vendredi, septembre 01, 2006

Le concours Lépine de la high-tech !

Le magazine Make ("Technology On Your Time" clame son slogan) vient d'organiser une sorte de festival ce week-end, à San Mateo, au coeur de la Silicon Valley. La "Maker Faire" a réuni tous les bidouilleurs de génie de la high-tech pour une exposition de projets individuels, des plus techniques aux plus délirants : une maquette volante du Ptérosaure, des implants RFID à faire et installer soi-même (brrr !), des fusées et des voitures électriques, etc.

Voilà une manifestation que n'aurait pas reniée le Préfet Louis Lépine, fondateur au début du siècle dernier du concours qui porte son nom jusqu'à nos jours (l'édition 2006 ouvre dans quelques jours avec la Foire de Paris). Le site de l'association rappelle opportunément que c'est "en 1900, devant le marasme des petits fabricants de jouets et d'articles de Paris, dû à la concurrence étrangère, que le Préfet Lépine prend l'initiative de créer en 1901 un concours-exposition". Cent cinq ans plus tard, d'ailleurs, Jean-Louis Beffa, qui n'est pas préfet mais grand ordonnateur de l'Agence de l'Innovation Industrielle, décerne aussi des labels à cinq projets, qualifiés "d'envergure mondiale" avant même d'être entamés. Je ne suis pas loin de penser, mutatis mutandi, que cette célébration gouvernementale de l'imagination créative participe du même esprit. En dehors de la coincidence amusante des dates, notons que, contrairement à ce que l'on pouvait craindre au vu des préoccupations du cénacle qui présida à la naissance de l'AII, les projets sélectionnés - ils seront annoncés officiellement mardi 25 par le Président de la République, rien moins - laissent un peu d'oxygène aux PME-PMI et à quelques jeunes pousses. C'est une bonne nouvelle. Les grands industriels n'ont pas le monopole de l'imagination créatrice, aurait certainement dit le Préfet Lépine.

Loin donc d'être uniquement une conspiration de l'éditeur O'Reilly, qui publie entre autres le magazine Make et dont le patron-fondateur, Tim O'Reilly, est largement crédité pour l'invention du terme "Web 2.0" et pour l'engouement actuel pour l'approche "participative" qui le sous-tend, Make illustre parfaitement un changement de perspective sur la high-tech. La glorification du bricolage individuel n'est certes pas nouvelle en soi mais Make, publié au coeur de la Silicon Valley - où pas très loin, à vrai dire - par un éditeur, spécialiste technique de l'informatique, accompagne la généralisation de deux grandes idées :

la high-tech disponible aujourd'hui peut faire l'objet de bricolages individuels dont la valeur serait comparable à des projets industriels plus lourds, comme ceux mis en oeuvre dans le passé ;

la high-tech disponible aujourd'hui l'est effectivement pour le plus grand nombre : pas besoin d'être spécialiste pour imaginer et contribuer à de nouvelles réalisations.

Ces deux idées se développent rapidement au sein de la communauté high-tech dans un contexte où l'on assiste également à des tentatives sérieuses de "ré-incorporation" du virtuel dans le monde réel. La mobilité, en particulier, avec l'expansion des réseaux WiFi et WiMax, la prolifération des étiquettes RFID, la précision nouvelle du GPS, a relancé la géolocalisation. On ne parle aujourd'hui que des "Google Maps Mashups", que de Google Earth et ses photos satellites, que du portail de l'IGN et des applications à couper le souffle de Zoomorama sur les photos aériennes : le Web cherche de plus en plus à s'ancrer dans le monde réel. Mais, plus généralement, c'est la fabrication personnalisée d'objets réels qui représente, d'après le très sérieux MIT, la nouvelle frontière dans le champ de l'innovation.

Neil Gershenfeld, qui dirige le Center for Bits and Atoms au MIT (un centre d'études des "Octets et des atomes"), développe dans son livre, FAB, cette idée d'hybridisation de la physique et de l'informatique. S'appuyant sur les progrès incroyables de la CAO, par exemple, - le dernier modèle du Falcon de Dassault n'a-t-il pas littéralement décollé directement de l'écran de conception, sans passer par les étapes intermédiaires de la maquette ? - et sur les promesses des nanotechnologies, Gershenfeld annonce l'évolution immanente du "personal computer" en "personal fabricator".

Ces idées n'auraient certainement pas pu revenir à la mode aujourd'hui sans la formidable démonstration offerte par le mouvement Open Source que les développements personnels de "hackers" individuels, voire individualistes, peuvent collectivement déplacer des montagnes. L'idée de "Open Source hardware" commence aussi à faire son chemin, comme le montrent des projets comme WiFiPhone et TuxPhone, par exemple. Le titre, volontairement provocateur - mais l'est-il vraiment ? -, d'un des articles du premier numéro de Make était d'ailleurs : "The Open Source Car: A Design Brief" ("La voiture Open Source : manuel de conception"). Les débuts de l'automobile et de l'aviation relevaient bien de cette glorification du bricolage, de même pour les hobbyistes du PC puis de la programmation soixante à soixante-dix ans plus tard...

Alors va pour la réinvention high-tech du Préfet Lépine !

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