L'Idate dans sa vénérable sagesse vient de décréter doctement que le « très haut débit (THD) est encore inutile en France ». Pas de précipitation, donc, sur les offres d'accès à plus de 20 Mbps, puisque d'après l'Institut - dont le slogan qui est tout de même "The European way to think the Digital World" se passe de commentaire - déclare que les contenus pour en profiter ne sont pas encore disponibles. Quiconque a du rebooter sa FreeBox ou sa LiveBox au moment de télécharger un fichier important appréciera !
Mais au fait, France Telecom ne doit-t-il pas lancer, avant l'été, une offre pilote de connexion à Internet par fibre optique, en remplacement de l'ADSL ? Un premier pas vers la construction d'un réseau en fibre optique coûteux mais qui devrait lui permettre de contrer des concurrents extrêmement offensifs. Je ne serai pas autrement surpris que ce rapport de l'Idate (http://www.telecom.gouv.fr/telecom/thd/rap_thd.pdf), commandé par Bercy (ministre : Thierry Breton), soit amendé dès que France Telecom sera enfin prêt (ancien dirigeant : Thierry Breton) à offrir du très haut débit. L'Idate reconnaît toutefois que le très haut débit est une « tendance de fond ». « D'ici la fin de la décennie, les débits sont inéluctablement appelés à dépasser les 20 Mbps », par VDSL ou fibre optique, est-il écrit. Juste le temps pour France Telecom de rattraper un retard techno-administratif probablement...
Car enfin, le pronunciamento de l'Idate fait irrésistiblement penser à l'infâme déclaration d'un Bill Gates, jeune CEO à l'avènement du PC, en 1981 : « 640 K devraient être suffisants pour tout le monde ». (Anecdote apocryphe d'après l'intéressé qui nie farouchement avoir prononcé cette forte parole.) « La France n'est pas en retard » lit-on un peu plus loin dans ce même rapport de l'Institut. Le ton complaisant est évidemment hors de propos. Le développement rapide du haut débit en France, 10 millions de foyers équipés en ADSL contre 500 000 en 2002, propulse en effet la France au sommet des classements par pays en termes de nouveaux foyers équipés par trimestre.
Ce rattrapage qui réjouit nos édiles, surtout prompts, comme Benoît Sillard, le délégué aux usages d'Internet auprès du ministre de l'éducation nationale, à se féliciter que 3,7 millions de Français aient fait leur déclaration d'impôt via le Web, doit néanmoins être remis en perspective. Eurostat, l'office statistique des communautés européennes, a livré début avril son propre classement des « pays branchés ». Les pourcentages de foyers connectés à l'Internet atteignaient 78 % aux Pays-Bas, 77 % au Luxembourg, 75 % au Danemark, 73 % en Suède, 62 % en Allemagne, 60 % au Royaume-Uni, puis plus loin dans le classement 46 % en France (juste devant l'Italie), mesurés au premier trimestre 2005.
Même le seuil des 50 % franchi (ces derniers mois), la France reste aux alentours de la dixième place européenne, en milieu de peloton. M. Sillard et la délégation qu'il dirige ne s'y trompent pas : « nous avons identifié la principale résistance qui décourage de se connecter, il s'agit d'un manque d'accompagnement », a-t-il déclaré au journal Le Monde. Voilà donc une raison pour laquelle le très haut débit est encore inutile qui avait échappé à l'Idate !
En attendant que l'accès à très haut débit « accompagné », aux couleurs de France Telecom et subventionné par l'Etat, soit dûment monnayé à notre population d'assistés, dans un élan techno-paternaliste rappelant les très riches heures du Minitel, il fallait plutôt écouter Jean-Michel Billaut et André Labarrère au récent forum Capital-IT. Exemplaires !
Jean-Michel Billaut (à lire toutes affaires cessantes sur son blog : http://billaut.typepad.com/) est, comme il le dit lui-même, avant tout à la retraite et, loin de l'image qu'on pourrait s'en faire, le bouillant et prosélyte conseiller Internet de BNP-Paribas, initiateur des rencontres high-tech de l'Atelier (http://www.atelier.fr/). Il est également conseiller du maire de Pau, André Labarrère, qui, le premier en France, s'est lancé en 2003 dans la câblage en fibre optique de sa ville. C'est leur véritable « croisade » qu'ils venaient conter au forum. M. Labarrère, dont le franc-parler et le charme emportent irrésistiblement l'adhésion de ses auditeurs, nous raconta qu'alors qu'il avait à peine commencé à mettre en forme ce projet, il s'était retrouvé face à Thierry Breton, alors à la tête de France Telcom, qui l'avait littéralement menaçé et promis de faire avorter dans l'oeuf ce projet que l'opérateur considérait comme un crime de lèse-monopole.
Trois ans, et de nombreuses péripéties, après, malgré les 25 000 prises installées, seuls 2 000 habitants se sont aujourd'hui abonnés à ce débit annoncé de 100 Mbps (environ 10 fois le débit de l'offre ADSL courante). Ce résultat mitigé a malgré tout inspiré le conseil général des Hauts-de-Seine. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le conseil vient de voter un investissement de 25m d'euros sur cinq ans pour équiper la région. Je doute que Thierry Breton, entre temps devenu locataire de Bercy, n'ait cette foismenacé le porteur de ce nouveau projet de le faire avorter dans l'oeuf !
Voilà bien la hauteur de vues du débat français. Inutile, trop cher à l'usage, trop coûteux à la mise en place, trop politique pour les uns, plus égalitaire ou moins que l'ADSL pour les autres, centre de coûts ou générateur de profits pour l'Etat : le concert discordant des voix fait oublier le principal. À quoi cela sert et à qui ?
Un des moteurs importants de la demande pour du haut débit et maintenant du très haut débit est évidemment la généralisation de la vidéo numérique comme media promis à une consommation et, plus récemment, à une production de masse. Les mêmes opérateurs télécoms de réseaux mobiles, pour qui l'accès est « encore inutile », nous annoncent chaque trimestre l'arrivée imminente de la 3G et de la télévision sur les mobiles - le projet AII (Agence de l'Innovation Industrielle) « d'envergure mondiale », rappelons le, emporté par notre champion industriel Alcatel est précisément consacré à ce sujet, ô combien brûlant en cette année de Coupe du monde.
Sur le thème de la distribution de la télévision par l'ADSL, l'opérateur indépendant Free a, quant à lui, bel et bien pris par surprise le monopole assoupi. Aux USA, le nouveau phénomène s'appelle YouTube. Lancé il y a à peine plus d'un an, le site permet à tout un chacun de poster ses clips et offre des outils très simples d'usage pour le montage vidéo. Le nombre de visiteurs est aujourd'hui passé à 30 millions par jour et le trafic sur le site va bientôt dépasser celui du site de CNN ! D'après Alexa, YouTube ("Broadcast Yourself") est aujourd'hui au 25e rang mondial en trafic, deux fois plus vu que le plus fort site français (free.fr), certes encore loin des premiers du classement (Yahoo!, Google, MSN, Baidu, etc.).
Et pourquoi donc voit-on aujourd'hui les géants de l'Internet comme Google et Amazon se battre pour offrir du stockage en ligne à bas prix par gigaoctets entiers (GMail versus S3) ? À quoi donc attribuer le succès explosif des blogs et des outils de production en ligne : 2,2 millions de blogs sur skyblog.fr fin 2005 et 37 millions dans le monde d'après Technorati ? Tout simplement, après la ruée sur la « recherche » - le monologue du Web - la technologie aidant, à l'insatiable besoin de « remplir » le Web pour entamer un dialogue avec la communauté toute entière. On ne dit plus « everyone will be world-famous for 15 minutes » (Andy Wahrol), mais « everyone will be world-famous for 15 megabytes » : du quart d'heure de célébrité au 15 megas. (Bientôt les « 15 Gb of fame » !)
Et puis, au pays de l'exception culturelle, il ne faut pas dire qu'une grande partie de ce haut débit est utilisé à des fins que la loi DADVSI a bien du mal à quantifier mais qu'elle qualifie sans peine, au travers des réseaux pair-à-pair sur lesquels circulent déjà des Gb de fichiers audio et vidéo. Sous ce régime juridico-légal confus, l'accès à Internet à très haut débit est aussi synonyme de très gros problèmes...
Mais si tout était facile, il n'y aurait « aucune gloire à triompher » et malgré le tableau dressé par le rapport de l'Idate, nous reprendrons ses conclusions encourageantes : « En conclusion, bien qu'aucune application spécifique au THD ne soit encore identifiée, l'analyse de l'évolution des besoins actuels peut elle-même justifier une augmentation de la bande passante disponible et donc le déploiement du THD : en premier lieu parce que ces besoins ne pourront être satisfaits sur l'ensemble du territoire malgré la généralisation des solutions ADSL2+ et VDSL/VDSL2 ; ensuite parce que la généralisation des offres "rich média" et la simultanéité des usages devraient s'accentuer, sans dégradation des performances pour chaque utilisateur ; enfin, parce que la montée en débit est continue depuis les débuts de l'ADSL et il est difficilement envisageable d'imaginer que cette progression cesse au cours des prochaines années ».