dimanche, mars 04, 2007

Avec l'acquisition de Medstory, Microsoft prend une position forte dans le secteur de la Santé

Le titre de Microsoft a gagné 2 cents au NASDAQ, lundi dernier, le 26 février. Soit une hausse de sa capitalisation boursière de près de 196 millions de dollars. Ce lundi, Steve Ballmer, orateur « keynote » invité à la conférence de la Healthcare Information and Management Systems Society (HIMSS) qui vient de se terminer à la Nouvelle Orléans, annonçait l'acquisition par Microsoft d'une jeune startup de Foster City, en Californie : Medstory. Lancée l’été 2006, la version grand public de Medstory est un moteur dédié à la santé qui sépare les résultats destinés au grand public des résultats orientés vers la recherche scientifique. Medstory offre des fonctionnalités très complètes comme l’affichage sélectif des types de résultats (actualités, presse et média, audio et vidéo) et l'on peut créer un fil RSS pour surveiller les nouveaux résultats de ses requêtes personnalisées.

Medstory avait par ailleurs noué en octobre 2006 un partenariat avec le Wall Street Journal Online et le site Breastcancer.org, pour enrichir ses résultats concernant les sociétés et les résultats concernant les cancers du sein. Le moteur permet également aux entreprises des média de valoriser leur contenu médical de manière différenciée. La société Medstory était spécialisée à l’origine dans les solutions logiciel pour l’industrie pharmaceutiques, biotechnologique et les organisations gouvernementales aux États Unis.

Après celle, en juillet 2006, de Azyxxi, la solution de gestion du dossier médical développée par le Washington Hospital Center, cette nouvelle acquisition permet ainsi à Microsoft de se rapprocher une nouvelle fois de l’univers médical avec l’objectif avoué de proposer un ensemble d’applications standardisées aux professionnels de la santé, avec pour cible principale les hôpitaux et les cliniques. Cette suite logicielle serait complétée par un ensemble de services dédiés aux consommateurs. La dizaine d'employés de Medstory rejoint donc l’équipe de 120 collaborateurs du département Health Solutions de Microsoft sur son campus de Mountain View, sous la responsabilité hiérarchique de Bill Gates.

Sans être grand analyste, on aura vite compris que l'agitation récente de Google sur ce secteur, et en particulier les déclarations d'Adam Bosworth, gourou technique, recruté de BEA précisément pour prendre la tête d'une division « Healthcare Information Services », encore dans les limbes mais clairement en préparation, n'est probablement pas pour rien dans ce mouvement stratégique de Redmond. Steve Case, l'ancien patron charismatique et prodige de la bulle Internet, fondateur et dirigeant d'AOL et artisan de sa fusion avec Time Warner, est aussi sur les rangs avec sa nouvelle engeance, Revolution Health Group, qui devrait offrir plus de 125 outils et services en ligne « pour mener une vie plus saine » - la « Santé 2.0 », en quelque sorte - un portail communautaire sur l'information relative à la santé. Alors, simple nouveau front ouvert dans la guerre Google/Microsoft, décidément bien déclarée après la mise en production des « Google Apps » empiétant clairement sur les plates-bandes Office du géant de Redmond ? Google annonce une « health URL », une adresse électronique de santé, personnelle et grand public ; Microsoft réplique par un moteur de recherches vertical, centré sur l'information de santé, grand public et recherche scientifique. Rien de plus, vraiment ?

Mettons au crédit de Microsoft d'avoir également une vue à un peu plus long terme ! Car le moteur de recherches vertical de Medstory est, à y bien regarder, peut-être bien plus révolutionnaire que l'observateur blasé pourrait le supposer, lui qui n'est pas ému outre-mesure par les levées de capital-risque de nos champions nationaux, Sinequa et Exalead, presque simultanément annoncées. (L'ombre gothique de Quaero, maintenant abandonnée par la Walkyrie teutonne, plane un instant sur nos patriotes économiques au milieu du gué.) Esther Dyson, figure de l'industrie reconnue depuis plus de vingt ans (Release 1.0, PC Forum, etc.), mais également investisseuse de la première heure, à titre personnel, dans Medstory a vendu la mèche. Dans son blog, tenu sur le très « hype » site d'Arianna Huffington, Esther Dyson révèle que « Medstory n'est pas tant un moteur de recherche qu'un moteur d'ontologie ». Diable ! Éclaircissant ce cryptogramme, elle précise ensuite « le moteur est capable d'identifier les concepts dans le secteur de la santé, plutôt que de se contenter de marquer les simples mots clés ou les liens entre sites ».

Les grands mots, « ontologie », « concepts », sont lâchés. Et c'est bien là l'ambition de Medstory. Celle-ci s'explique si l'on creuse un peu plus avant l'historique du moteur de recherches. Medstory est le fruit des longues années de son fondateur, le Dr Alain Rappaport, dans les domaines de la médecine et de l'Intelligence artificielle (IA). Au début des années 1980, la France n'a pas su retenir ce docteur en pharmacologie moléculaire de Necker/Enfants-Malades, parti s'établir aux USA, d'abord comme chercheur à la prestigieuse université de Carnegie-Mellon, creuset des sciences cognitives, alors balbutiantes. C'est dans ces laboratoires, parmi les plus féconds de l'informatique et de l'IA, avec le MIT et Stanford, que dans les années 1980 et 1990 il développe et publie algorithmes, travaux de recherche, et réalisations industrielles pour une approche « cognitiviste » de la représentation des connaissances. Par ailleurs, l'entreprise qu'il a co-fondé à Palo Alto en 1985, Neuron Data, connaît, quant à elle, un beau succès et file une trajectoire qui la mène à la cotation au NASDAQ, exploit notable pour une société lancée à l'origine par des français frais débarqués dans la Silicon Valley. L'intérêt pour la modélisation des connaissances, et, en particulier, dans le domaine de l'information médicale, secteur offrant une combinaison unique de caractéristiques exemplaires (long historique de formalisation, institutionnalisation ancienne, recherche scientifique très active, intérêt du grand public, impact économique important et mondial, terrain de réconciliation de savoirs expérimentaux et de connaissances théoriques: bref tout pour séduire le scientifique de la « cognition »), vient donc de loin dans l'historique de Medstory. Les technologies de Medstory sont un concentré de vingt ans de recherche et de succès en IA appliquée.

Dans un papier, écrit avec Marty Tenenbaum, collaborateur de Medstory et fondateur de CommerceNet, dont le titre est véritablement annonciateur « AI Meets Web 2.0: Building the Web of Tomorrow » (L'IA rencontre le Web 2.0: comment construire le Web de demain), cet héritage technologique est mis en avant. Le constat que la science est devenue, à l'évidence, multi-disciplinaire et hors de portée d'un seul individu ou d'un seul groupe est le point de départ de la réflexion. Les communautés scientifiques s'appuient de plus en plus sur le Web pour travailler, échanger et communiquer : revues scientifiques publiées en ligne, portails, services d'information, de recherche, de citations ont fleuri ces dernières années. C'est probablement dans ces communautés scientifiques que se trouvent d'ailleurs les premiers exemples opérationnels et quotidiennement employés de la fameuse Architecture Orientée Services (SOA). Mais Medstory va au-delà de cette Science Orientée Services : les recherches du Dr Rappaport remettent l'accent sur la « connaissance », visant le partage de l'expertise et des connaissances scientifiques à grande échelle.

L'architecture technique de Medstory est présentée comme un véritable « grid computing » à base de connaissances (ici médicales). L'architecture répartie en agents intelligents, qui embarquent des connaissances du domaines - les fameuse « ontologies » vantées par Esther Dyson - permet de mobiliser les différentes communautés scientifiques en réponse à des objectifs globaux mettant en jeu une variété de sous-domaines habituellement compartimentés (bases de données d'expressions de gènes, protéomique, analyse structurelle 3D, unités de séquençage de gènes, analyse phylogénique, données des essais cliniques, tests de population, etc.). D'où la vocation première de Medstory d'opérer un Web de coordination de la recherche appliquée, bénéficiant de l'automatisation de la collaboration et de l'échange de connaissances entre domaines scientifiques. La déclinaison grand public en un moteur de recherche vertical, dévoilée à l'été 2006, n'est donc qu'un exemple, d'accès très simple, des services à base de connaissances offert par l'architecture.

Notons pour conclure que le sujet de « l'e-science » intéresse particulièrement Microsoft : la conception d'outils logiciels pour l'analyse des données scientifiques complexes est un des sujets du laboratoire de recherche commun de Microsoft et de l'INRIA récemment inauguré à Orsay ; que l'information sur la santé et les services de santé, devenu intimement liée au Web, devient un enjeu commercial et technique de la concurrence entre les grands acteurs de l'Internet, Google et Microsoft en tête ; et qu'enfin, l'architecture technique a une portée qui s'étend bien au-delà du seul domaine de la santé. On a probablement pas fini d'entendre parler de l'architecture Medstory.

Alors faire gagner 2 cents à l'action de Microsoft au NASDAQ, chapeau bas pour un ancien de Janson...

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