À flanc de la montagne Sainte-Geneviève, nichée dans des bureaux troglodytes, vient de se regrouper une équipe de recherche assez exceptionnelle - comme il s'en constitue sporadiquement en France nonobstant le « déclinisme » ambiant alimenté par les classements asiatiques, ou bien, horresco referens, anglo-saxons des universités dans le monde. À quelques coups de pédales de Velib' - chance ! ça descend ! - de l'Ecole normale de la rue d'Ulm, de l'ancienne Ecole polytechnique et du Centre de recherche en épistémologie appliquée qu'elle abrite, de Louis-le-Grand, de la Sorbonne et... du Panthéon, l'Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France héberge ce qui se fait de plus pointu au monde dans le domaine des systèmes adaptatifs complexes.
Un simple coup d'oeil aux thèmes de recherche fascine immédiatement l'imagination et convoque, dans le seul secteur de l'informatique, du logiciel et des réseaux, tant d'applications à l'esprit qu'il devient urgent d'intéresser les développeurs à ces problématiques. Qu'on en juge par quelques un des sujets de l'ISC :
- Propriétés dynamiques des systèmes complexes
- Conception de systèmes complexes artificiels
- Morphodynamiques spatio-temporelles
- Contrôle de la gouvernance multi-niveaux
- Innovation, apprentissage et coévolution
- Organisation spatio-temporelle cellulaire et subcellulaire
- Intelligence territoriale et développement durable
- De la cognition individuelle à la cognition sociale
- Complexité écosystémique
- Des processeurs aux réseaux: vers une intelligence ubiquitaire
- Emergence en physique : comportements collectifs, fluctuations hors équilibre
Prenons, pour illustrer, la question devenue primordiale - avec ces dernières semaines le « hacker rouge » chinois comme complaisant épouvantail - de la sécurité informatique. L'un des chercheurs, après une brillante démonstration de la modélisation du développement embryonnaire (« evo-devo », évolution du développement) à partir d'un réseau de cellules (informatiques) reproduisant chacune un micro-réseau de régulation génétique - où l'on voit littéralement à l'écran la morphogénèse d'un « thorax » et de « pattes » parfaitement reconnaissables à partir d'un groupe de cellules « souches » - mentionnait par exemple l'emploi de ces modèles pour faire « évoluer » des parades aux attaques virales ou autres auxquelles sont soumis aujourd'hui tous nos réseaux.
À l'heure des wikis, blogs et autres réseaux sociaux à grande échelle, une meilleure compréhension du passage de la cognition individuelle à la cognition sociale promettrait enfin d'élever un peu le débat au dessus des questions de modèle publicitaire de revenus et de CPM ! Que ce soit pour le mouvement Open Source comme pour le casse-tête de la gestion des noms de domaine et des adresses IPv6, le contrôle de la gouvernance multi-niveaux deviendra une nécessité. Bref, la complexité, dans toutes ses variations économiques, techniques, environnementales, devient le nouvel horizon, se rapprochant rapidement, de la recherche.
Hors qu'ai-je entendu de la bouche de Craig Mundie, CTO de Microsoft et patron de la « Global Research » du géant de Redmond, comme invité privilégié (encore merci, Julien et Marc) d'une rencontre en petit comité avec lui lors de son passage à Paris ?
« Dans les cinq à dix prochaines années, nous devrions vivre de profonds changements dans le secteur de l'informatique », prévoit Mundie. « La tendance est aux systèmes à très grande échelle et aux logiciels devenus critiques dans tous les aspects de la vie économique et sociale. Ces systèmes devront être programmés avec de nouvelles méthodes qui prennent en compte les deux obstacles majeurs : complexité et performance ».
Convergence complète de vues !
S'attaquant à ces questions, Microsoft et, en particulier, son organisme de recherche Microsoft Research - qui a inauguré au printemps dernier un partenariat inédit privé-public avec l'INRIA en France -, s'intéresse à la programmation des nouveaux processeurs multi-cœurs, véritables réseaux à l'intérieur même du CPU. Depuis sa présentation à Bruxelles en juin dernier (dûment chroniquée sur ce site) on savait que ce sujet passionnait Craig Mundie, ancien fondateur d'Alliant Computer Systems, pionnier des machines parallèles.
Autre question posée par Craig Mundie : que faire de toute cette capacité de calcul maintenant disponible sur nos stations de travail et nos laptops, la plupart du temps, connectés au réseau ? Craig Mundie concède lui-même - savoureux ! - que les applications les plus répandues comme Microsoft Office sont très, très loin de consommer ce surcroît de puissance de calcul maintenant disponible (malgré les efforts des équipes de développement de l'éditeur ?!). Ne pourrait-on pas employer cette capacité inutilisée aujourd'hui à faire « évoluer », en tâche de fond, un modèle du comportement de l'utilisateur au travers de l'analyse de l'historique de ses interactions pour pratiquement « devancer » ses intentions et lui offrir les bonnes données dans les bonnes applications au bon moment : transformer le PC en véritable assistant, s'adaptant aux usages et comportements individuels de chacun.
Dans ce qui devait être une semaine agitée, puisque Craig Mundie arrivait à Paris le lendemain de l'arrêt rendu à Bruxelles confirmant les pénalités imposées par la Commission à l'éditeur - gros briefing avec Brad Smith au téléphone à son débarquement au Bourget j’imagine - les sujet évoqués pendant la discussion contrastaient avec le combat paraissant d'arrière-garde de Bruxelles. En effet, après la mention quasi-obligatoire de Silverlight "très important pour la construction des applications Web de nouvelle génération", nous sommes passés à des sujets autrement plus ambitieux : santé et éducation. Avec Mundie, Microsoft se pose la question de l'amélioration des services liés à la santé et à l'éducation qu'il peut rendre au grand public. Thèmes sans doute liés à la volonté réelle du géant de Redmond de participer (activement) à la réflexion sur le développement durable. (D'ailleurs, crois-je savoir, Mundie devait en rencontrer deux apôtres, Yann Arthus-Bertrand et Luc Besson, lors de cette brève visite.)
Dans le domaine de la santé, Microsoft, sur la base de ses acquisitions récentes de Medstory (février 2007) et d'Azyxxi (juillet 2006), veut construire une plate-forme de gestion des informations médicales. D’abord du côté de la collecte avec des logiciels interfacés avec les instruments médicaux qui constituent au fur et à mesure un dossier médical du patient, comprenant examens, images radiographiques, scans et autres données, simplifiant au passage le workflow dans les hôpitaux et les cliniques. C'est le sens de l'acquisition de la base de données spécialisées et du BPM d'Azyxxi. Mais Mundie voit aussi le développement d'une restitution « intelligente », personnalisée et sécurisée de ce dossier au grand public, au patient lui-même avec, au choix de ce dernier, l'option de rendre possible l'accès à ce dossier médical aux institutions de recherche pour l'amélioration des traitements et des médicaments. C'est là le domaine d'excellence du pionnier Medstory. Amplifiées par la machine marketing et commerciale de Microsoft, certains qualifieront ces idées de généreuses et respectables, d'autres seront glacés d'effroi devant la menace de ces privautés que l'éditeur menacerait de prendre à notre égard...
Au plan de l'éducation, Craig Mundie mentionne diverses initiatives de Microsoft visant à équiper écoles en milieu rural, pays émergents, organismes de formation continue en matériels et logiciels. Il évoque aussi l'idée (généreuse ou glaçante, cf. ci-dessus) d'un petit ordinateur pour chaque enfant, distillateur infatigable d'une pédagogie individualisée et respectueuse des cultures et des traditions.
Finalement, on ressortait de cette conversation inédite et passionnante sur le fond, avec l'idée que, sans ignorer les défis évidemment posés à la fois par une nouvelle concurrence, Google en première ligne, par l'ancienne et vitupérante compétition avec IBM, Sun, Oracle, SAP et tant d'autres, par une opinion publique si volatile exprimée via les institutions européennes ou la justice américaine, Microsoft n'en restait pas moins fidèle à un credo, fait sien depuis pratiquement ses débuts, en la technologie informatique, et en une technologie au service de l'individu, insistant plus que jamais sur le « Personal » dans le PC.