mercredi, août 30, 2006

EURO OSCON 2005. (19.10.2005)

De retour de la convention européenne de l’Open Source (Euro OSCON), qui s’est déroulée en début de semaine à Amsterdam – le premier événement du genre en Europe, organisé par O’Reilly – la présentation de Paul Everitt, CEO de Digital Creations et membre de l’équipe originelle de Zope me trotte dans la tête pendant que le Thalys zèbre le plat pays. Chiffres à l’appui, dont certains assez surprenants, Paul Everitt démontre, en effet, que malgré les pieuses invocations de la Commission européenne – et en particulier de l’ambitieux « programme de Lisbonne » qui vise à faire de l’Europe le leader de l’économie de la connaissance en 2010 (et que nous brocardons régulièrement dans cette tribune, mais pour la bonne cause !) – les USA augmentent bel et bien leur hégémonie sur l’industrie du logiciel.


Cette évolution présente aux yeux du fondateur de Zope un caractère paradoxal lorsque l’on sait qu’une grande partie des logiciels libres ont une origine européenne (que l’on songe à Linux, Cocoon, MySQL, JBoss et ceux réunis sous la bannière d’ObjectWeb, par exemple), et que, toujours d’après Everitt, aujourd’hui 70 % des développeurs Open Source sont européens (si ce chiffre est avéré, c’est phénoménal !). Cependant, un rapide examen montre qu’aujourd’hui parmi les 12 ou 13 logiciels libres d’origine européenne les plus répandus, plus de 10 sont aujourd’hui « réinstallés » aux USA et principalement guidé par une communauté de « maintainers » américains.


Cette constatation de Paul Everitt, qui, tout américain qu’il soit, vit en France, peut également être lue à l’éclairage de la présentation, le jour précédent, d’Alexandre Zapolsky le P-DG fondateur de Linagora, basée à Paris. L’inventeur de la SS2L, société de services en logiciel libre, venait témoigner de l’importance prise, en France en particulier, par le logiciel libre et expliquait comment Linagora, emmenant Cap Gemini et Bull, avait décroché le plus grand engagement européen sur l’Open Source avec une grande administration française. La directive sur la brevetabilité logicielle et la position nettement antagoniste de la Commission européenne face à Microsoft – Steve Ballmer déjeunait encore avec Neelie Kroes, le Comissaire à la concurrence, à Bruxelles, il y a à peine une dizaine de jours – encouragent probablement les administrations et les collectivités à prendre en considération l’Open Source dans leurs développements et leurs déploiements d’applications informatiques. Il y a certainement là une piste à suivre pour encourager les entrepreneurs de l’industrie du logiciel de toute l’Europe à ne pas partir à la conquête du monde découragés d’avance par la mainmise américaine.


De Microsoft il fut aussi question dans la série d’annonces présentées par Jason Matusow, le directeur de Shared Source, une initiative peu connue du géant de Redmond (http://www.microsoft.com/resources/sharedsource/default.mspx). Shared Source est un programme récent, via lequel Microsoft livre en Open Source certains éléments de ses innombrables codes source. Invité à parler à une convention Open Source, devant une assemblée de prosélytes et de zélateurs du logiciel libre, Maturow n’affrontait pas une tâche facile. D’autant plus que l’on a le sentiment, à bien l’écouter, qu’à Microsoft il est tout autant contraint à défendre pied à pied sa vision d’un « juste milieu » entre le logiciel libre au sens des puristes et la vision caricaturalement commerciale que l’on prête systématiquement à l’éditeur. Au final, après avoir annoncé que Microsoft continuerait à livrer à la communauté (et aux « gouvernements » précise le site Web) du code sous trois licences inspirées des licences BSD et MPL très employées dans le monde du libre, Jason Matusow a été cordialement applaudi. Encourageant.


Pour terminer cette revue rapide de cette journée à OSCON, il faut noter la présentation de Michael Tiemann de Red Hat (et ancien fondateur de Cygnus, la vraie première société de logiciel libre) qui propose d’en revenir aux réflexions sur la qualité totale du début des années 1980 (les « cercles de qualité » que décrivait Hervé Seyriex en France, et dont Edwards Deming était l’acteur au Japon et aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale) et de les appliquer de manière disciplinée au problème de la qualité des logiciels. Appelant à gommer la distinction entre « designer » et « utilisateur » il appelle de ses vœux un changement massif de comportement dans le développement des applications et le recours systématique, et à grande échelle, au système communautaire qui fonctionne si bien pour le logiciel libre. C’est à ces conditions, d’après lui, que l’on pourra s’approcher de la qualité totale dans l’industrie du logiciel. (Cet appel est à rapprocher, me semble-t-il, de la nécessité d’une réflexion « systémique » dans le domaine de la lutte anti-spam, sujet d’un précédent billet dans cette même tribune : les sources d’inspiration issues de la théorie des systèmes ou/et des systèmes biomoléculaires me semblent fonctionner à plein rendement depuis quelques années pour alimenter les points de vues sur l’industrie du logiciel – une intéressante évolution.)


Enfin, Rael Dornfest d’O’Reilly faisait remarquer que « l’agrégation », devenue la tarte à la crème des business plans des jeunes pousses de la Nouvelle nouvelle économie (ou de la Nouvelle économie ressuscitée par l’extra-terrestre Google) tournait au cauchemar. Qui lit vraiment les 36.256 « postings » en retard sur les 146 fils soigneusement triés dans notre lecteur RSS favori ? Qui lit vraiment les 456 messages de la boîte aux lettres électroniques, en attente depuis hier, parmi lesquels bien sûr de nombreux leurres sont habilement disposés par les « spammers » et autres retors du « phishing » ? Dornfest reprenait à son compte l’analyse classique de la parade à l’avalanche d’information dont le Web nous submerge chaque jour davantage et suggérait de développer des outils « d’atténuation » (Attenuation is the new Aggregation) permettant à terme aux utilisateurs de réduire eux-mêmes l’impact de la surinformation. Il pointait, en particulier, vers la startup 37Signals qui héberge une suite d’outils élémentaires mais efficaces (BaseCamp, BackPack, WriteBoard et Ta-Da List) destinés à simplifier l’organisation des individus, des communautés et des petites et moyennes entreprises dans des tâches quotidiennes ou répétitives. À suivre : « l’atténuation » devrait être l’un des thèmes de la prochaine Emerging Technologies Conférence d’O’Reilly en mars 2006.


Aux Etats-Unis, pas en Europe cette fois…

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