Par Jean-Marie Chauvet
Dimanche 25 décembre 2005
Au moment même où Steve Case, le charismatique et polémique fondateur d'AOL, engage vivement Time Warner à s'en séparer dans les colonnes du Washington Post (du 11 décembre : It's Time to Take It Apart: My Case for Dividing the Media Giant), le titan Google prend une participation de 5 % au capital d'AOL pour un milliard de dollars, la valorisant vingt milliards. Le tout mettant un terme à une discussion ouverte entre AOL et Microsoft sur le remplacement éventuel de Google par Microsoft comme moteur de recherche et sur la création en joint-venture d'une régie publicitaire en ligne commune entre MSN et AOL !
Voilà donc une petite démonstration de "capitalisme total" pour emprunter l'expression bien trouvée de Jean Peyrelevade à propos des nouvelles moeurs de gouvernement d'entreprise.
Reprenons. Steve Case, après avoir réussi dans les années 90 un retournement inespéré de la situation d'AOL, que l'opinion génrale donnait à l'époque perdante face aux premiers fournisseurs d'accès Internet (aujourd'hui eux-mêmes disparus, fusionnés ou absorbés), se réinventait grand architecte de la méga-fusion entre Time-Warner et AOL en 2000. L'opération, une définition s'il en est de l'archétype de la démesure de l'époque de la "bulle Internet", fut saluée comme marquant l'avénement d'une ère nouvelle des médias.
Au passage, Steve Case, devenu milliardaire du jour au lendemain, ne s'était pas étendu sur certaines pratiques d'AOL qui valurent à Time Warner une enquête sérieuse de la SEC (la Securities and Exchange Commission chargée de la surveillance des marchés aux USA) seulement récemment éteinte par un versement de 300 millions de dollars début 2005 ! Du coup, le cours du titre reste en dessous de $20 depuis début 2002. Rappelons aussi que Steve Case détient encore une participation évaluée à 250 millions de dollars dans la société, valorisée au total à près de 82 milliards de dollars aujourd'hui.
De l'autre côté, il faut rappeler que l'IPO de Google à l'été 2004 a, certes, enrichi ses fondateurs et ses financiers capitaux risqueurs de la première heure, mais également ses concurrents : Yahoo et... AOL, qui étaient eux-mêmes déjà actionnaires de la société avant son introduction au Nasdaq. Autre point financier très illustratif évoqué par John Battelle, Ask Jeeves, dont le cours se traînait aux alentours de $5 il y a quelques années, a connu une nouvelle jeunesse du moment précis où il a annoncé un partenariat commercial avec Google, qui le mena à se faire acquérir pour 1,85 milliard de dollars par Interactive Corp. en mars 2005.
Google a bien compris la double leçon de capitalisme total : signer un accord commercial avec un partenaire provoque une hausse quasi-mécanique de sa valorisation, (10x dans le cas d'Ask Jeeves entre 2002 et 2005) et prendre une participation au capital de sociétés évoluant dans son propre écosystème, lorsqu'on le domine, peut constituer une utlisation profitable de sa trésorerie (plus value substantielle, d'au moins 250 millions de dollars, pour Yahoo dans l'IPO de Google en 2004).
Si Steve Case obtient gain de cause, on imagine alors un AOL, redevenu indépendant, dont les chiffres seront excellents dopés qu'ils sont de l'accord partenarial avec Google, en parfaite position pour une IPO triomphante en 2006. Wall Street convaincu qu'une telle IPO serait une occasion très bon marché de participer à l'hyper-croissance de Google, tirant AOL dans son sillage, ne s'effraierait probablement pas de valoriser AOL dans la même fourchette qu'un Yahoo (60 milliards de dollars au bas mot). Et hop ! Case repasse la barre du milliard de dollars à titre personnel et Google réalise une confortable plus-value (2x à 3x sur son milliard à lui).
De quoi attirer les convoitises et les réactions des Interactive Corp., Yahoo, Microsoft et autres Carl Icahn...