Les éditeurs américains à la rescousse de MM. Chirac et Jeaneney. (28.9.2005)
Le projet Google Print est arrêté net dans les starting blocks. Un certain nombre d'auteurs, à titre individuel, et la Authors Guild ont décidé, il y a quelques jours, de poursuivre en justice le moteur de recherche et nouvel enfant prodigue du NASDAQ pour "infraction massive" au copyright. L'Association of American Publishers a également laissé entendre dans un communiqué de presse qu'elle pourrait se joindre à cette action en justice. Google a pris le temps de consulter et répond aujourd'hui en ralentissant le rythme auquel le projet Google Print avait été entamé. Google devrait arrêter de numériser les ouvrages des bibliothèques encore sous copyright et se concentrer sur la numérisation des oeuvres tombées dans le domaine public aux États-unis. C'est-à-dire tout livre publié avant 1923 ou tout ouvrage publié par le gouvernement américain, quelque soit la date de publication.
Ce ralentissement de Google Print est une sorte de moratoire dans l'attente de la réponse des éditeurs et auteurs plaignants à l'offre que Google leur propose pour prendre en compte leurs revendications : d'une part Google s'engage à fournir aux éditeurs participant à son programme Google Print une copie électronique des ouvrages numérisés par ses soins sur simple demande (sans que l'éditeur ait à prendre en charge les coûts d'expédition des livres ni les coûts de promotion et de marketing) ; d'autre part, Google accepte de bloquer la numérisation de tout ouvrage sur simple notification de son ISBN par le détenteur du copyright (qu'il soit partenaire ou non dans le projet Google Print). Tout comme les "white list" et "black list" de nos programmes anti-spam, ici de simples listes des numéros ISBN des ouvrages à numériser ou interdits de numérisation.
L'AAP et d'autres auteurs ont réagi en critiquant la réponse mais sans s'engager dans un sens ou un autre. L'AAP répond que ces mesures ne répondent pas au souci général de préservation du copyright et ne fait, au final, qu'en remettre la responsabilité au détenteur plutôt qu'à "l'utilisateur". Plus directement, l'AAP met en doute les motifs réels de Google dans le projet en pointant sur les énormes flux de revenus publicitaires que la société attend de cet investissement colossal dans la numérisation de contenu. Ce second point est très révélateur de l'attitude sur les droits d'auteur qui prévaut aux États-unis.
Pour ceux comme Lawrence Lessig, dont le dernier livre Free Culture est un pamphlet solidement étayé contre le système actuel du Copyright Office américain, défendent l'usage du sens commun dans l'appréciation de l'impact des nouvelles technologies sur le système légal, le recours à la justice des éditeurs américains est "révoltant" et rétrograde. Lessig a travaillé sur ces sujets lors du procès entamé en 1998 contre Microsoft par le Département de la Justice des États-unis et, depuis, est un membre actif de la communauté défendant les logiciels libres. Pour lui, les éditeurs veulent simplement être payés pour une innovation et des technologies qui ne sont pas les leurs. Il est d'ailleurs prompt à expliquer que depuis cinquante ans la justice américaine a constamment cédé aux pressions de leur lobbies et prolongé de manière abusive la période avant laquelle une oeuvre tombe dans le domaine publique (aujourd'hui la date charnière est 1923) et que, comme dans le cas de la musique et du P2P, la protection des droits d'auteur est détournée de son emploi naturel pour une utilisation dévoyée servant les intérêts commerciaux d'un petit groupe de sociétés.
Sans nécessairement être aussi vindicatif que l'avocat vedette, on ne peut néanmoins s'empêcher de constater à nouveau comment, au motif du "fair use", aux États-unis, le succès pratiquement monopolistique de certaines sociétés, IBM jadis, Microsoft naguère, Google aujourd'hui provoque de vives réactions et des tentatives d'instrumentation de la justice. Au point même de peut-être mettre un point final à une exceptionnelle entreprise de vulgarisation et de diffusion des savoirs, inouïe depuis la création des bibliothèques nationales -- il en existe pressque dans tous les pays -- pour préserver les patrimoines culturels nationaux. Google ne veut rien faire d'autre avec 20 millions de livres que ce qu'il fait déjà pour des milliards de pages Web, les indexer et permettre à tout un chacun d'y effectuer des recherches. Alors que Google est encensé, admiré, jalousé même pour son succès dans la seconde aventure, pourquoi devrait-il être vilipendé et honni dans la première ?