Nous étions revenus — avec nostalgie — du campus de l'École polytechnique en juin 2009, à l'occasion de l'inauguration en fanfare de la Chaire « Optimisation et Développement Durable » (OSD) de Microsoft, du CNRS et de l'X, en nous interrogeant sur l'intitulé même de ce projet commun de développement de la recherche. Rappelons que la chaire OSD est animée par Philippe Baptiste, chercheur CNRS et à l'époque directeur du Laboratoire de recherche informatique de l'École Polytechnique (unité mixte de recherche CNRS / École Polytechnique) et par Youssef Hamadi, responsable du « Constraint Reasoning Group » à Microsoft Research Cambridge, UK, et co-responsable du projet « Adaptative Combinatorial Search » au sein du Centre de Recherche Commun INRIA-Microsoft Research. Le gratin de la recherche française en informatique et recherche opérationnelle, donc, s'alliant avec Microsoft pour réfléchir à la conciliation du numérique et du développement durable, des thématiques en apparence éloignées l'une de l'autre.
Au plan épistémologique, pas besoin d'être un constructiviste radical pour concevoir que le développement durable, s'inquiétant de l'attrition des ressources « environnementales », depuis peu considérées comme finies, ait à voir avec l'optimisation dès qu'il s'agit de répondre à cette inquiétude par un usage rationnel des dites ressources. Au plan scientifique, en revanche, les méthodes qui viseraient, d'une part, à étendre le champ applicatif de la boîte à outils hétéroclite de la recherche opérationnelle aux problèmes du développement durable, et, d'autre part en retour, à acclimater au numérique —
digitize — un environnement dit naturel dont notre perception est plutôt analogique, n'apparaissent plus aussi clairement.
Le grand mérite de la conférence-bilan à mi-étape des travaux de la Chaire OSD, tenue le 27 janvier dernier dans le green building somptueux de Microsoft à Issy-les-Moulineaux, fut précisément d'en montrer des résultats pratiques, d'usage immédiat pour des bénéfices concrets et mesurables. Dans une phase d'introduction assez convenue, Eric Boustouller se réjouissait que le Premier ministre François Fillon, flanqué pour bien faire de Nadine Morano et de Xavier Bertand, soit venu chez Microsoft le matin même rencontrer des créateurs d'entreprises et des djeunes — qu'est ce qui se passe, ils n'en ont pas à la maison, nos ministres, des djeunes ? Et pourquoi diable chez Microsoft, alors qu'on pensait que la grande expo. de djeunes désoeuvrés et sans emploi, c'était plutôt dans le neuf-trois ? Microsoft est exemplaire au plan de l'alternance et de l'emploi des jeunes, au plan de la contribution à la recherche scientifique nationale et patriotique, tout autant qu'au plan du développement durable, c'est entendu ! C'est ce que nous confirmait évidemment Xavier Michel, général Directeur-général de l'Ecole polytechnique, qui vantait le programme des Chaires ouvrant aux partenariats avec des industriels prestigieux (Renault, Total, Arcelor-Mittal, Orange, Dassault Systèmes, Valeo, Saint Gobain, Lafarge, Samsung, EDF, EADS, Société Générale, CaLyon, Microsoft, etc.), des fondations et des établissement d'enseignement. Au fait, le partenariat avec l'industrie fait-il partie des critères de classement de l'Université de Jiaotong de Shanghai ? Voilà un beau problème d'optimisation auto-référentiel !
Il revenait ensuite à MM. Hamadi et Liberti la tâche difficile d'expliquer comment l'innovation viendrait donc au secours de la planète. Pour être juste, le titre de la conférence « L'innovation au secours de la planète ? » précisément, comportait un salutaire point d'interrogation hautement significatif à nos yeux ! Dans un exposé assez passionnant, mais trop court à notre goût, étaient en effet présentés des projets concrets illustrant les applications de la programmation par contraintes multi-objectifs et stochastique la plus sophistiquée à des problèmes sociétaux courants de grande ampleur. Qu'on en juge : optimisation des transport multi-modaux, c'est-à-dire qui mêlent terre, air, mer et fer — sujet relativement classique de RO dans les secteurs de la logistique — ; réconcilitation des préférences et des pratiques des différentes organisations impliquées dans l'élaboration de politiques foncières et agricoles (affectation des parcelles, répartition des ressources, accès à l'eau, etc.), pour une problématique mêlant finance et prise de décision au regard de leur impact environnemental.
Mais un des projets phares de la Chaire OSD vise, tout à fait dans le prolongement du plan Bâtiment Grenelle en France, à déployer ces avancées algorithmiques dans le domaine de l'optimisation de la gestion de l'énergie dans les bâtiments. Quand on sait, comme le rappelait Youssef Hamadi, que ce budget énergie pour les bâtiments représente 40% de l'énergie mondiale, supérieur même à celui des transports, dont seulement 20% pour les phases de construction et de destruction, on mesure l'enjeu de la maîtrise et de la diminution des 80% massifs que représente le coût énergétique opérationnel de ces bâtiments. Rob Bernard, le très officiel Chief Environmental Strategist de Microsoft — une responsabilité que certains de nos propres grands industriels du CAC 40 seraient peut-être bien inspirés d'instaurer eux-aussi — venait confirmer l'importance cruciale de ces techniques. Et pas uniquement pour les datacenters, ces mausolées pharaoniques modernes où l'on momifie des volumes toujours croissants de données, que seule maintenant une poignée de titans fournisseurs et éditeurs de services Web peut se permettre d'ériger, mais également, précisait Rob Bernard, pour les centaines de buildings de bureaux de Microsoft à travers le monde où bourdonnent ses 89 000 employés.
L'approche originale de la Chaire OSD consiste à coupler ses recherches informatiques en programmation par contraintes à l'une des meilleures simulations de consommation énergétique des buildings, EnergyPlus, un outil Open Source développé par le Lawrence Berkeley National Laboratory sous les auspices du US Department of Energy et qui est au coeur d'une communauté hyperactive de développeurs tiers et de partenaires industriels. Ainsi la simulation numérique, qui permit déjà d'abaisser significativement les coûts de conception, devient maintenant une véritable aide à la décision dans le secteur du bâtiment, se doublant de la capacité à recommander des modifications au regard des contraintes opérationnelles environnementales. (Dans la veine de l'Intelligence Artificielle moderne, chère à mon coeur, ces travaux emploient des algorithmes génétiques à explorer l'espace des designs possible des buildings, sous les contraintes environnementales à respecter.) À l'heure où les grandes résolutions d'inspiration écologique du début du septennat patinent, confrontées qu'elles sont au principe de réalité du financement dans une économie récessive, faut-il encore qu'on ne puisse puiser qu'aux Etat-Unis — Microsoft Research, US DoE, Berkeley — des pistes d'innovation dans la simulation numérique alors que le champion toutes catégories du sujet est d'origine française ? Il semblerait urgent que Dassault Systèmes et cette Chaire OSD prennent langue et trouvent une forme à imaginer de partenariat sur la base de ces développements originaux empruntant aux meilleures sources matière grise scientifique et technologies appliquées.
Arrivaient ensuite sur scène les gagnants du Challenge ROADEF/EURO de la Société française de Recherche Opérationnelle et Aide à la Décision, dans sa septième édition sponsorisée par EDF. Il s'agissait de travailler à la planification des arrêts de maintenance de centrales nucléaires en minimisant l'impact sur la production, compte-tenu d'une demande (volatile) et des contraintes d'opération du réseau électrique. L'équipe issue du projet Sysmo du Laboratoire d'informatique de l'X, où travaille un chercheur rattaché à la Chaire OSD, présentait de manière fort décontractée sa progression dans la résolution du problème posé. Un petit courant de fraîcheur bienvenue dans la succession des présentations dans une mise en scène par ailleurs sérieuse et très explicitement concernée : nos jeunes têtes chercheuses avouaient, hilares, que le programme vainqueur du défi comportait seulement 5 000 lignes de code « et encore ! Pas toutes utilisées... ».
On redescendait hélas rapidement au ras des paquerettes avec le panel qui concluait cette conférence. D'une part, Marc Julien du FSI, le Fonds stratégique d'investissement, dernier rempart du patriotisme économique souverain, venait complaisamment expliquer à quel point le développement durable était au centre des préoccupations de ses investisseurs — ce qui est bien apparent dans la constitution de son portefeuille où figurent de grands industriels amis de la Nature ; il est vrai que dans son style grammatical inimitable, le président lui-même précisait : « l'environnement, ça commence à bien faire ! ». D'autre part Francoise Gaill, directrice de l'Institut écologie et environnement (INEE), nous alarmait sur l'érosion de la biodiversité, et Christian Golllier, un des auteurs principaux du 5ième rapport du GIEC, membre de la Toulouse School of Economics (TSE) — et pourquoi en anglais ? L'Escola Econòmica de Tolosa, comme dirait un majoral du félibrige natif, ça ne ferait pas assez sérieux ? — prophétisait théâtralement l'inéluctabilité du retour de la taxe carbone à 100 Euros la tonne, qui fut naguère balayée d'un revers de la main présidentiel devant son impopularité indiscutable — il y a si loin de la coupe aux lèvres. Bref, de quoi ramener la sobriété après l'euphorie des premiers résultats présentés précédemment. Au final un bon exercice illustratif de l'un de ses propres articles de recherche, Optimal choice and beliefs with ex ante savoring and ex post disappointment, dont on ne saurait trop recommande la lecture. Il faut en conclure que l'optimisation a encore bien du travail à faire au service du développement durable !