vendredi, janvier 12, 2007

L'INRIA à Microsoft : passez par Le Guichet !

C'est dans le grand amphi de Supelec, par cette pluvieuse après-midi sur le plateau du Moulon, que l'INRIA et Microsoft recevaient pour la cérémonie d'inauguration de leur laboratoire commun de recherche Microsoft Research - INRIA. Fruit d'un accord signé par Gilles Kahn, Président Directeur général de l'INRIA, et par Steve Ballmer puis confirmé par un protocole d'investissement de Microsoft signé par Bill Gates à l'occasion de son passage à Paris en octobre 2005, le laboratoire commun regroupe aujourd'hui douze chercheurs. Mais avec des ambitions « ouvertes sur le monde » rappelait Michel Cosnard, nommé à la tête de l'INRIA après le décès de Gilles Kahn début 2006.

Les orateurs de cette demi-journée firent, comme il convient, assaut de déférence et de courtoisie dans leurs discours inauguraux, chacun, néanmoins, n'hésitant pas à rappeler le rôle et la vocation des institutions qu'ils représentaient. Eric Boustouller de Microsoft France s'enorgueillissait du premier partenariat privé-public de recherche fondamentale ; Michel Cosnard, hilare, se réjouissait du montant du chèque de Microsoft - dont ni l'un ni l'autre n'ont révélé le chiffre exact : « de quoi soutenir trente chercheurs » est la seule indication qui nous a été donnée - et de la rapidité avec laquelle il avait été établi par le géant de Redmond - « ce qui tranche de la puissance publique » crut-il bon de préciser ; Rick Rashid, le président de Microsoft Research s'était déplacé, venu de Seattle pour expliquer que Microsoft Research n'est pas Microsoft, mais bien une organisation de recherche fondamentale (« basic research ») ouverte, qui publie ses résultats, au même titre qu'une université américaine (700 personnes, 5 laboratoires dans le monde entier à Redmond, Mountain View, Cambridge en Angleterre, Pékin et Bangalore) ; Andrew Herbert, patron du laboratoire Microsoft Research de Cambridge, britannique dans l'âme, rappelait que le laboratoire commun dépendait bien de son propre institut et n'était qu'une illustration des partenariats que Microsoft Research entendait, sous sa houlette, nouer avec d'autres laboratoires en Europe comme l'INRIA et l'Université de Trente en Italie, dans le cadre de l'European Science Initiative ; enfin, Jean-Jacques Lévy, récemment nommé à la tête du laboratoire commun français, n'avait plus qu'à dévoiler les deux sujets de travail initiaux : les preuves formelles de logiciel, et l'informatique au service des scientifiques.

Mais derrière le « politiquement correct » qui sied à ce type d'événement, certains esprits chagrins ne voulaient pas se laisser séduire par les bulles du champagne et les petits fours (pourtant excellents : Microsoft, Research ou autre, sait recevoir !). De quoi soutenir trente chercheurs, certes, grinçait mon voisin, Professeur des universités et Directeur de recherche, mais « salaires français ou salaires Microsoft ? » Bernard Lang, un des pères de XML - le spécialiste XML de Microsoft, Jean Paoli, a d'ailleurs été formé par son équipe aime-t-il à rappeler - apôtre du logiciel libre, cocréateur de l'AFUL, se devait de jouer le rôle de poil à gratter dans ce bel agencement. Sous l'oeil progressivement de plus en plus inquiet du modérateur, Bernard Lang s'emparait du micro et posait quelques questions sur les raisons de la confidentialité absolue de l'accord entre l'INRIA et Microsoft Research, sur l'attitude beaucoup moins déférente et amicale de Microsoft vis-à-vis du Référentiel général d'interopérabilité de la Direction Générale de la Modernisation de l'Etat, au sein du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qui fait la part belle au format OpenDocument (en confrontation directe avec ceux de MS Office), et sur l'avantage conféré à Microsoft par une mainmise sur la propriété intellectuelle et sur d'éventuels recrutements de chercheurs issus des travaux de la recherche publique, censés servir les intérêts nationaux.

En tout cas, sur la propriété intellectuelle la réponse est claire. L'INRIA ne dérogera pas à ses choix, qui sont de protéger les résultats de ses travaux et d'en verser régulièrement les fruits éventuels aux chercheurs. Dans le cas du laboratoire commun Microsoft Research et l'INRIA seront tous deux propriétaires et pourront commercialiser cette propriété intellectuelle partagée, d'un commun accord, suivant leurs politiques habituelles : via des produits Microsoft ou via l'exploitation de licences industrielle comme l'INRIA l'a fait par le passé. Bernard Lang avait d'ailleurs été un moteur dans le débat contre la brevetabilité du logiciel en Europe. Ici les résultats seront « communs et protégés », circulez, il n'y a rien à voir, assénait Michel Cosnard.

Et pourquoi pas ? Des douze chercheurs, sept sont permanents, quatre de l'INRIA et trois de Microsoft Research - en fait un groupe de français (nostalgiques ?) jusque là exilé à Cambridge dans l'East Anglia, à une minute à peine d'aviron du King's College sur la rivière Cam. S'agit-il là d'une prise de pouvoir de l'éditeur ?

Microsoft Research a déjà annoncé vouloir s'en tenir pour les logiciels à la fameuse licence CeCILL-B, une licence libre de droit français, à la sauce CEA-CNRS-INRIA, dans l'esprit de et compatible avec GNU GPL, inspirée, pour cette variation, de BSD (cf. http://www.cecill.info/licences/Licence_CeCILL-B_V1-fr.txt). Voilà qui n'est pas abusif, surtout si l'on met en regard la politique de publication de Microsoft Research, au plan international et aux USA, qui est comparable à celle de tous les centres académiques de recherche.

Avec, certes, un avantage historique à nos amis américains pour la recherche privée fondée par les entreprises : IBM a fondé le Watson Laboratory en 1945 ! son laboratoire de Zurich compte des chercheurs couronnés de prix Nobel en 1973, en 1986, et en 1987 ! on y invente le disque dur, FORTRAN, le modèle relationnel des bases de données, les fractales (de Benoît Mandelbrot, passé par Polytechnique en France avant de travailler pour Big Blue, sans « drame national » du patriotisme économique), l'architecture RISC et bien d'autres avancées qui ont largement bénéficié à toute l'industrie. Et que dire de ATT et des Bell Labs ? L'initiative lancée en 1991 par Rick Rashid chez Microsoft est donc tout à fait dans le contexte business des hautes technologies aux USA, où il est considéré comme normal que les géants industriels établissent des fondations ou des laboratoires de recherche fondamentale dont l'intérêt dépasse les seuls besoins d'innovation à vocation commerciale de ces grands groupes. Microsoft Research ne travaille d'ailleurs pas que dans le domaine de l'informatique. Certaines de ses équipes, dont quelques unes au laboratoire commun avec l'INRIA, s'intéressent aux sciences sociales, à la biologie, à la santé, aux réseaux de toutes sortes... N'insistons pas, en Europe et en France c'est là où le bât blesse : une interminable litanie de rapports, livrés avec insistance ces dernières années, concluent systématiquement que la France connaît un des plus faibles taux de recherche privée en proportion de son investissement total en R&D ; il faut promouvoir par tous les moyens son développement, geint-on de toutes parts ; pour cela, les grands groupes industriels et de service doivent être incités à effectuer leur recherche en France, déclare-t-on dans les cercles qui nous gouvernent ! Aujourd'hui, même Microsoft fait de la recherche en France, si ce n'est pas une « victoire pour l'INRIA » comme le disait son président ?

Oublions donc un instant notre habitude nationale d'autodénigrement et voyons plutôt l'opportunité de faire avancer des sujets scientifiques importants. Leslie Lamport, plus connu pour la création de Latex, le système de mise en page de documents scientifiques que tout chercheur et étudiant à au moins une fois utilisé dans sa vie, est l'inventeur de langages de preuves formelles de logiciels assurant la validité et la sécurité des matériels et logiciels qui nous entourent. Il a rejoint le laboratoire commun pour y diriger une équipe. Le second axe est tourné vers l'exploration de domaines plus originaux et moins étudiés à l'heure actuelle que l'on appelle « eSciences ». Il s'agit de concevoir et développer des environnements indispensables à tous les scientifiques à la fois dans l'interaction avec les données qui peuvent leur être utiles (visualisation, manipulation) et dans la gestion de bases de données spécialisées (encyclopédies dynamiques, mise à jour).

On attend avec impatience les premières publications !

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