vendredi, septembre 01, 2006

Polices de l'Internet chinoise et américaine : Big Brothers !
Mercredi 05 avril 2006

Amusante coïncidence des événements, un article dans USA Today décrit le fonctionnement du programme "Internet Detective", un "spyware" des forces de polices chinoises qui surveille les utilisateurs de la Toile en Chine, au moment même où, de l'autre côté du Pacifique, la National Security Archive rendait public (URL : http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB177/info_ops_roadmap.pdf) un document datant d'octobre 2003 qui explicite le plan de contrôle de l'information du gouvernement américain et signé de Donald Rumsfeld.

La police de l'Internet chinoise a fort à faire d'après l'article. Forte de 30.000 agents, elle doit quand même surveiller plus de 111 millions d'utilisateurs du Web. (Soit un agent pour 3.700 internautes pour l'instant.) Pour ce faire elle s'appuie sur le maintenant fameux Internet Detective, installé sur les postes dans les cybercafés et les bars Internet fréquentés par la grande majorité des internautes. Une campagne publicitaire avait même été organisée à Shenzen par le fournisseur d'accès public pour frapper les esprits. Deux personnages de dessin animé, Jingjing et Chacha, formés des caractères du mot police jing et cha (cf. http://www.atelier.fr/veille-internationale/cyber-surveillance,jingjing,chacha,veillent,vous-31719-12.html) rappelaient aux internautes oublieux que l'Internet faisait bien partie, si l'on en doutait encore, du domaine de la surveillance policière. Présents sur les écrans et sur les murs de la ville, dans la meilleure tradition orwellienne, ils symbolisent la surveillance policière, stratégiquement affichée, de l'état chinois sur l'Internet.

Dans les conclusions (p. 6 de l'Executive Summary) de l'Information Operations Roadmap, on lit ces fortes paroles : "We must fight the Net" ("Nous devons combattre le réseau") et, plus loin, "We must improve network and electro-magnetic attack capability" ("Nous devons améliorer nos capacités d'attaque électronique et des réseaux"). D'autres aspects sont également abordés : désinformation des populations, des forces et des centres de décision ennemis, renforcement des centres de décision et de collected d'information amis, développement d'une stratégie d'intervention a l'extérieur du territoire américain pourvu que les cibles elles-mêmes ne soient pas américaines, rôle des "hackers" (en politiquement correct ils sont appelés "computer network attacks specialists"), des journalistes (et des bloggers ! Aha !) dans la dissémination de vraies-fausses informations, etc. De bien louables et patriotiques intentions à n'en pas douter !

La police de l'Internet américaine existe donc bien, elle aussi. Elle est, comme dit si lyriquement le texte, une "core military competency" (une compétence centrale du Militaire) mais elle agit dans le plus grand secret, voilée derrière des effets de manipulation des esprits, tant à l'étranger que sur le territoire américain, et des attaques électroniques dans le cyberespace. On peut simplement regretter qu'elle n'ait pas aussi popularisé, comme son homologue chinoise, des petites mascottes de dessin animé pour égayer les sites Web.

Dès lors, comment interpréter les vives sorties du Congrès américain en février dernier contre le porte-parole de Google, reprochant à la société sa coopération récente avec la police chinoise dans la censure des résultats de son moteur de recherche ? Information ou désinformation orchestrée "de l'intérieur" dans la scrupuleuse application de la roadmap ? D'autant plus que Google obtenait, par ailleurs (ou peut-être pas par ailleurs justement), un compromis et un demi gain de cause dans l'affaire qui l'opposait au gouvernement sur la révélation d'informations sur les requêtes effectuées sur son site par les utilisateurs du moteur de recherche. (Alors que Yahoo!, lui aussi objet de critiques à propos de sa coopération avec les autorités chinoises, et MSN avaient livrés leurs fichiers sans sourciller.)

Les balbutiements de la gestion de ce formidable système de production et de consommation de ressources intellectuelles, données, information, connaissances, que représente l'Internet évoquent les menaces, théorisées en son temps par l'écologiste Garett Hardin dans son article "The Tragedy of Commons", que font peser les stratégies individuelles sur le bénéfice partagé que l'on peut attendre de ressources publiques. À l'époque fondées sur des études de communautés agricoles et des réserves halieutiques, ces conclusions restent curieusement bien d'actualité à l'échelle des nations - décidément bien présentes et actives quoi qu'on en dise - et de l'Internet mondialisé.

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