jeudi, mars 13, 2008

Ethique et TIC ?

Est-ce l'année électorale qui bat son plein aux Etats-Unis ou bien est-ce le mantra de Google, « Do No Evil », qui s'empare progressivement des esprits, toujours est-il que la conférence prononcée par Larry Lessig devant une audience de programmeurs et technologues de tout poil, début mars à la conférence Emerging Technologies (ETech pour les happy few) organisée par Tim O'Reilly, avait de quoi surprendre.

Larry Lessig est professeur de droit à Stanford ; autant dire l’incarnation séculière de l’Essence universelle du juriste. Il s'est surtout illustré, il y a maintenant dix ans, dans le procès en abus de position contre Microsoft lancé par le Department of Justice (DOJ) américain qui vit le modeste constitutionaliste aux petites lunettes cerclées se transformer en dragon, farouche défenseur des valeurs d'Internet, vomissant flammes et anathèmes sur l'impérialisme allégué de Redmond. Au point même que la Cour fédérale d'appel lui retirait l'affaire illico, après la publication de ses remarques liminaires.

Ce coup d'éclat le couvrit alors d'une célébrité instantanée et constitua sans doute le point de départ d'une fulgurante carrière « digitale » toute entière passée dans l'exploration et la reconnaissance des terres inexplorées, aux nouvelles frontières de la Loi et d'Internet. Ses livres, « Code », « The Future of Ideas », « Free Culture », sont parmi les exposés les plus lucides de la complexité des problèmes de droits et de protection à l'ère d'Internet. Analyste et observateur sans concession de la collision inévitable des nouveaux usages d'Internet et des systèmes juridiques hérités de pratiques antérieures et censés les encadrer, il n'a eu de cesse de proposer avec une opiniâtreté rare des solutions radicales à ces questions.

Alors qu'ici le rapport Olivennes -- au fait, on en parle déjà beaucoup moins aujourd'hui que naguère -- cédant peut-être à des lobbys qu'il est politiquement incorrect de nommer, recommande une évolution vers le « tout répressif », outre-Atlantique, Larry Lessig fait partie des fondateurs de l'organisation Creative Commons, un projet à l'ambition pharaonique d'offrir un référentiel ouvert à tous les travaux artistiques et productions intellectuelles dégagées de l'encombrement juridique des lois sur le copyright. Une sorte d'Open Source de la littérature, de l'image et de la musique, ou chacun délimite les droits et les privilèges accordés aux utilisateurs des contenus qu’il produit.

Tout de sombre vêtu, veste noire sur tee-shirt ras du cou noir également, le professeur de droit apparut sur scène avec l'allure du prêcheur évangélique. Elmer Gantry des temps modernes il appelait solennellement les « geeks » à rejoindre sa croisade contre la corruption à Washington. Avec une véritable homélie, dont le titre « Coding Against Corruption » interloque : « Les codeurs contre les corrompus » ou bien « Programmer pour lutter contre la corruption » ? Lessig explique qu'il entend persuader le Congrès de mettre fin aux pratiques qui entretiennent l’influence des lobbies et des intérêts particuliers sur les politiques publiques au dépend du bien commun. Et que, pour ce faire, l'aide des programmeurs, développeurs et codeurs de tous horizons lui est indispensable !

Comme pour Creative Commons, Lessig veut ainsi créer des marques de bonne conduite pour les sites des candidats à tous les postes officiels -- en particulier, au Congrès, auquel, pendant un temps, on a prêté à Lessig l'intention de présenter sa candidature -- en fonction de l'affichage de leurs intentions et de leur transparence sur l'origine de leurs fonds de campagne. Les citoyens pourraient ainsi orienter leurs dons pour le financement des campagnes électorales en fonction de ces vœux symbolisés par le nouveau marquage. L'activisme « numérique » sur l'argent et la politique est appelé à se développer pronostique-t-il, pointant des sites comme MAPLight.org (dont il a rejoint le conseil d’administration) et Sunlight Foundation.

« C’est à cause de la corruption à Washington que nos politiques publiques sont aberrantes. Tant que cela n’est pas résolu, rien ne pourra être résolu », a-t-il déclaré, reprenant des propos tenus au début de l'année à l’université de Stanford. L'affirmation qui concerne entre autres, bien entendu, la législation sur la propriété intellectuelle des produits culturels au format numérique. « Le changement ne viendra pas de la Maison Blanche ni de la Cour Suprême, mais du Congrès » a-t-il ajouté. Les rôle d'initiateur et d'entraînement joués par les développeurs de Web, de code, de programmes et de bases de données sont critiques pour élever les premiers sites « Vigilance et Propreté 2.0 » de ce nouveau réseau public d'alerte et d’information.

L'appel aux claviers citoyens sera-t-il entendu ? Le triomphe des « geeks » et autres « hackers » politiquement responsables triomphera-t-il d'une classe jugée trop politicienne par certains ? Alors qu'en notre douce France les tractations effrénées, les sourdes conspirations, les arrangements sordides et pitoyables de l'entre-deux tours des municipales défrayent la chronique, offerts comme en pâture à l’avidité du prime time, le sacerdoce de Larry Lessig laisse un peu rêveur...

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