À quelques semaines d’intervalle, deux géants de l’Internet, Yahoo! et Microsoft viennent d’annoncer la mise en place de leur plate-forme de gestion de publicité en ligne.
Deux facteurs entrent évidemment en ligne de compte. D’abord et avant tout le formidable succès de l’ennemi commun dans « la bataille des géants de l’Internet » : Google. Avec plus de 1,5 milliard de dollars de revenus publicitaires au premier semestre 2006, contre un peu plus de 500 millions pour Yahoo!, Google est, sans conteste pour l’instant, le grand gagnant du modèle des « adwords » qui font apparaître des bannières ciblées dans le résultat des recherches soumises au moteur.
Les analystes estiment que chaque recherche sur Google lui rapporte 40 % de plus qu’une recherche sur Yahoo! ne rapporte à ce concurrent. Et pourtant, c’est bien Yahoo! qui s’était emparé d’Overture (en 2003 pour 1,6 milliard de dollars), l’inventeur du système de vente aux enchères des mots-clés. (L’idée géniale en revient historiquement à Bill Gross, entrepreneur fantasque et esprit fécond, qui avait lancé goto.com en 1997, puis l’avait mené au Nasdaq avant le changement de nom en Overture et le rachat par Yahoo!, comme le raconte John Battelle dans sa chronique de l’ascension de Google, « The Search ».) Le développement technique de la plate-forme, nom de code « Panama », entamé seulement en 2004, avec des grandes ambitions, comme l’utilisation de l’image et de la vidéo en supplément du texte dans les bandeaux publicitaires, a pris du retard et sa mise en production vient juste aujourd’hui d’être annoncée pour l’automne.
Deuxième facteur, exogène, la demande croissante du marché pour la « recherche » qui paraît aujourd’hui intarissable. C’est cette caractéristique actuelle du marché, à laquelle est naturellement liée la publicité en ligne dont le renouveau après l’éclatement de la « bulle » est l’événement le plus marquant de ces dernières années, qui est essentielle dans la nouvelle phase qui s’annonce de la bataille entre les géants de l’Internet. Cet effet « demande » est, par exemple, pris en compte dans les valorisations actuelles de ces sociétés sur les marchés, et dans celle de Google (121 milliards de dollars aujourd’hui, à peu près la moitié de celle de Microsoft et une fois et demi celle de Yahoo!).
De son côté, Microsoft a poussé les feux. Il y a peu – et avec une certaine discrétion – on a pu constater que successivement Alexa et A9, deux sociétés intégrées à Amazon, avaient substitué le moteur de recherche de Microsoft (Live Windows) à celui de Google, leur partenaire de longue date. (Il y a trois ans c’est Google qui avait travaillé pour Amazon sur leur service « Book Search » de recherche à l’intérieur des livres ; par ailleurs, Amazon est l’un des plus gros clients du réseau AdWords de Google.) Aujourd’hui, Microsoft dévoile son propre réseau publicitaire en ligne, rebaptisé Microsoft AdCenter et clairement positionné contre ceux de Google et de Yahoo! Les annonceurs choisissant AdCenter bénéficieront des autres sites très visités de Microsoft comme Office Live, Windows Live et XBox Live. Du coup Microsoft abandonne complètement Yahoo! qui lui fournissait encore quelques bandeaux publicitaires.
Et qu’on ne s’y trompe pas, Microsoft se lance dans la bataille armé jusqu’aux dents et avec une détermination inébranlable. Quiconque a vu se tortiller Steve Ballmer sur une chaise haute trop étroite sur la scène du théâtre Marigny la semaine dernière et parvenir à ne prononcer qu’une fois le nom du rival « Google » en plus d’une heure de discussion, avec une rage qui transparaissait derrière la façade politiquement correcte de circonstance, ne peut qu’être persuadé qu’il n’y aura pas de quartier. D’ailleurs ça commence – ça continue ! devrait-on dire – la nouvelle version d’Internet Explorer, IE 7.0, se connecte par défaut au moteur de recherche de Microsoft et rend très difficile un changement éventuel de moteur (si d’aventure vous préféreriez Google…). De même, quelques jours après le lancement d’AdCenter, le site ne permettait toujours pas de travailler avec le navigateur Firefox. En effet, la simple tentative de connexion au site https://adcenter.msn.com/Signup.aspx pour ouvrir un compte avec le navigateur de Mozilla génère le message d'erreur suivant :
Microsoft adCenter does not currently support the web browser you are using. Please sign in using Internet Explorer 6+. More about system requirements
On ne peut pas être plus clair et direct !
A linstar de Google, Microsoft et Yahoo! ont des moteurs de recherche, attracteurs magnétiques de trafic. Les adwords, vendus aux enchères, constituent le modèle éprouvé pour tirer des bénéfices directs de ce trafic. Tant que la demande pour l’usage de moteurs de recherche croît aussi rapidement que ce que l’on peut observer aujourd’hui, il sera payant de mettre en place une « chaîne publicitaire » en ligne liée à de la recherche. (On voit le même modèle poindre pour les blogs et leurs moteurs de recherche type Technorati.) Espérons d’ailleurs que ce point n’a pas échappé aux promoteurs, à l’AII et plus haut placé encore, du « moteur de recherche » européen Quaero ! (Du moins si l’on veut voir un peu de retour sur investissement un jour ou l’autre, ce qui ne me semble pas, à y bien réfléchir, être le but du jeu ici.)
En se projetant un peu plus en avant, on peut même s’attendre à des services de type « AdSense » de la part des concurrents de Google, une fois que les réseaux publicitaires de Yahoo! et de Microsoft se seront affermis. Ceci, d’autant plus, que Microsoft comme Google multiplient les annonces de services aux entreprises et aux particuliers hébergés sur leurs propres sites. Ces services sont souvent financés par les bandeaux publicitaires en ligne ou bien par la corrélation entre le contenu que leurs abonnés acceptent d’y déposer et les spécifications des annonceurs en ligne à la recherche sans fin de segmentation plus fine de leurs publics. Les géants de l’Internet n’ont pas le monopole du modèle AdSense, des startups, comme Gather, BackFence (que Dan Gillmor, ex-journaliste vedette du San Jose Mercury News, a rejoint après l’implosion de son projet Bayosphere), Squidoo, s’y mettent également avec un fort accent « Web 2.0 » propice à attirer l’attention de financiers et d’acquéreurs éventuels.
À suivre, en direct, de votre navigateur préféré !