mercredi, juillet 14, 2010

Le jeu social, enjeu stratégique

Comme le rappelait Alan Kay c'est au grand scientifique Doug Engelbart, plus connu pour son invention de la souris, que l'on doit l'idée que l'ordinateur, s'il devait être utile, devrait être considéré comme un « amplificateur de l'intelligence collective » des groupes sociaux. (Il remarquait, dans le même souffle, que les organisations ignoraient en général ce qu'elles savaient et que leur préoccupation légitime de la rationalisation des processus d'atteinte de leurs buts ne leur donnait guère l'occasion de s'intéresser à la pertinence et à la définition de ces mêmes buts.)


 



Ces paroles oraculaires résonnent d'autant plus aujourd'hui à nos oreilles post pop culture, que l'ordinateur (conceptuel) de l'Engelbart visionnaire de 1968 s'est aujourd'hui métamorphosé en un Web mondialisé. Les évolutions récentes du Web vers le « Web social », ou le Social Graph dans les API vernaculaires de Facebook et de Google, ne sont finalement qu'un retour à la fameuse proposition remise au CERN en 1989 par Tim Berners-Lee. D'une première génération qui n'en avait retenu que les idées de liens et d'hypertexte, le Web, tissage de liens fixes entre documents statiques, est, en effet, en pleine mutation. L' incorporation des médias « sociaux » produits tout autant que consommés par ses propres utilisateurs — comme, d'ailleurs, dans la vision originelle de Berners-Lee — change la nature du Web.




 



Comme les systèmes de neurones miroir le graphe du Web, instrumenté par les liens HTML, devient le support d'un graphe social des activités coopérativement engagées, dont l'intelligence collective amplifiée agit à son tour — effet spéculaire entrevu par Engelbart — sur son propre support. Avez-vous remarqué, par exemple, sur le site du vénérable New York Times la barre d'outils, au sommet de l'écran, qui affiche les activités et recommandations des membres de votre réseau social sur ce site ?




 



L'API Facebook Connect peut déjà être utilisée pour identifier un visiteur sur un site extérieur. Ainsi pour l'internaute, son (ou ses) profil Facebook devient mobile et le suit maintenant dans sa navigation. Facebook étend ainsi subrepticement la capture d'information sur le comportement de ses membres sur le Web — avec en vue, n'en doutons pas un instant, la fameuse « monétisation » de son graphe social en pleine expansion, par exemple par la publicité ciblée. Les sites visités, en retour, acquièrent une information précieuse sur les liens sociaux unissant leurs visiteurs à leurs cercles de friends sur Facebook, comme autant de nouveaux clients ou de prospects à venir.




 



Dans le mouvement général qui voit ce type d'interactions dites « sociales » prendre progressivement le pas sur l'usage individuel et classique du Web, navigation ou recherche, tout en le transformant — les travaux actuels sur la «  collective search  » nous entraînent rapidement sur le territoire de l'économie ou de l'Intelligence Artificielle — le Web social devient le nouveau terrain de concurrence des géants de l'Internet. Malgré le fiasco médiatique de Google Buzz lancé précipitamment en février dernier pour « dépasser » Facebook, Google n'a certainement pas abandonné l'idée de s'imposer sur ce marché tout juste défriché. À peine revenu, par la petite porte, en Chine, Google s'apprêterait à relancer un réseau social à sa façon : Google Me, sur la base des Google Profiles.




 



Alors que l'on commente à bon train ces rumeurs de relance « sociale » chez Google en exhumant la litanie des expérience mitigées du géant de Mountain View, Google Buzz, Google Wave, Orkut comme autant de déceptions n'est-ce pas plutôt vers un secteur bien différent qu'il faudrait tourner le regard : les jeux ?




 



Quoi de plus social que le jeu ? Quoi de plus social que le « je » ?



 



Pour ceux qui auraient choisi l'exil fiscal sur des plates-formes pétrolières abandonnées en haute mer sans liaison ADSL ni WiFi depuis 2006, précisons que l'une des activités croissantes sur le réseau social Facebook, hors de l'exhibitionnisme forcené de rigueur, est tout simplement le jeu. Pas uniquement les jeux classiques (Poker, Batailles navales, etc.) mais surtout le «  casual gaming  » et des jeux persistants qui, comme les simulations, continuent de tourner même lorsque le joueur se déconnecte.




 



Est-ce bien sérieux ? Certainement bien plus que le serious gaming cher à NKM (48 projets se partageront 20M Euros), en tout cas. Que l'on en juge : Zynga l'éditeur de FarmVille, emblématique du casual game sur Facebook — et maintenant sur iPhone — a levé plus d'un demi milliard de dollars dont un investissement de Google, qui aurait été discrètement réalisé la semaine dernière, pour un montant de 100 à 200 millions de dollars !




 



Le jeu, même casual, peut-il être considéré comme une plate-forme sociale ? Dis moi avec qui et à quoi tu joues... En tout cas, Google pourrait ainsi mettre la main sur le réseau social des joueurs de Zynga, dont une partie (sans rire, on appelle ça une clique en théorie des graphes) est également dans le graphe social de Facebook : une tête de pont intéressante dans le (méta ?) jeu de stratégie entre les géants de l'Internet pour la domination du Web social.



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