Alors que l'on spéculait plutôt sur une acquisition dans le secteur du Business Intelligence, HP vient d'annoncer son intention d'acquérir le vénérable équipementier réseau 3Com, le valorisant à 2,7 milliards de dollars.
En effet, toute l'année 2008 HP avait réorganisé de fond en comble son offre Neoview — avec en ligne de mire directe le rival Teradata, dont Mark Hurd, le CEO actuel de HP, fut président pendant 3 des 25 années qu'il passa chez NCR — l'intégrant à un nouvellement créé Business Intelligence Group, débauchant même Ben Barnes, patron de la division Business Intelligence chez IBM Global Services pour le diriger. La transformation de NonStop SQL Database, à l'origine développée par Tandem et transmise en 2001 à HP via son acquisition ($25bn) de Compaq qui venait lui-même d'acquérir Tandem (en 1997 pour $3bn), en Neoview s'accompagna de partenariats de plus en plus resserrés avec des éditeurs comme MicroStrategy pour l'analyse et le reporting, ou encore Quadrant dans les secteurs de la finance et de l'assurance. On s'attendait naturellement à une acquisition rapide de ces cibles pour renforcer le positionnement concurrentiel de HP dans un domaine où les consolidations sont allées bon train : acquisition de Business Objects par SAP, de Cognos par IBM, d'Hyperion par Oracle et celle, plus modeste et plus discrète, de Datallegro par Microsoft, par exemple. Il faudra donc attendre encore un peu pour que se déploie la stratégie offensive de Mark Hurd.
Comme l'ont immédiatement analysé tous les observateurs de l'industrie, avec le rachat de 3Com c'est plutôt Cisco que HP a aujourd'hui dans le collimateur. Et précisément au moment où John Chambers, l'énergique CEO de Cisco est distingué par US NEws World and Report comme dirigeant de l'année 2009, héraut du retour triomphant de la high tech américaine après le hiatus de la crise (the biggest comeback of modern times !). Cisco est notoirement connu pour avoir déployé une stratégie agressive de croissance externe depuis sa création en 1984 jusqu'à devenir le géant de 2009, projetant un chiffre d'affaires de plus de 36 milliards de dollars — le dernier exemple en date, fin octobre, étant l'acquisition du spécialiste de la sécurité Web en mode Saas ScanSafe.
Même s'il n'atteint pas au statut de grand ancêtre fondateur et à l'âge de HP — et de son fameux garage, à l'origine de la mythologie fondatrice de la Silicon Valley toute entière et fondé en 1939 — l'aventure de 3Com remonte elle aussi assez loin dans l'histoire des réseaux. 3Com a été fondée par le médiatique Bob Metcalfe, célèbre inventeur d'Ethernet, en 1979. Après une IPO record en 1984, puis l'acquisition de Bridge Communications en 1987, une startup fondée par le français Eric Benhamou — grand employeur des jeunes stagiaires ingénieurs des Télécoms de la génération (vieillissante) de votre serviteur au début des années 80 — c'est lui qui en prenait la tête en 1990 et qui mena l'entreprise durant une décennie. 3Com s'illustrait par le rachat de US Robotics (en 1997 pour $7,3bn) le fabricant historique de modems et acquéreur de Palm deux ans auparavant. Après des tentatives et des repentirs stratégiques nombreux, Palm sera essaimé et retrouvera son autonomie en 2000. Dans le même temps, 3Com cherchera à nouer des liens avec les géants chinois naissants des secteurs du réseau et du téléphone, culminant avec la création en 2003 d'une joint venture avec Huawei, finalement rachetée par 3Com en 2006 ($882m) après une lutte acharnée avec les offres concurrentielles de plusieurs fonds d'investissement et de Huawei lui-même. L'année suivante, ces fonds, dont Bain Capital, et Huawei s'alliaient pour une OPA revancharde sur 3Com (pour une valorisation de $2bn). Las, devant la réticence des autorités américaines et en particulier celle de la commission sur les investissements étrangers, l'offre est retirée au printemps 2008. Patriotisme économique et impact sur la trésorerie des fonds d'investissement de la crise immobilière qui battait déjà son plein aux USA en 2007-2008 étaient passés par là... La réputation de 3Com déjà passablement ébréchée après l'explosion de la Bulle Internet par les atermoiements de son management en prenait encore un coup.
Mais avec 3Com, HP acquiert donc immédiatement une position dominante en Chine (via les développements de l'ancienne joint venture H3C) dans les équipements de réseaux de données, le coeur du métier de Cisco. De son côté, Cisco avait signé début novembre une alliance avec EMC et, en particulier, avec sa division VMWare pour la fourniture de serveurs et de produits destinés aux datacenters, les fers de lance de HP.
L'Europe est notablement absente sur ces sujets. L'appel de Didier Lamouche, PDG de Bull, à l'occasion du séminaire gouvernemental sur le Numérique de septembre dernier, à consacrer une partie du décidément fort convoité Grand emprunt au HPC et aux datacenters français — qui n'a guère été entendu si l'on en croit les premières « fuites » sur le rapport Juppé-Rocard (lire d'ailleurs la petite mise au point de sémantique appliquée d'Alain Juppé) — paraît en effet bien pâlichon au vu des enjeux de la bataille planétaire qui s'engage pour le déploiement de l'Internet du futur.