mercredi, octobre 03, 2007

La politique publique d'aide à l'innovation à la dérive

La semaine dernière, l'étude Ernst and Young, rendue publique à l'occasion d'un forum sur les territoires à Mulhouse, révélait un bilan en demi-teinte des fameux pôles de compétitivité dont l'Hexagone se glorifie. Si le rapport note un retard dans l'atteinte des trois objectifs initiaux des pôles : développement des réseaux d'entreprise, mise en place de projets de recherche et visibilité internationale, en revanche il met en avant une réussite incontestable, « la nette amélioration des relations entre chefs d'entreprise et élus » - défense de rire, des élections municipales sont proches !

Ce volet de la politique publique d'encouragement à l'innovation, pourtant présenté naguère sur un ton triomphant comme indispensable tant au « patriotisme économique » qu'au rayonnement du pays, serait-il (déjà) en train de battre de l'aile ? L'étude Ernst and Young précise que ces « nouvelles relations » semblent néanmoins avoir favorisé le maintien d'entreprises sur les territoires. Mais elle pointe sur le point d'achoppement principal, maintes fois avancé par les observateurs, à savoir la faible participation des PME. Ne représentant, par décret, que 15% à 30% des financements de projets, leur implication, confirme cette étude, reste évidemment trop faible dans les projets de recherche collaboratifs.

Des PME françaises, décidément montrées comme cause et objet de bien des réflexions contradictoires sur l'innovation nationale ! On voudrait tout à la fois inciter à leur procréation - mesures fiscales favorables aux investisseurs providentiels, les « business angels », pourvu que leur ISF soit revenu sous contrôle des exils (providentiels ?) où ils auraient pu s'égarer ; qu'à peine écloses ces chimères s'hypertrophient en « gazelles » - le programme éponyme lancé en mai 2006 par Renaud Dutreil destiné à favoriser l'accès des 2.000 « gazelles », les PME les plus dynamiques, à des « conseils d'experts financiers » pour un soutien juridique, comptable, notarial et d'accès aux marchés réglementés ; qu'enfin ce bestiaire improbable prenne d'assaut les marchés atones, malgré l'intérêt initial des investisseurs porté à Alternext à son ouverture, et, de plus, aujourd'hui tétanisés par la menace de contagion du virus « subprime mortgage », ceci, bien sûr, tout en respectant scrupuleusement la « grammaire de l'économie moderne », chère à notre ancien ministre Thierry Breton, comme le rappelle avec autorité le HRIE (Haut responsable chargé de l'intelligence économique) qui vient d'éditer dix fiches pratiques à l'intention des PME : « Levée de fonds et maîtrise de l'information stratégique ».

Ce dernier pensum pédagogique attire l'attention des PME sur les différentes logiques qui pourraient animer l'univers hétéroclite, voire équivoque n'est-ce pas, des investisseurs. À l'époque du « principe de précaution » érigé en droit constitutionnel, le manichéisme à peine voilé de cette prose révèle deux grandes familles de fonds d'investissement : d'une part, les uns, fonds de « private equity » dûment agréés, certifiés, réglementés, imposés, contrôlés, suivis, interrogés, mis en conformité, pliants et « compliant », sanctionnés enfin par les immarcescibles Autorités nationales et, d'autre part, les autres, qui, peut-être, éventuellement, à tout hasard, pourraient hypothétiquement viser, mais pas directement, sans l'expliciter, les fonds souverains, ou fonds d'Etat comme ceux récemment établis en Chine et en Russie pour servir, de manière affichée, les intérêts nationaux, et les fonds des banques islamiques, dits « shariah compliant », conformes à la shariah. Mais surtout pas d'ostracisme ni de diabolisation ! Loin de nous l'idée, etc. Il est sûr que n'ayant pas nous même les moyens de créer un fonds souverain - le fonds souverain chinois de 200 milliards de dollars agit officiellement depuis le 1er octobre, après s'être illustré à l'avance par une prise de participation massive au capital de Blackstone lors de son IPO; celui des Emirats arabes unis est de 875 milliards de dollar ; celui de l'Arabie Saoudite s'élève à 300 milliard ; celui de Singapour à 430 milliards ; celui affiché officiellement par la Russie serait de 32 milliards ; à comparer au budget de la France en 2007, 267,8 milliards d'euros, par exemple - il devient urgent de s'intéresser à l'art de la poliorcétique.

Comment ces PME peuvent-elles donc s'y retrouver dans ce tourbillon de bonnes intentions, de mesures d'encouragement et de surveillance, de récompenses et de punitions ?

Les regards se tournent alors vers Oseo, l'établissement public d'aide au PME ! Las, trois fois hélas ! Depuis ce même premier octobre il n'y a plus de pilote dans l'avion... Le PDG d'Oseo, Jean-Pierre Denis quitte, comme annoncé il y a quelques mois, la direction de l'agence. Il n'est pas seul, le directeur général délégué est également appelé à d'autres responsabilités au secrétariat d'Etat aux entreprises, Catherine Larieux, Directrice de l'innovation, l'avait précédé il y a à peine quelques mois. Le successeur de M. Denis n'est pas annoncé : Oseo-Innovation manquerait de liberté de manœuvre, malgré un budget en augmentation, et l'Etat s'interrogerait sur la stratégie à suivre. Rappelons qu'Oseo est le fruit du rapprochement de l'Anvar, l'Agence de l'innovation historique devenue Oséo-Innovation, de la banque de développement des PME (BDPME) et de la Sofaris, chargée, quant à elle, de garantir certains prêts accordés aux PME. Trois logiques en confrontation directe, en pratique : agence de service public, banque et garantie/assurance. Résultat prévisible : Oseo-Financement, ex BDPME, représente trois quarts des effectifs et pratiquement la totalité du résultat net d'Oseo ; Oseo-Innovation est particulièrement mise en cause, défavorisée par sa taille et par les résultats atterrants de l'enquête de la Cour des comptes qui, en octobre dernier, avait dénoncé la gestion inefficace, approximative et hasardeuse de l'Agence. Ces luttes intestines et la vacance de la direction sont évidemment du plus mauvais effet alors, qu'en parallèle, Oseo doit fusionner avec l'AII (Agence de l'innovation industrielle), émanation archétype du « capitalisme à la française » voulue par Jean-Louis Beffa et Jacques Chirac, et dont l'avenir est sujet d'intenses débats depuis l'élection de Nicolas Sarkozy... (Rappel : 2 milliards d'euros ont été alloués au budget de l'AII, créée en 2005.)

Dans l'expectative, on continue : le 19 septembre 2007, le gouvernement a annoncé le lancement d’un 5e appel à candidature pour l’attribution d’aides au financement de projets de recherche et développement dans le cadre des pôles de compétitivité. Les 4 premiers appels à projets déjà lancés depuis décembre 2005 ont conduit au dépôt de 734 projets par 65 pôles. Quelque 313 projets ont été retenus pour bénéficier de près de 429 millions d'euros de l’Etat, auxquels s’ajoutent 233 millions des collectivités. L’Etat compte consacrer à ces pôles en moyenne 500 millions par an de 2006 à 2008.

Bon courage aux entrepreneurs innovateurs.

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