mercredi, août 30, 2006

Nouveaux réseaux, mêmes affrontements entre architectures ouverte et fermée. (22.11.2005)

Le débat entre les partisans d’une infrastructure ouverte et ceux prônant une infrastructure fermée trouve aujourd’hui d’autres domaines où s’étendre. Prenons, par exemple, l’annonce récente de la mise en commun des réseaux de messagerie instantanée de Microsoft et de Yahoo!, permettant enfin aux utilisateurs de l’un de dialoguer avec ceux de l’autre : voilà l’illustration d’une stratégie d’ouverture forcée par la présence, au sommet de la chaîne, d’un acteur fermé, bien plus gros, AOL.


La publication en ligne Red Herring a publié les chiffres précis ayant entraîné ces mouvements stratégiques. AOL a enregistré une croissance de 6 % du nombre d’utilisations de sa messagerie instantanée aux USA (en comparant mois sur mois identique l’année précédente) le portant à 49 millions. Microsoft et Yahoo!, en revanche, perdaient respectivement leurs fréquentation à hauteur de 1 % à 24,4 millions pour le premier et de 25,5 à 22 millions pour le second. Il ne restait alors au n°2 et au n°3 qu’à faire alliance et ouvrir leurs réseaux pour lutter contre le n°1, toujours arc-bouté sur une architecture propriétaire.


L’utilisateur trouvera toujours bénéfice à participer à un réseau ouvert. La valeur qu’il perçoit dépend du nombre de personnes avec lesquelles le réseau lui permet d’entrer en relation et du nombre de personnes qui peuvent entrer en relation avec lui ; plus grands sont ces nombres plus grande est la valeur qu’on attribue à sa participation au réseau. (Il y a derrière ces truismes quelques jolies formules mathématiques résumées dans la Loi de Metcalfe qui dit que la valeur pour un utilisateur est proportionnelle au carré du nombre d’utilisateurs du réseau. Plus encore, en ces temps de communautés Web et de « social computing » on peut même légitimer la Loi de Reed qui dit que, si, de plus, on prend en considération la capacité à former des groupes d’intérêts communs sur le réseau, la valeur perçue par un utilisateur est en 2^N où N est le nombre d’utilisateurs qui, pour ceux dont les maths sont bien lointaines, croît beaucoup – mais vraiment beaucoup – plus vite que le carré de N !) Il n’est donc pas étonnant que la demande pousse à l’adoption d’une infrastructure ouverte.


Par contre, pour l’opérateur de réseau en position de leadership (en nombre d’utilisateurs) l’intérêt est opposé. Si cette position a été acquise via un réseau fermé, il est de son intérêt bien compris de conserver son architecture propriétaire et ce malgré l’intérêt individuel de chaque utilisateur. L’exemple de Skype vient à l’esprit dans le nouveau champ de bataille que représente la voix sur IP. On a reproché mille fois à Skype d’avoir choisi et mis en œuvre un protocole propriétaire. On a glosé sur le réveil annoncé des grands opérateurs de réseaux téléphoniques historiques (qui ont vécu cette même révolution il y a fort longtemps lorsqu’il a bien fallu interconnecter les réseaux téléphoniques nationaux et adopter des protocoles communs) et de l’unisson dans lequel ils se sont précipitamment ralliés au protocole SIP pour faire face au nouvel enfant terrible. On s’est interrogé sans fin sur la valorisation de Skype acceptée par eBay lors de son rachat par le géant des ventes aux enchères en ligne. Skype étant le plus gros réseau actuellement, pour un utilisateur qui veut téléphoner en IP vers le plus grand nombre de correspondants, l’incitation économique initiale à rejoindre un réseau, il n’y a pas vraiment de décision à prendre : Skype s’impose, par le nombre. Et c’est un utilisateur de plus et un incrément de la valeur de Skype ! (Il y a, évidemment, d’autres jolies formules mathématiques qui modélisent le phénomène. Dans les réseaux qui croissent par agglomération successive de nouveaux liens et utilisateurs, se forment naturellement des « hubs », points de passage obligés entre paires d’utilisateurs choisis au hasard. Ces réseaux sont sujets à de nombreuses études, sous le nom « scale-free networks », et ont été trouvés dans l’infrastructure du Web, dans l’usage des « tags » dans les sites de « social bookmarking » et même dans les réseaux de relations chimiques des protéines dans la cellule !) Et il est intéressant de noter que eBay-Skype se vante de ses 40 millions d’utilisateurs – comparable à la fréquentation mensuelle de la messagerie instantanée d’AOL.


Dans le cas de Microsoft et Yahoo!, l’annonce faite précise que les deux réseaux vont être liés mais, pour l’instant, pas fusionnés. Chacun essaye de rester le plus propriétaire possible mais de s’ouvrir quand même, gymnastique laborieuse reflétant la tension entre architectures, et « business model », propriétaire et ouverte.

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