lundi, avril 01, 2013

Big Dataxe

Après le rapport sur la fiscalité du secteur numérique, remis le 18 janvier dernier par les homophones Conseiller d'Etat Pierre Collin et Inspecteur des finances Nicolas Colin, le projet de préfiguration de la Loi de finances 2014 promet de s'attaquer aux « graves conséquences pour l'économie nationale de l'inadaptation du cadre fiscal actuel ».

 

Le Président l'a répété dans sa récente interview sur France 2, il y a quelques jours : dans l'optique où les conditions matérielles déterminent les relations de production — notamment les technologies, les inventions et les formes de propriété, lesquelles déterminent à leur tour les formes de gouvernement, les lois, la culture et les principes moraux des organisations sociales — l'évolution quantitative des conditions matérielles conduit à des évolutions qualitatives. Ainsi le progrès technologique conduit à l'émergence des Big Data ; données qui, irriguant de plus en plus l'économie numérique, sont issues des utilisateurs ; elles ont une valeur de mieux en mieux documentée par le marché et ses observateurs, pour reprendre les conclusions du rapport Collin-Colin. (Dont la lecture de la version qui devrait être éditée chez Armand Colin confirme qu'aucun de ses euphoniques auteurs n'a oublié ses cours de matérialisme dialectique et historique.)

 

Si donc « les données valorisées dans l'économie sont majoritairement issues du "travail gratuit" de la multitude des utilisateurs d'applications », il est donc moralement justifié, au sens de Denis Collin cette fois, que la « restitution des données personnelles soit un "contre-modèle" à la fois protecteur des personnes et favorable à l'innovation ». Redistribuer aux masses ce qui est produit par les masses ou comme le disait Mao Tsé-toung — précurseur méconnu de MapReduce — « recueillir les idées des masses, les concentrer et les porter de nouveau aux masses, afin qu'elles les appliquent fermement, et parvenir ainsi à élaborer de justes idées pour le travail de direction : telle est la méthode fondamentale de direction. Les masses populaires sont dotées d'une force créatrice illimitée », c'est bien là le slogan des Amazon, Google, Facebook et autres Twitter. En revanche la primauté chirographaire de l'Etat impose évidemment le combat patriotique et national contre l'abandon de ces tâches essentielles de direction aux laquais du libéralisme économique et zélateurs du capitalisme sauvage précédemment cités.

 

C'est sur ces fondements socio-économiques immarcescibles que la Loi de finances 2014, en cours d'élaboration, devrait jeter les bases morales de la construction fiscale — dont le surnom Big Dataxe court déjà sur le WiFi du Ministère du redressement productif — dans la lutte contre « les effets de la rétractation de la matière imposable ». Collin et Colin, suivant en cela Collin, notent que « les modèles d'intermédiation, qui dominent l'économie numérique, vident la matière imposable de sa substance » donc que « les conséquences de l'inadaptation de la fiscalité sont dramatiques pour l'économie » — il doit s'agir de l'économie nationale, car apparemment ce serait plutôt le contraire outre-Atlantique. Il ne manque que le lyrisme du librettiste Paul Collin sur cette petite musique fiscale.

 

Pour être précis, les deux volets de la Big Dataxe concerneraient les sociétés, avec un aménagement de l'IS, et les particuliers avec des mesures visant l'IR et l'ISF. Les projections de rendement fiscal sont en cours au Ministère des finances qui mettent en oeuvre des simulations financières sur un cluster de l'infrastructure nationale de cloud computing Numergy (« sécurité, éco-responsabilité, simplicité et prix maîtrisé »). Cumulant le bénéfice de familiariser notre administration (que le monde entier nous envie) au Big Data, selon ces clodoaldiens d'obédience dataïstes, adouber Hadoop a doublé le doux padou dont on enrubannera ce paquet fiscal.

 

Pour l'instant seules les grandes lignes de code ont filtré des sources Pig de ces travaux préparatoires.

 

  • Le « choc d'immatérialité », qui pourrait prendre, dit-on de source parallèlement informée, la forme moins polémique et plus doucereuse d'un « pacte de virtualité », serait confié par mandat à la Caisse des données et configurations, une Haute autorité de la rue de l'Université — seul opérateur HDFS/HBase agréé. Sa mission, à vocation européenne (cf. les sept priorités adoptées par la Commission européenne le 18 décembre 2012 : « Initiatives Europe 2020, De la Chiers au Prout ») serait alors d'instrumenter globalement la perception sur tous les flux et sur les stocks de données. Elle disposerait, pour ses propres besoins, de ressources cloud computing souveraines classifiées.
  • Sociétés et particuliers paieraient donc une nouvelle taxe d'accise sur l'émission de données, personnelles ou privées, volontairement ou involontairement produites, dans le cadre dûment réaménagé de l'ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009 sur l'Offre au public de titres financiers. Les modalités font précisément l'objet des simulations actuelles du Ministère des finances ; les moyens à dégager pour les vérifications, encaissements et sanctions sont en discussion à Matignon mais, selon toute vraisemblance, ressortiraient à la technique de Freivalds.
  • Dès janvier 2014, chaque PC, smartphone, tablette et laptop vendu ou utilisé sur le territoire français devra être géolocalisé et équipé, sorti d'usine, de la version certifiée par l'ANSSI du code Green Dam Youth Escort Software aimablement fourni par les autorités chinoises — un compteur intelligent de données équipé d'un dispositif de coupure à distance (nom provisoire : Le Fisc est mon ami.).
  • En revanche et suivant la ligne directrice déjà établie par la Loi de finances 2013, il n'est plus question d'un éventuel prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes des données riches. Les dividendes et intérêts produits par les données riches seront directement assujettis à la taxe de 75 % si ardemment défendue par le candidat et maintenant Président, dès qu'ils excèdent 1 mégaoctet annuellement.
  • Les données personnelles (quantified self) seraient déclaratives mais resteraient propriété de l'Etat qui confierait contractuellement, par le biais de son opérateur la Caisse des données et configurations, à des officines privées de métrologie, préférablement établies en Suisse et dirigées par des députés ou des ministres en exercice (amendement Cahuzac), les tâches d'échantillonnage et d'anonymisation avant restitution dans le cadre du programme national d'Open Data.
  • Les données privées entreraient de plain-pied dans la définition du patrimoine du foyer fiscal et, partant, dans l'assiette du calcul de l'ISF des particuliers. Les déclarations devront ainsi comporter la liste exacte de tous les médias de stockage, amovibles ou non, du foyer fiscal et de leurs contenus (formats et volumes). Un barême progressif applicable au-delà des premiers 1,3Mo, dès 800K selon les formats (binaire, texte, etc.) sera publié dans l'année sur le site bigdataxe.gouv.fr.
  • Pour les sociétés, la Loi de finances 2014 modifierait les règles de calcul de la quote-part de frais et charges dont sont redevables les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés lorsqu'elles réalisent des plus-values de cession de données, (matérialisées par des requêtes SQL, NoSQL, et XML/Json notamment). Chaque requête SQL (ou autre) sera soumise à une Autorisation administrative d'exécution qui déterminera les frais d'optimisation à régler sur une base trimestrielle.
  • De plus, au plan réseau social, les modèles UML et DTD exploités en France seront frappés d'un droit d'accise qui viendra en surcroît des charges réseaux-sociales et des droits de douane lorsque le modèle en exploitation provient d'un fournisseur étranger. De nouveaux moyens seront dégagés pour la lutte contre l'immigration clandestine de données ; les opérateurs de télécommunications seront tenus d'installer des pare-feux agréés par l'Etat sur tous leurs coeurs de réseaux.
  • Une dérogation confiscatoire serait possible, au titre des droits d'auteur dans le cadre (à vocation universelle) de l'exception culturelle française. Seraient ainsi surtaxés tous les médias susceptibles de transporter et de stocker, sous quelque forme et pour quelque durée que ce soit, des données électroniques artistiques de toute nature. En regard, un prix unique du mégaoctet culturel et un régime spécifique pour les intermittents de l'analytique prévaudrait sur tout le territoire national.
  • Les datacenters localisés en France pourraient être, de même, éligibles à une réduction fiscale dans la mesure où ils ouvriraient leur API et leur capital à la Caisse des données et configurations via le Fonds national pour l'intelligence numérique. En revanche aucun bouclier fiscal pour les entrepôts de données ni pour les routeurs n'est prévu.
  • Les opérations transactionnelles des ETL et de data cleansing feraient l'objet d'un enregistrement réglementaire et de l'acquittement de frais de formalité. Toute transformation de données deviendrait également assujettie à la TVA à 19,6 % (retenue à la source ou à l'exécutable selon les options envisagées).
  • Enfin au plan pénal, seraient créés des délits d'abus de bien des données, de recel et d'usage de données fausses ou fallacieuses, d'excès de vitesse de transport de données, de non-conformité à MERISE, et d'incitation à la discrimination des résultats de moteurs de recherche. La compression des données est illégale et punie d'amendes et de peines de prison. Les Autorité de contrôle prudentiel et Autorité de contrôle des marchés verraient leurs prérogatives étendues aux marchés de données (datamarts) et aux amodiations en droit minier (data mining).

Si le détail des mesures résultera des discussions à venir du projet de loi devant les assemblées, on constate néanmoins que le paquet fiscal envisagé pour 2014 illustre doctrine du gouvernement. Comme concluait le Président, dans cette entrevue télévisée allégorique du 28 mars, « Vous m'avez suffisamment interrogé pour savoir que j'ai toujours dit que ce serait difficile pendant deux ans... Pour tout le monde. Pour les plus riches, je pense que cela a été un effort qu'eux-mêmes ont regardé comme significatif, si j'en crois un certain nombre de déclarations. Reportez-vous à certains propos fracassants. Mais c'est plus dur, je l'ai dit, c'est plus dur ! Parce que qu'est-ce que j'avais comme solution quand j'arrive : laissez filer les données ? Etre sanctionné par les marchés ? Bruxelles ? Je m'y suis refusé. Parce que j'ai le sens de l'indépendance de mon pays, de la souveraineté ».

 

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