dimanche, janvier 07, 2007

La stéganographie pour tous !

Creative Commons, dont le slogan est « Some Rights Reserved » (quelques droits réservés par opposition au « tous droits réservés » classique) a pour mission de créer un système de copyright « raisonnable ». Fondé en 2001 sur le constat de l'avocat vedette Lawrence Lessig - il a joué un rôle important dans les premières phases du procès antitrust contre Microsoft en 1998 - que le système du copyright américain était aujourd'hui totalement déséquilibré au détriment de l'intérêt public, Creative Commons vient de se doter d'un nouveau « Chairman », Joichi Ito. Les licences mises au point par Creative Commons se distinguent des autres par la possibilité donnée aux auteurs d'offrir quelques droits aux consommateurs, dans des conditions particulières qu'ils sont eux-mêmes capables de spécifier. Ces licences ont beaucoup gagné en popularité en 2006 avec un service dédié de Google permettant de rechercher des contenus sous licence Creative Commons, et avec un plug-in de Microsoft permettant d'intégrer ces licences aux documents créés avec Office.

Mais la vision de Joichi Ito, exprimée la semaine dernière, à l'occasion de sa nomination est bien plus ambitieuse : « Ce que nous voulons c'est que lorsque vous allumez votre caméra numérique, elle demande sous quelle licence Creative Commons sera la vidéo d'aujourd'hui ? ». Joichi Ito décrit un monde futuriste dans lequel tout équipement producteur de contenu numérique (texte, audio, vidéo...) embarque un dispositif de tatouage de licence Creative Commons ! L'industrie des média erre, jusqu'à aujourd'hui en tout cas, plutôt dans l'excès inverse. Les manoeuvres défensives, en imposant des systèmes de DRM de plus en plus sophistiqués et coûteux, et les manoeuvres offensives, comme les nombreuses poursuites en justice d'internautes individuels, se sont multipliées aux USA ces dernières années et sont jugées par une classe croissante d'observateurs comme extrémistes. En France, le Conseil constitutionnel a adopté la loi DADVSI en juillet 2006 dans un débat confus et houleux qui laisse beaucoup d'insatisfaits.

La vision de Joichi Ito laisse plus que songeur. Au plan technique, on y est presque. En une dizaine d'années, la recherche scientifique dans le domaine du tatouage électronique (watermarking) s'est considérablement développée, poussée par électroniqueles applications commerciales et la généralisation des formats numériques. Si la cryptographie traite aussi de la protection de l'information, elle permet d'assurer la confidentialité, l'intégrité ou l'authentification de documents multimedia. Avec le tatouage on a simplement l'objectif de cacher un message utile - une licence Creative Commons et ses droits, par exemple - dans un message de couverture - la vidéo produite par la caméra, la photo prise par l'appareil, etc. On distingue en général : la stéganographie, l'art de la dissimulation, qui rend impossible de distinguer si le message de couverture contient ou non le message utile ; le tatouage proprement dit, où le message utile est lié à l'identité de l'ayant-droit du message de couverture (et doit donc rester présent même si ce dernier subit des modifications) ; le « fingerprint », enfin, dans lequel lorsqu'un document est cédé à un nouvel agent, il est préalablement marqué d'un nouveau message utile (ce qui permet de tracer les fraudes). Les méthodes de tatouage habituelles sont dites symétriques : le message utile est « incrusté » grâce à une clé secrète dans le message de couverture et le détecteur emploie la même clé secrète pour trier le contenu marqué du contenu non marqué. Généralisé, ce système pose un problème de sécurité si la clé secrète doit se trouver embarquée dans un très grands nombres de récepteurs (des caméras ou des appareils de photo numériques, par exemple). D'où des travaux de recherche très actifs, qui débouchent aujourd'hui sur des méthodes concrètes, sur les méthodes dites « asymétriques » dans lesquelles la clé de détection est différente de la clé d'incrustation. Ces dispositifs fournissent des niveaux de sécurité bien supérieurs aux précédents.

Il suffit d'imaginer une puce stéganographique utilisée comme coprocesseur avec tous les microprocesseurs et micro-contrôleurs du marché et le tour est joué ! Mais serions nous bien dans le meilleur des mondes promis par Creative Commons ? Que faire d'un appareil photo qui insiste pour marquer les photos avant de fonctionner ? Que penser d'une télévision qui s'éteint si le contenu diffusé n'est pas tatoué Creative Commons ? Est-ce vraiment différent des systèmes de DRM qui ont défrayé la chronique, comme l'infâme rootkit de Sony-BMG ? Ou encore du verrouillage iPod/iTunes, dont la technique de gestion des droits numérique, FairPlay, vient d'être « craquée » par le hacker Jon Johansen (« DVD Jon »). À partir du moment où Creative Commons se doterait des moyens de contrôle qui se généraliseraient aux équipements de production, ne rend-on pas la situation encore plus compliquée. Ce système, issu du monde du copyright anglo-américain est-il compatible avec le droit d’auteur français ou continental ? En système de copyright, il n’existe pas formellement de droit moral (respect du nom de l’auteur, intangibilité de son oeuvre). En système de droit d’auteur, ce droit existe et est inaliénable ; l’auteur ne peut donc rien en céder. Or les Creative commons envisagent certaines renonciations à des droits moraux.

Les nouveaux réseaux de surveillance électroniques ont de beaux jours devant eux en 2007 !

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