Quel est le point commun entre le forum investisseurs-entrepreneurs Capital-IT et la journée technique MIX06 de Microsoft tenus à vingt-quatre heures d’intervalle, tous deux dans les fastes « folies » élevées au cœur des jardins des Champs-Élysées ?
Pierre Chappaz, entrepreneur vedette, mercredi chez l’un, apôtre du Web 2.0, jeudi chez l’autre !
Pierre Chappaz fait aujourd’hui partie du petit quarteron d’entrepreneurs dans le secteur de l’informatique dont la réussite est exemplaire. Alors que tous s’accordent à dire que, comparativement à la Silicon Valley et aux USA, la France n’a que peu de « role models » d’entrepreneurs à succès à mettre en avant pour encourager l’innovation et les jeunes pousses, Pierre Chappaz, avec très peu d’autres, incarne parfaitement un parcours réussi dans la high-tech. Et qui plus est, en ayant gardé le cap et traversé le raz-de-marée provoqué par l’explosion boursière de la « bulle Internet » !
Fin 1999, alors qu’il est directeur marketing Europe de l’ouest chez IBM, son projet de comparateur de prix, bâti sur l’exploitation d’une technologie développée conjointement par Bull et l’Inria (nom de code « Liberty Market ») prend forme et devient Kelkoo, porté sur les fonts baptismaux par Banexi et Innovacom – deux fonds (baptismaux) de venture capital en l’occurrence. En mars 2004, la startup était rachetée par Yahoo! pour 475 millions d’euros, propulsant la transaction aux premiers rangs du classement des opérations financières de l’économie du Web.
L’aventure est chroniquée dans le livre de Julien Codorniou et Cyrille de Lasteyrie, « Ils ont réussi leur startup ! » - un clin d’œil à Nicolas Riou, auteur, en 2001, d’un ouvrage, « Comment j’ai foiré ma startup. », retraçant l’échec d’une startup de la « Nouvelle économie ». Le parcours et le succès de Kelkoo ont évidemment donné lieu à de nombreuses tentatives de récupération de cette « réussite française » comme elle fut unanimement qualifiée par la presse. Mais, après être resté quelques mois à la direction de Yahoo! Europe, Pierre Chappaz – alpiniste averti – à su s’élever au-dessus des ces débats picrocholins. Retiré à Genève, pour des raisons que l’on est prié de croire uniquement liées à la proximité de la montagne – après tout, Denis Payre vit à Uccle, Bernard Liautaud et Philippe Kahn régatent en Californie… – Pierre Chappaz est donc de passage à Paris cette semaine pour promouvoir sa nouvelle startup sur les estrades de Capital-IT et de Microsoft.
Et ce qu’il présente est directement au cœur du Web 2.0 et des nouveaux usages de l’Internet.
Dans la carlingue sans hublots du premier étage de l’Espace Pierre Cardin, au bout du jardin attenant au palais de l’Élysée, où la veille encore, le Président de la République révélait les cinq premiers projets « d’envergure mondiale » de l’Agence de l’Innovation Industrielle, la voix aigrelette de Pierre Chappaz racontait une toute autre histoire, passionnante, mais partie d’une réflexion de nature bien différente. À l’opposé de Quaero, dont on ne comprend toujours pas très bien s’il s’agit d’un moteur de recherche ayant Google en ligne de mire – est-ce bien raisonnable ? – ou bien un projet « alexandrabrantesque » de bibliothèque numérique – n’avais-je pas déjà entendu cette idée, sous François Mitterand, à propos de la « Très Grande Bibliothèque » ? – la nouvelle startup de notre « serial entrepreneur » vise à élever et renforcer la communauté des lecteurs et des commentateurs de l’actualité sur le Web.
Le site Wikio se présente avant tout comme un moteur de recherche vertical dans les nouvelles et l’actualité (un peu comme Google News et Topix.net). Mais, première différence, Wikio indexe aussi bien les sites de la presse traditionnelle que les blogs. Comme Dan Gillmor, Pierre Chappaz est persuadé que le développement rapide des blogs entraîne, dans le nombre, la création de sources sérieuses et fiables d’informations sur l’actualité. D’ailleurs, en Corée du sud où l’accès haut-débit à l’Internet est généralisé, le site d’actualités ohmynews permet à tout citoyen de rendre compte d’une information d’actualités ou d’une nouvelle. Agoravox, en France, repose sur le même principe.
Seconde différence affichée par Wikio : le rôle des blogs. Pierre Chappaz montre, par exemple dans Yahoo! News, qu’en général les l’information d’actualités issue des blogs est souvent reléguée dans une petite colonne, hors du corps principal des pages Web. Les blogs sont les « pestiférés » des sites de media d’actualités et Wikio milite en faveur de la « libération des blogs de leur étroite colonne en haut à droite » ! Le moteur de recherche agrège et compare en effet toute information issue autant des sites d’actualités de la presse historique que née dans la blogosphère. Bien sûr, il existe des moteurs de recherche verticaux, spécialisés dans la recherche sur les blogs : blogsearch.google.com - encore Google - mais surtout Technorati, phare du secteur, Feedster, et PubSub qui, quant à lui, propose un filtrage des informations. Mais l’originalité de Wikio réside, d’une part, dans le mélange avec les sources d’information des sites média professionnels et, d’autre part, dans l’analyse sémantique de ces corpus joints de contenus – une technologie d’analyse d’ailleurs issue de la startup Sinequa, également représentée à Capital-IT par ses dirigeants Philippe Laval et Jean Ferré.
Enfin, troisième différence importante, dans le droit fil des innovations rendues populaires par le Web 2.0, les lecteurs peuvent eux-mêmes poster des nouvelles dans Wikio et commenter sur l’information d’actualités. Ces mêmes lecteurs, comme sur les sites d’information technique digg et Slashdot, peuvent voter pour tel ou tel article et le faire ainsi remonter dans le classement. (Kuro5hin utilise aussi un système collectif de modération et de classement, appliqué à des essais, voire des textes à vocation littéraire.) Chaque article est également décoré d’un collier de « tags », indispensable pour prétendre à la qualification Web 2.0, dûment représenté dans un « tag cloud » dans un cartouche séparé, à la manière de del.icio.us.
Tout à fait dans l’esprit RSS/Ajax célébré le lendemain par Microsoft en grande pompe au Théâtre Marigny, à quelques mètres de là, où Pierre Chappaz précédait sur scène l’ouragan Steve Ballmer ! Pas de surprise réelle : Julien Codorniou vient lui-même de rejoindre le géant de Redmond pour promouvoir, via le programme IDEES, les relations entre Microsoft, les jeunes pousses et les investisseurs en capital risque.
Un « serial entrepreneur » français, encensé par Microsoft, pour un moteur de recherche vertical, fondé sur une approche sémantique avancée, mis en œuvre dans un état d’esprit qui illustre typiquement l’architecture participative du Web 2.0 et les technologies de pointe XML : n'est-ce pas là la bonne recette pour un succès d’envergure mondiale ?