mercredi, août 30, 2006

L'édition de logiciel en France, vue du Pavillon Gabriel. (25.10.2005)

"Tout le monde par le portique, un par un !", hurle une sorte de culturiste exaspéré à l'entrée du Pavillon Gabriel. Je m'approche, intrigué, pour lire l'insigne cousu sur le polo musclé : Microsoft Security. "Une nouvelle technologie anti-spam ?" demandé-je (faussement) ingénument. "Ouvrez votre sac !" aboie-t-on en réponse.


C'est donc dans une atmosphère bon enfant que Microsoft, Dassault Systèmes et Cegid recevaient lundi après-midi sur les Champs-Elysées pour une journée thématique sur "L'Édition de logiciel en France". Dans une série de présentations qui formaient un intéressant contrepoint à celles du récent OSCON, la conférence Open Source tenue la semaine dernière à Amsterdam, d’éminents représentants de l’industrie du logiciel étaient venus rendre hommage en déclamant, tel le chœur antique, les lamentations d’usage sur notre rang national insignifiant dans cette industrie, au mythique Bill Gates venu faire deux apparitions courtoises et minutées.


Le ministre délégué à l’Industrie, François Loos, s’escrimait, en introduction, à rassurer l’auditoire sur la pérennité et le rayonnement français dans la société de la connaissance, appelée des vœux de l’Europe réunie à Lisbonne en 2000. Lisant mécaniquement un discours dont il était apparent qu’il ne comprenait pas le contenu, annonçant sans sourciller que l’industrie du logiciel français comptait 30.000 personnes dont 80.000 cadres, le ministre se réjouissait de la généralisation du haut débit – qui doit, comme chacun sait, absolument tout aux mesures visionnaires prises par le gouvernement Raffarin – et de la fière et audacieuse réponse franco-européenne à l’intolérable arrogance de Google avec Quaero, le moteur de recherche européen, pour lequel des millions ont d’ores et déjà été réservés par l’Agence de l’innovation industrielle, fer de lance, sans nul doute, du « patriotisme économique ».


Le cofondateur de Staff & Line, Jamal Labed, tout à l’excitation de l’IPO de sa société rappelait alors très opportunément quelques chiffres têtus, dans le sillage du lancement des associations ESA (European Software Alliance) et AFDEL (Association française des éditeurs de logiciels). La France compte plus de 3.000 éditeurs de logiciels, représentant au total un marché de €2,8 Mds, soit à peine 10 % d’un seul des grands éditeurs américains, que sur ces 3.000, les trois premiers actifs en France en représentent 58 %, soit une incroyable fragmentation sur un marché lui-même de taille relativement réduite !


Il était d’ailleurs cocasse d’observer les orateurs de cette journée, assis en demi-cercle sur l’estrade entourant avec révérence le siège central vide, réservé à Bill Gates, attendu tel le messie dans l’espoir qu’il consentirait éclairer cette industrie française du logiciel, du dire de tous, injustement reconnue à sa vraie valeur.


Et de valeur il fut vite question avec l’intervention de Gilles Kahn, président de l’INRIA, qui dressait un portrait inimaginablement centralisateur d’une conception étatique et bureaucratique de la recherche fondamentale. « L’Institut » décide en effet des problèmes techniques de fond qui sont importants (dans l’absolu), puis forme et recrute des chercheurs qu’il « place » sur ces problèmes assurant ainsi, certes, un rôle dans la recherche scientifique de base indispensable dans une « grande nation » comme la France, mais sans aucune vue pratique ni de marché – une décision d’ailleurs explicitement prise par son prédécesseur Alain Bensoussan, nous précisait-il, qui avait choisi de ne pas valoriser à l’INRIA les retombées éventuelles des recherches du laboratoire. Gilles Kahn se félicitait que sur les 80 ou quelques spin-offs de l’INRIA dans le logiciel, 40 étaient encore en vie et regrettait un certain nombre d’échecs majeurs qui ont vu s’envoler dans l’éclatement de la bulle Internet des recherches longuement mûries, parfois plus de dix ans, dans ses murs.


De valeur il était encore question avec Eric Archambeau, associé de Wellington Partners, un fonds de VC allemand (malgré son nom britannique) qui entamait la litanie assez surréaliste qui, au final, caractérisait cette après-midi dans l'attente docile que Bill Gates condescendit à occuper ce fauteuil désespérément vide au milieu de la scène, mêlant auto-célébration des capacités intellectuelles inégalées des chercheurs français et complaisance dans les critiques râleuses et expiatoires devant les bien pitoyables résultats du « modèle français ». Eric Archambeau commençait en effet par nous resservir le « manque d’ambition » des entrepreneurs français à comparer à celle des américains, la prépondérance que nous accorderions à la technologie plutôt qu’à « l’exécution » - un anglicisme désignant l’efficacité dans la réalisation d’un plan et non le couperet d’une guillotine républicaine -, le manque d’incitation à allouer des fonds au private equity et à l’amorçage, (un plaidoyer pro domo auquel j’adhère évidemment !), et la trop grande pusillanimité du gouvernement (tiens ce n’est pas ce que disait le ministre délégué !) dans l’accompagnement réglementaire de l’industrie. Jean-Michel Aulas, P-D.G. fondateur de CEGID et, probablement, le plus expérimenté des entrepreneurs de l’industrie du logiciel, renchérissait en fustigeant « l’hyper réglementation » actuelle (CEGID subit aujourd’hui les foudres des autorités dans une affaire d’acquisition d’une société européenne que ces mêmes autorités avaient approuvé des deux mains il y a dix huit mois), en se plaignant de la sous-capitalisation des sociétés cotées en Europe et de l’absence d’incitations fiscales à investir dans ces secteurs, portant clamés haut et fort comme essentiels.


Du coup, Bernard Charlès, le charismatique CEO de Dassault Systèmes détonait, illuminé qu'il était de la passion et de l’obstination qui l’animent à faire de l’éditeur le promoteur, le champion et le leader du logiciel considéré comme « environnement collectif 3D », ferment de l’innovation et de la production industrielle. Partant de la conception et de la simulation, nous promettait-il, les logiciels de Dassault Systèmes permettraient rapidement de vivre jusqu’à l’expérience même de l’utilisateur de tout produit industriel, ce qu’il appelait le « réalisme », étape ultime de la simulation. Après une brillante démonstration des possibilités de « visite virtuelle » offerte par les logiciels de l’éditeur – et en particulier de ceux de sa récente acquisition, Virtools, startup française, insista-t-il – Bernard Charlès concluait malgré tout dans l’esprit de la réunion en regrettant que les directives européennes sur les brevets logiciels ne protégeassent pas plus strictement la propriété intellectuelle du logiciel – une vue controversée évidemment mais sans surprise de la part des grands éditeurs commerciaux de logiciels.


Cette note critique était d’autant plus savoureuse que si Bill Gates était en France et nous accordait quelques minutes de son temps, c’était pour finaliser des accords de recherche jointe avec l’INRIA précisément selon lesquels Microsoft payait rubis sur l’ongle un nouveau laboratoire à l’INRIA, chercheurs inclus – l’Institut est faut-il le rappeler bien impécunieux en ces temps de disette ! – en échange de quoi le géant de Redmond pourra piller, pardon commercialiser, sans vergogne les résultats de ces travaux pourvu que ces codes sources soit librement – au sens de logiciel libre – publiés, une grande nouveauté pour Microsoft présentée en France comme une victoire de la rationalité française des Lumières sur le dogmatisme anglo-saxon ! Que l’on puisse présenter cet accord sous l’angle d’une quelconque avancée pour l’industrie française du logiciel ou d’une reconnaissance de l’excellence de son centralisme bureaucratique, alors que Microsoft ne fait peut-être que s’acheter à bon prix une légitimité pour faire face au courroux de Bruxelles, en laisse long à penser sur l’état de ladite industrie.


C’est encore l’industrie américaine triomphante et Bill Gates qui devait à nouveau mettre tout le monde d’accord. Il concluait cette journée en livrant un discours consensuel sur la diffusion généralisée et l’importance des technologies de l’information pour l’avenir et sur la nécessité de poursuivre des efforts incessants dans l’amélioration de l’enseignement et de la formation sur ces matières. Et tout le monde de se séparer sous ces auspices « réalistes et optimistes » convaincu par cet exercice d’autosatisfaction grognon, que l’on est sur la bonne voie puisque Bill Gates lui-même a distribué des bons points…

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