vendredi, septembre 01, 2006

Minatec Crossroads : à la croisée des chemins

Lundi 05 juin 2006
« Run ! » crie le Directeur de la Stratégie et Fellow d’Intel en bondissant hors du car.

Zigzaguant à sa suite pour éviter le bombardement d’œufs auquel est soudain soumis la délégation qui assiste à la conférence, je ne peux m’empêcher – entre deux halètements, il y a longtemps que j’ai perdu l’entraînement ! – de me faire la réflexion qu’en France on ne rate jamais une occasion de faire la preuve éclatante d’un misonéisme archaïque, surtout devant les rares étrangers qui nous font l’honneur de s’intéresser encore aux réalisations technologiques nationales.

Je rejoins enfin, miraculeusement indemne, le hall du Musée de Grenoble où se tient, à l’invitation du maire Michel Destot, lui-même ingénieur et entrepreneur-fondateur de société de high-tech après son passage au CEA, le cocktail d’inauguration des rencontres Minatec-Crossroads, trois jours fort denses de conférences technologiques tenues juste avant l’inauguration officielle du Minatec ce vendredi 2 juin. Dehors, le directeur de l’INPG, un des initiateurs du programme Minatec, relève le Senior VP R&D de TSMC, le plus gros fondeur mondial, touché en pleine course par les ovoïdes projectiles balancés avec fureur par des manifestants qui vocifèrent contre le « Minatec : désastre écologique ». Le directeur du LETI tente de rassurer le petit groupe de rescapés essayant de retrouver leurs esprits : une escarmouche de plus des « anti-nanos », probablement une simple répétition avant jeudi ou vendredi lors des événements publics et officiels.

Nous fuyons à l’étage.

Et pourtant, le Minatec est une formidable réalisation. Aboutissant aujourd’hui après un travail herculéen de lobby de Jean Therme, directeur du CEA, et de Paul Jacquet, directeur de l’INPG (Institut National Polytechnique de Grenoble, l'un des viviers actif d’excellence en ingénierie et technologie en France), entamé dès 1999 auprès de la ville, du département, de la région et de l’Etat, le centre pour les micro et les nanotechnologies inauguré aujourd’hui nous replace au niveau des États-unis (Nanotech d’Albany, dans l’état de New York) et du Japon (Selete). Regroupant 6000 chercheurs sur 44km2 de campus, à proximité immédiate de son parent, le LETI, dans des buildings neufs regroupant toutes les technologies de pointe pour la recherche dans le domaine de l’infiniment petit, le Minatec est un instrument unique d’exploration et de résolution des nouveaux défis posés par la miniaturisation dans l’industrie des semiconducteurs.

Quelques Cassandre, et non des moindres, nous ont mis en garde : Bill Joy, un des pères spirituels d’Unix, fondateur de Sun Microsystems, prophétise la destruction de la biosphère par des « nano-robots » échappés des laboratoires et devenus cinglés ; ce dont l’inépuisable Michael Crichton a tiré un thriller apocalyptique, Prey, instantanément élevé au rang de best-seller. Les « nécrotechnologies » fustigées par l’amicale josébovine de Grenoble avec laquelle nous eûmes à en découdre seraient donc en gestation entre le Drac et l’Isère, n’attendant qu’un écart au très constitutionnel « principe de précaution » pour se muer en fléau planétaire. Illustration parfaite de la fin de l’idée de progrès abondamment commentée par Pierre-André Taguieff...

Or de quoi fut-il question pendant la conférence Minatec Crossroads ? De catastrophe pour le vivant ? Non point, mais de nouveaux vecteurs pour les médicaments, d’imagerie médicale avancée, d’approfondissement des sciences de la vie et de la santé ! D’anéantissement de l’écosystème ? Non point, mais de nouveaux capteurs plus sensibles pour prévenir toutes sortes de dangers, d'amélioration de la traçabilité, de sécurité environnementale des équipements électroniques, de dispositifs à faible et très faible consommation d’énergie, de nouveaux matériaux « neutres » ! D’asservissement de l’homme à la machine, devenue infiniment petite et distribuée ? Non point, mais d’avancées dans les télécommunications numériques, de nouveaux téléphones/téléviseurs/PDA personnels à très faible consommation, de très hauts débits et de chips mémoire aux capacités borgésiennes (Funès ou la mémoire, in Fictions).

Les technologies émergents dont le Minatec est d’ores et déjà le spécialiste sont celles qui entraîneront le prochain cycle de croissance de l’industrie électronique et, partant, de pans entiers de l’industrie manufacturière mondiale à moyen terme. D'ailleurs, au fur et à mesure que la taille caractéristique de ces technologies diminue – aujourd’hui l’échelle dans l’industrie des semiconducteurs est de 0,13 ou 0,09 microns (millionième de mètre), mais au Minatec les présentations portaient déjà sur les technologies allant de 65 nanomètres (milliardième de mètre) à 22 nanomètres – leur impact économique met en jeu des équilibres mondiaux à des échelles de plus en plus grandes – Asie, Europe, Etats-Unis.

La société de l’information et la culture de l’innovation – toutes deux tant de fois appelés de leurs vœux par les champions des contre-feux aux « déclinologues » qui accapareraient aujourd’hui les lumières vacillantes de l’intellectualisme français – passent inexorablement aujourd’hui (pour demain) par la maîtrise de ces objets incroyablement complexes que sont les substrats avancés, les FinFET, les « quantum dots », les nano-cristaux que l’on cherche à manipuler individuellement pour construire littéralement de toutes pièces de délicates sculptures invisibles, les interconnexions optiques, les nano-tubes de carbone dont l’usage promet de révolutionner les mémoires puis les unités logiques de traitement, la simulation numérique (maths et logiciels) au niveau atomique, etc.

Alors souhaitons que les résultats scientifiques et technologiques soient à la hauteur des attentes qu’ils suscitent !

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