamming par la très sérieuse revue Technology Review du MIT.



Comme pour confirmer cette dérive subreptice, Facebook pousse aujourd'hui plus loin la stratégie d'amalgame entre profils et identités en ligne comme monnaie du Web, en rendant d'office publiques toutes les préférences de la rubrique « Like » du profil de ses membres : préférences musicales, lectures favorites, carrière et emplois, écoles et éducation ; tout est monnayable. La complexité accrue de la configuration de la gestion des données privée, elle-même exacerbée par l'irruption récente du réseau social sur les mobiles, font prédire à certains le déclin et la chute de Facebook !



Au même moment, Google, encore, se fait acerbement critiquer à propos du service Google Street View — qui, rappelons le, avait déjà provoqué quelques hoquets à son démarrage : « qui donc est-ce que je vois à la fenêtre de ma maison sur Street View, alors que je suis en voyage à l'étranger ? » (pour rester dans le registre du convenable), l'amenant à flouter les visages ou même à retoucher certaines photos — au motif qu'en prenant ces photos et en compilant la présence ou l'absence de bornes de réseau WiFi, le géant de Mountain View avait par inadvertance collecté des gigaoctets de trafic sur ces réseaux sans-fil privés et les avait (par inadvertance ?) conservés.



Tous ces symptômes sont révélés sur fond de batailles politiques, sourdes mais acharnées, sur la définition et la protection des données privées en Europe et aux Etats-Unis. Sous nos cieux, Google fait l'objet d'une plainte pour abus de position dominante diligentée par la Commission Européenne — sous ces mêmes cieux, décidément bien juridiques, le fameux site The Pirate Bay était débranché hier sous injonction d'un tribunal allemand saisi par la MPA américaine ! Outre-Atlantique, le député Barney Frank propose d'étendre massivement les responsabilités et les pouvoirs d'intervention de la FTC (Federal Trade Commission) en créant une nouvelle agence, la Consumer Financial Protection Agency, avec pleins pouvoirs régulatoires sur la protection du consommateur. Le président de la FTC lui-même, Jon Leibowitz, est un fervent et bruyant partisan de la réglementation des sites commerciaux et de la protection des données privées des consommateurs.



Dans une interview donnée à Esquire, Carol Bartz, CEO de Yahoo!, décrit sa vision de l'avenir d'Internet : « l'Internet individuel. Je veux qu'il soit à moi et ne pas avoir à trop réfléchir pour obtenir ce dont j'ai besoin. D'une certaine façon, je voudrais que ce soit HAL, qu'il apprenne à me connaître, qu'il sache mes préférences et mes goûts, et qu'il filtre toute cette masse volumineuse d'information à ce crible pour trouver exactement ce que je veux. »



On meurt d'impatience...



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