Nouvelle offensive de charme de Microsoft la semaine passée, qui conviait la communauté du capital risque européen à un VC Summit, tenu concomitamment à un événement dirigé vers les PME européennes également organisé par l’éditeur de Redmond à Bruxelles sur le thème de « l’innovation ». Fine mouche, Microsoft a choisi la capitale de la politique européenne pour inaugurer un nouvel « Executive Briefing Center », installé en grande pompe, à quelques pas des bâtiments de la Commission qui, depuis quelques mois, poursuit l’éditeur américain d’une vindicte renouvelée.
On ne sait si c’est pour se racheter une conduite vis-à-vis de la Commission mais Microsoft a parfaitement su choisir le thème de l’innovation, placé au centre des débats actuels sur les politiques nationales et européenne de valorisation de la recherche et de développement de l’industrie des hautes technologies. Les interventions de représentants de la « SME Union » au nom des PME européennes, de membres des diverses commissions de l’administration européenne et des managers de Microsoft fournissaient une occasion unique de mettre en perspective des stratégies variées d’accompagnement de la valorisation de l’innovation.
Tant Microsoft que les éminents représentants des divers comités et lobbys européens partagent au départ la même profession de foi – même si le contexte dans lequel elle s’est confirmée est bien différent entre cette rive de l’Atlantique et l’autre. En quelques mots : le monde économique entre dans une phase diversement nommée « société de l’information » ou « économie de la connaissance » dans laquelle l’invention, l’innovation et les savoir-faire sont les moteurs du développement. Pour simplifier abusivement une analyse des idiosyncrasies des deux systèmes aujourd’hui bien établis : du côté américain « la pensée libérale » imagine que les marchés et la libre entreprise fondée sur un rôle prépondérant des capitaux privés sont les dispositifs les plus adaptés à encourager cette indispensable innovation ; du côté européen, on maintient – pas nécessairement en contradiction avec la position précédente, c’est une question de degré – que l’Etat ou les états ont un rôle décisif à jouer qui va de l’encadrement réglementaire à l’accompagnement économique.
Le contraste entre les deux démarches, partant pourtant du même constat, n’en était que plus vif, à entendre les présentations des orateurs au VC Summit.
Le représentant de l’union européenne des PME, par exemple, reprenant ce refrain non seulement usé jusqu’à la corde mais, de plus, complètement surfait et inexact, n’a su trouver qu’à fustiger « les difficultés d’accès au capital » des jeunes entreprises et l’absence de « business angels » en Europe – considérés, avec justesse, comme une des niches de l’écosystème du capital privé intéressé à l’innovation. La pathétique rengaine d’une Europe ou la recherche et l’invention se porteraient bien mais l’innovation ne trouverait jamais à se concrétiser, faute d’accès aux capitaux, resservie réchauffée à un parterre d’investisseurs en capital-risque qui plus est, démontrait au mieux un manque de discernement pitoyable. Impression renforcée par l’intervention cataleptique de Maive Rute de la Commission européenne qui présentait comme critique et essentielle la proposition européenne visant à permettre la création d’une entreprise en moins d’une semaine dans les pays de l’Union à l’horizon 2009, reprenait à son compte les insipides déblatérations sur les « gazelles », et présentait les « stock options » permettant d’attirer et de retenir des managers expérimentés dans les startups comme si elle les avait découvert hier matin ! Pas un mot sur la fiscalité – et ô grand jamais l’évocation même voilée de son lien possible avec l’anémie des réseaux de business angels européens -, pas un mot sur les réglementations byzantines du droit du travail dans les pays de l’Union, rien sur les politiques de protection des brevets et de la propriété intellectuelle… L’Europe ainsi maquillée n’est pas près de s’imposer au plan international en dépit des gesticulations politiques qui agitent ses cénacles !
L’impression qu’on retiendra, en revanche, du représentant de l’autre bord à cette occasion, Microsoft dans le rôle du podestat bienveillant, concerné et responsable, est tout autre : le pragmatisme y domine. Microsoft a opportunément rappelé que sa politique d’acquisition de jeunes entreprises de technologies est déjà ancienne. Les douze derniers mois ont vu le nombre de ces acquisitions doubler par rapport à l’année antérieure et tripler en valeur : le géant du logiciel ne sous-paye pas la propriété intellectuelle qu’il acquiert.
Concession peut-être à l’Europe, Microsoft annonçait le jour même de nouvelles transactions avec des jeunes pousses basées en Angleterre (Skinkers) et en Irlande (Vimio). Et c’est à l’Europe que Microsoft réservait la primeur d’un nouveau genre d’opération : pas d’acquisition cette fois, comme ce fut le cas en février dernier pour MotionBridge basé à Paris, mais une vraie opération d’accompagnement. Dans le cas de Skinkers, le laboratoire de Microsoft Research établi en Angleterre, à Cambridge, accorde une licence d’exploitation de sa technologie peer-to-peer (Pastry) à la startup en échange d’une participation à son capital et un siège d’observateur au conseil d’administration de la société. Dans le cas de Vimio il s’agit d’une licence d’exploitation de technologies d’optimisation des flux vidéo. Ce sont les premières réalisations du programme Microsoft IP Ventures destiné à valoriser les travaux de ses laboratoires de recherche (2 aux USA, Cambridge, Pékin et Bangalore). Tout comme les grandes institutions de recherches nationales en Europe type CEA et Fraunhofer Institut !
Mais ce n’est pas tout. Au travers du programme IDEES en France, mené tambour battant par Julien Codorniou, et d’une initiative similaire en Allemagne, Microsoft cherche à travailler en bonne intelligence avec la communauté du capital risque en haute technologie – même réduite à quia après l’explosion de la bulle Internet qui a provoqué une transhumance massive des capitaux privés vers les vallées d’apparence plus vertes des méga-fonds de LBO, menaçant là aussi d’un désherbage imminent. Au travers de la communication régulière de ses centres d’intérêt, de la mise en place de programmes de co-marketing et de partenariats commerciaux, Microsoft promet de soutenir efficacement les jeunes sociétés de high-tech européennes. Nul doute que ces initiatives, aux arrières pensées tactiques affichées mais acceptées, soient plus intéressantes aux yeux des entrepreneurs que les perspectives bureaucratiques avancées par les administrations européennes !
Alors, si l’on met à part les manifestations de gratitude fort convenues des entrepreneurs appelés sur scène par Microsoft pour témoigner de la vie rêvée en collaboration avec l’éditeur, et la sortie proprement fascinante d’un des « évangélistes » de Microsoft se vantant d’avoir enfin utilisé un Macintosh puisque BootCamp lui permettait de booter sous Windows (!), il restera que le géant de Redmond a amplement réussi, sous le patronage de Jean-Philippe Courtois, Président de Microsoft International, son immigration « choisie » en Europe.