vendredi, septembre 01, 2006

Le software arme géopolitique ! Exigez le code source !
Jeudi 16 mars 2006

Le très britannique Lord Drayson faillit en faire tomber son monocle dans son Darjeeling. Ministre de la défense et, plus particulièrement, en charge des achats pour les armées il s'est senti contraint à hausser le ton face aux alliés américains, nous rapporte le Daily Telegraph. De passage à Washington devant le Congrès, Lord Drayson s'est insurgé contre la prétention des Etats-unis à ne pas communiquer à l'Angleterre le code source des logiciels embarqués sur le Joint Strike Fighter. Très "Rule Britannia" il a menaçé d'annuler purement et simplement la commande de 12 milliards de livres sterling du gouvernement britannique, by Jove! Se justifiant de cette perte du proverbial flegme insulaire, Lord Drayson déclarait au Daily Telegraph que "ces avions ne servent à rien si les Américains peuvent les planter!".

Les plus primesautiers y verront une illustration supplémentaire des vertus du logiciel libre. Pourquoi ne pas développer les logiciels embarqués dans les équipements et matériels de la Défense en Open Source ? Voilà qui règlerait le problème (et embarasserait nos énarques redoutables, vestales immarcescibles des onze "secteurs industriels stratégiques" de la France).

Cet épisode montre à quel point le logiciel est devenu une arme économique et politique dans les stratégies nationales d'aujourd'hui. Ne doutons pas que, sur un autre plan, l'Inde, la Chine et d'autres pays asiatiques en aient également compris l'importance. L'industrie du logiciel en Inde a depuis quelque temps fait éclater le carcan du simple "offshoring" ; la Chine développe ses propres versions des logiciels familiers de nos écrans et même Microsoft a du accepter la création en joint-venture d'un laboratoire de recherche à Pékin en échange d'un traitement moins défavorable de sa politique commerciale de licences.

L'émoi de Lord Drayson évoque également le livre d'Akio Morita, alors président de Sony, "The Japan That Can Say No", (http://en.wikipedia.org/wiki/The_Japan_That_Can_Say_No) publié en 1989 à l'apogée de la crise politique entre le Japon et les USA. Son idée directrice était alors que, le Japon devenu grand fournisseur technique des USA, la technologie japonaise - microélectronique, circuits etc. - était entrée au coeur des systèmes de contrôle et de commande de l'armée américaine et qu'à ce titre le Japon pouvait s'affirmer plus fortement sur la scène capitaliste internationale, fort de cette influence géopolitique indirecte. Une manière très directe d'inciter le Japon de l'époque à retrouver son rang dans le concert des puissances mondiales.

Mais il n'est peut-être pas uniquement question de ces nobles aspirations.

C'est ce même Lord Drayson qui provoquait au début du mois de février une commotion, cette fois dans son propre royaume, en privatisant le service de recherche de la Défense du gouvernement britannique, Qinetiq, en vue de son introduction en Bourse. L'annonce et l'IPO avaient immédiatement, comme il se doit, fait grimper de plus de 800 % la valeur du titre Qinetiq, multipliant d'autant la valorisation de la participation du fonds américain Carlyle - épouvantail capitalistique bien connu de ce côté ci de la Manche - dans Qinetiq. Carlyle, au Conseil duquel siège John Major, ex-Prime Minister de sa gracieuse Majesté, avait acquis 31 % de la société lors de sa vente aux enchères décidée par le gouvernement en 2002 pour environ 60 millions d'euros qui se trouvaient du jour au lendemain valorisés près de 500 millions. Ni Carlyle, ni le président, ni le directeur général de Qinetiq ne se sont privés de vendre au plus haut, prompts à profiter de l'aubaine... Les mauvaises langues ressortirent alors la contribution personnelle de Paul Drayson, entrepreneur à succès ayant revendu la société de biotech fondée par son beau-père et grand fournisseur de vaccins pour... le Ministère de la Défense, au parti Travailliste était arrivée bien peu de temps après son élévation au rang de pair par le gouvernement Blair. C'est le même gouvernement Blair qui avait procédé à la privatisation de Qinetiq d'une main tout en garantissant à la société de l'autre un contrat d'approvisionnement de la Défense et de gestion des zones de tir de missiles britanniques pour 25 ans. Carlyle qui avait financé sa prise de participation en utilisant la garantie offerte par ce contrat réalisait au bout du compte une plus-value astronomique sur cette participation.

Pas étonnant que Lord Drayson s'offusque de l'attitude américaine : même pas la reconnaissance du ventre ! C'est décidément bien indigne entre alliés fidèles !

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