Pour Clay Shirky, professeur à NYU et essayiste renommé sur tous les sujets relatifs au Web, qui s'exprimait dans la grande salle du Moscone West à l'occasion de l'exposition Web 2.0 à San Francisco, l'explication de l'état actuel du Web « social » est à chercher dans le gin et les « sitcoms » ! Lors de la révolution industrielle, en Grande Bretagne en particulier, le transformation de la vie rurale en trépidation urbaine fut si soudaine, brusque et traumatisante, argumente Shirky, qu'une génération complète n'a trouvé d'autre issue psychologique que de se noyer dans le gin. Et ce n'est qu'en sortant de cette stupeur sociale massive que la société anglaise de l'époque a su mettre en place les structures économiques et les organisations d'une « société dite industrialisée ». L'argumentation est étayée et développée dans le livre qu'il vient de publier aux Etats-Unis, Here Comes Everybody, dont le thème affiché sur la jaquette est « organiser sans les organisations ».
Quel rapport avec les centres d'intérêt de cette foule juvénile et attentive venue nombreuse à la conférence et exposition Web 2.0, grand-messe annuelle - et bientôt semestrielle - de Tim O'Reilly, notre authentique « beatnik » du Web ? Selon Clay Shirky, les révolutions technologiques du XXe siècle ont provoqué un effet stupéfiant comparable, le temps de loisir massivement libéré trouvant à s'épuiser dans la télévision et le formidable développement - aux Etats-Unis en tout cas - du sitcom. Le « surplus cognitif » gaspillé dans l'absorption passive et béate des heures de sitcoms rappelle sans nul doute le fameux « temps de cerveau », marchandise naguère vantée par certain directeur de chaîne de télévision privée. Comment, continue Shirky, peut-on s'étonner de voir tant de gens consacrer tant de temps et d'énergie à Wikipedia, par exemple, quand on met en perspective les 100 millions d'heures de travail qu'a requis l'élaboration du site dans l'état actuel aux 200 milliards d'heures passées par les américains devant le poste de télévision par an : 2 000 Wikipedia actuels par an ! Ou bien les 100 millions d'heures par week-end à regarder les publicités télévisées : 1 Wikipedia actuel par week-end !
Ce gigantesque surplus cognitif est donc à peine employé dans les balbutiements actuels du Web 2.0, considéré comme amplificateur de communications, auxquels nous assistons depuis quelques années. Le keynote finissait en appel aux bonnes volontés et au « sursaut cognitif » : refuser toute expérience non-participative qui serait malencontreusement proposée sur le Web ! Travailler sans relâche à exploiter le surplus cognitif à enrichir la noosphère !
Voilà qui détonait singulièrement au milieu des effets d'annonces et des présentations commerciales qui émaillaient la conférence plénière. Mais on était plutôt venu pour l'exposition aux proportions encore plus pharaoniques que l'année dernière, baromètre infaillible de l'innovation technologique et de son écosystème dans
À la rubrique cocorico, notons cette année encore la présence des vaillants Yoono, un service de favoris partagés communautaire, et de DreamFace Interactive, le projet Open Source de plateforme de mashups interactifs d'entreprise, accompagné de Twinsoft, spécialiste de l'intégration du SOA, des applications patrimoniales et du Web. Mais il y avait également quelques autres voix européennes dans ce concert essentiellement américain de startups.
À voir l'activité bourdonnante autour des stands des petits et des grands acteurs du Web social, l'idée qui vient à l'esprit est un retour sur l'analogie avec la révolution industrielle évoquée par Shirky. Le plan de l'édition 2008 de l'exposition Web 2.0 semblait désormais distinguer les exploitants du surplus cognitifs, innombrables et proliférantes startups proposant produits et services Web innovants, des candidats opérateurs à venir du surplus cognitifs, les géants comme Google, Microsoft, Yahoo!, Amazon occupés à rendre rapidement publiques les API ouvrant l'accès à leurs immenses datacenters et leurs ressources inépuisables de calcul.