La recherche d'un équilibre satisfaisant entre respect de la vie privée et appétit pour l'échange d'information sur les réseaux sociaux et les services Web 2.0 semble décidément bien chaotique et difficile ! Prenons deux exemples emblématiques qui offusquent ces derniers jours certains quartiers de la blogosphère : Facebook et Google.
Eternellement à la recherche d'un business model — c'en est d'ailleurs presque devenu la marque de fabrique du site — Facebook semble depuis quelque temps pratiquer la stratégie du fait accompli. En décembre dernier, le site communautaire de partage transformait le profil de ses membres en une « identité en ligne » commercialisable à son profit, auprès d'annonceurs publicitaires par exemple, sans prendre vraiment de formes pour en avertir les premiers intéressés. Des sites comme Gawker avaient alors crié à la Grande Trahison de Facebook et invité ses utilisateurs à la révolte. Plus d'ailleurs que le choix technique de laisser ces profils publics par défaut et de rendre leur configuration pour une protection raisonnable d'une complexité rebutante, on reprochait à Facebook la préméditation et la condescendance avec laquelle ces agissements furent ourdis.
Par le passé, en 2007 et 2008, Facebook avait comploté plusieurs tentatives similaires avec son système « Beacon » de collecte automatisée d'information sur les membres du réseau par des tiers parti — finalement retiré devant le tollé général —, ou encore avec les modalités de mise à jour de sa version 2.0 à la version 3.0. Mais, il y a encore deux ans, le réseau social n'était peut-être pas aussi fort qu'il pense l'être aujourd'hui.
Google a connu la même mésaventure avec le récent fiasco de l'introduction de « Google Buzz », un service hybride de partage et de microblogging, dans son propre service de courrier électronique GMail. Même option : le défaut est de rendre publique l'information a priori privée du détenteur de compte GMail, le moteur de recherches sélectionnant automatiquement les mises en relation d'après le profil de l'utilisateur. Ici aussi, Google a du modifier sensiblement le fonctionnement automatique de Buzz en réponse au mécontentement généralement exprimé dans la blogosphère. Buzz est cependant considéré comme un très efficace réseau de spamming par la très sérieuse revue Technology Review du MIT.
Comme pour confirmer cette dérive subreptice, Facebook pousse aujourd'hui plus loin la stratégie d'amalgame entre profils et identités en ligne comme monnaie du Web, en rendant d'office publiques toutes les préférences de la rubrique « Like » du profil de ses membres : préférences musicales, lectures favorites, carrière et emplois, écoles et éducation ; tout est monnayable. La complexité accrue de la configuration de la gestion des données privée, elle-même exacerbée par l'irruption récente du réseau social sur les mobiles, font prédire à certains le déclin et la chute de Facebook !
Au même moment, Google, encore, se fait acerbement critiquer à propos du service Google Street View — qui, rappelons le, avait déjà provoqué quelques hoquets à son démarrage : « qui donc est-ce que je vois à la fenêtre de ma maison sur Street View, alors que je suis en voyage à l'étranger ? » (pour rester dans le registre du convenable), l'amenant à flouter les visages ou même à retoucher certaines photos — au motif qu'en prenant ces photos et en compilant la présence ou l'absence de bornes de réseau WiFi, le géant de Mountain View avait par inadvertance collecté des gigaoctets de trafic sur ces réseaux sans-fil privés et les avait (par inadvertance ?) conservés.
Tous ces symptômes sont révélés sur fond de batailles politiques, sourdes mais acharnées, sur la définition et la protection des données privées en Europe et aux Etats-Unis. Sous nos cieux, Google fait l'objet d'une plainte pour abus de position dominante diligentée par la Commission Européenne — sous ces mêmes cieux, décidément bien juridiques, le fameux site The Pirate Bay était débranché hier sous injonction d'un tribunal allemand saisi par la MPA américaine ! Outre-Atlantique, le député Barney Frank propose d'étendre massivement les responsabilités et les pouvoirs d'intervention de la FTC (Federal Trade Commission) en créant une nouvelle agence, la Consumer Financial Protection Agency, avec pleins pouvoirs régulatoires sur la protection du consommateur. Le président de la FTC lui-même, Jon Leibowitz, est un fervent et bruyant partisan de la réglementation des sites commerciaux et de la protection des données privées des consommateurs.
Dans une interview donnée à Esquire, Carol Bartz, CEO de Yahoo!, décrit sa vision de l'avenir d'Internet : « l'Internet individuel. Je veux qu'il soit à moi et ne pas avoir à trop réfléchir pour obtenir ce dont j'ai besoin. D'une certaine façon, je voudrais que ce soit HAL, qu'il apprenne à me connaître, qu'il sache mes préférences et mes goûts, et qu'il filtre toute cette masse volumineuse d'information à ce crible pour trouver exactement ce que je veux. »
On meurt d'impatience...