dimanche, octobre 17, 2010

Le Droit à l'oublie numérique


Inutile de chercher sur la belle photo de groupe du 14 octobre dernier dans les riches salons du Secrétariat d'Etat à la prospective et au développement de l'économie numérique, ni Google, ni Facebook ne s'affichent aux côtés d'une rayonnante Nathalie Kosciusko-Morizet brandissant l'indispensable Charte du droit à l'oubli dans les sites collaboratifs et les moteurs de recherche.

Nous eussions préféré une Charte du droit à l'oublie numérique qui confirmât la doctrine de transsubstantiation numérique qui semble tant préocupper notre gouvernement — au moins depuis France Numérique 2012 : littéralement la transformation d'une substance en une autre, la transformation (consubstantielle, donc) de l'identité du citoyen en avatar numérique lors de son raccordement ADSL à Internet. (On s'est quand même posé la question en 2009 : l'accès à Internet est-il un droit fondamental ? Dans sa glose, la théologue Christine Albanel se prononçait à l'époque contre cet excès de simonie; elle prêche maintenant la contre-réforme comme Directrice de la communication chez Orange.)

En effet, l'internaute français moderne, tel la goûteuse oublie du Moyen-Âge, est cuit entre deux fers, celui de l'accès triple-play dont la hausse des tarifs est programmée et celui de la Nouvelle surveillance des archanges Lopsi et Hadopi (en attendant la seconde cuisson de la neutralité du Net). L'oublie était habituellement roulée en cylindre creux comme le câble Ethernet Cat-5, certainement pour rappeler sans relâche le rite de la connexion à haut débit. (Cependant, lorsque les Ragueneau la roulent en cornet, l'oublie prend le nom de plaisir, précise le Littré.)La Charte se préoccupe de la gestion des données publiées intentionnellement par les internautes. Cette précaution liminaire exclut donc fort heureusement toutes celles qui le sont involontairement ou au mépris des intentions du dit internaute: les données utilisateurs liées aux nombreux protocoles de communication comme IP, UDP, BitTorrent, DNS, SSDP, TCP, IGMP, ICMP, par exemple, cette nourriture indispensable à la deep packet inspection discrète jusque-là des opérateurs et aujourd'hui sanctuarisée au grand jour par Hadopi.

Facebook qui n'en finit pas de se prendre les pieds dans le tapis de la protection des données privées, était probablement trop empêtré dans l'annonce de son dernier changement de politique de gestion des données utilisateur pour se rendre à l'invitation au prosélytisme du Secrétariat d'Etat. Quant à Google, il n'est en France pas en odeur de sainteté ! Rappelons qu'il y a, à ce jour, deux affaires Google qui chatouillent l'Exception culturelle Française. D'une part, il y a la procédure lancée aux États-Unis en septembre 2009 par l'Authors Guild, la plus grande association d'écrivains américains, contre Google accusé de vouloir exploiter des oeuvres numérisées sans l'autorisation des ayants droit. À la suite d'une forte mobilisation des auteurs et des éditeurs, le règlement léonin de cette procédure ne s'étend plus, comme à l'origine, à tous les livres étrangers présents sur le territoire américain. D'autre part, il y a, en France, la procédure initiée par le groupe La Martinière en juin 2006. Le Tribunal de grande instance de Paris s'est prononcé le 18 décembre 2009, condamnant Google pour atteinte aux droits patrimoniaux et au droit moral. Google a fait appel de ce jugement et rien n'est encore définitif aujourd'hui. Ce même 14 octobre qui vit la révélation de la Charte, Frédéric Mitterand concluait le colloque Les enjeux de la gestion collective pour l'écrit sur un ardent plaidoyer pour la défense de la gestion collective des droits, toujours sur ce même thème. On comprend donc qu'avec pas moins d'un ministre et d'une secrétaire d'Etat au four et au moulin oblayers de circonstance, Google, l'hérétique assumé, ait jugé prudent de s'abstenir !

Quant aux prosélytes de la Charte, promis à figurer aux premières pages d'une Histoire ecclésiatique du numérique dont on attend un nouvel Eusèbe pour l'écrire, à eux, les bienheureux, les oublies, fougasses, tourtillons, brassardeaux, échaudés, fouaces, pepelins, gaufres et autres cachemuseaux...



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