Alors que la valorisation boursière d'Apple s'envolait cette semaine pour dépasser celle de Microsoft (234 milliards de dollars contre 226 encore au 30 mai), le géant dépassé en appelait au souvenir de l'Apple des années 1980 pour la 6ème Journée Européenne Bizspark, présentée à Paris mardi dernier, en les personnes de Guy Kawasaki et Dan'l Lewin. En effet, si Dan'l Lewin est aujourd'hui Corporate Vice President for Strategic and Emerging Business Development, il eut par le passé la chance (et la force d'âme !) d'accompagner Steve Jobs, chez Apple puis chez Next. Quant à Guy Kawasaki, il n'est plus utile de le présenter : c'est lui qui a inventé, pour le lancement du Macintosh, l'extraordinaire qualification de « Software Evangelist », le titre qui resplendissait sur la carte de visite qu'il remit, il y a vingt-cinq ans, à un jeune entrepreneur français ébahi, venu lui présenter un système expert sur Mac !
À l'époque, les software evangelists d'Apple constituaient le corps des prosélytes d'une machine révolutionnaire mais à l'origine pauvre de logiciels. Leur mission radicale était donc d'attirer les développeurs à ce changement de paradigme de l'interface utilisateur graphique, de la souris et de la programmation événementielle (en Pascal !), pour faire fleurir un écosystème d'éditeurs partenaires. Hébergés dans le saint des saints chez Apple, à Bandley Drive même, se côtoyaient ainsi les impétrants entrepreneurs des jeunes Lotus (Jazz, au flop retentissant), Adobe, qui y développait Illustrator et portait PostScript (succès phénoménal, en revanche), votre serviteur, un Laurent Ribardière acharné sur Silver Surfer qui deviendrait vite 4D — dont Guy Kawasaki, parti d'Apple, créerait ensuite la filiale américaine ACIUS en 1987 — et bien d'autres. Parmi lesquels... Microsoft déjà, qui lié par un pacte secret à Apple, avait promis de développer des logiciels pour le Macintosh.
Vingt-cinq ans plus tard, sur le même thème, le programme BizSpark mis à l'échelle du Microsoft de 2010 est une formidable serre où fleurissent les jeunes pousses puisant à la sève des .NET, SilverLight, Azure, WP7 et autres technologies innovantes de Redmond. C'est qu'entre temps tout le secteur des logiciels et de l'informatique s'est véritablement industrialisé et que l'évangélisation est devenue l'un des instruments basiques de la promotion des nouveaux produits et des nouveaux services. Des titans comme SAP, Cisco, Intel et Applied Materials, par exemple, la pratiquent depuis très longtemps, ayant même poussé plus loin encore la stratégie et institué, par exemple, des relais de financement sous la forme de fonds de capital risque corporate dédiés afin de nourrir leur écosystème.
Le contraste ne pouvait être d'ailleurs plus douloureusement mis en scène mardi dernier, que c'est bien en Europe que l'éclatante constatation de l'organisation impeccable de l'événement — bravo à Julien Codorniou, de retour de Seattle, et à toute son équipe ! — rappelait combien l'UE est désespérément à la traîne dans ces secteurs.
Bien rare est, en effet, le volontarisme d'un Bernard Liautaud, interviewé dans l'après-midi, qui, à la question de Jennifer Schenker : « Pourquoi êtes-vous rentré ? », répondit simplement que de la Silicon Valley il pouvait choisir d'observer ce qui se passait en Europe ou bien il pouvait rentrer et essayer d'agir sur ce qu'il s'y passe. (Notons cependant que, téméraire mais prudent et fiscalement avisé, peut-être à l'image de son co-fondateur Denis Payre, apôtre des stock-options discrètement délocalisé à Uccle, Bernard Liautaud s'est précipité dans les bras d'un grand fonds d'investissement britannique dès son retour et a finalement posé ses pénates à Londres d'où l'on pense gouverner splendidement l'Open Source européen — MySQL, Talend.)
Impression de décalage vivement renforcée lors du panel qui suivait sur « Building a virtuous ecosystem in Europe » au cours duquel étaient rendus patents tous les maux dont souffrent les petites et moyennes entreprises en Europe. Une sortie de Peter Jungen, Président de la SME Union du European People's Party, en particulier, reste en mémoire, qui faisait remarquer que dans les épais documents d'élaboration de la stratégie européenne Europe 2020, qui se substituera à l'excellente « Stratégie de Lisbonne » qui connut le succès que l'on sait, il avait du batailler pour qu'y figurent même les mots d'entrepreneur et d'entrepreunariat. Et malgré le satisfecit que s'auto-décernait le représentant du Fonds stratégique d'investissement pour l'accompagnement financier des PME (Vallourec, Carbone Lorraine, Daher, DailyMotion — un hapax ? —, Nexans, Gemalto, 3S Photonics, Limagrain, Daher, Valeo...), il y aurait beaucoup à dire sur la déshérence du capital-investissement early stage pour l'innovation en France.
Alors ? Alors, il reste l'énergie inépuisable et rafraîchissante des dix huit startups qui, faisant fi du contexte récessif spécifique, portaient haut et fort leur inaltérable confiance en elles. Nous vîmes sur scène, venues de toute l'Europe, leurs vaillantes équipes appliquer avec plus ou moins de bonheur — mais toujours avec sincérité et fraîcheur — les principes de The Art of Start commentés par Guy Kawasaki en début de matinée. Quel que soient leurs sorts ultérieur et leurs parcours d'entreperise, les jeunes pousses Acumatica, Artesian, Captain Dash, HRLocker, Kobojo, MoneyDashboard, No Excuse Accounting, ProtectedNetworks.com, Red Carpet, Restopolitan, Sharpcloud, Siondo, Sones, Sopima, Sordu, Threeplicate, Time Cockpit, Tooio et les autres du programme BizSpark et IDEES témoignent de la vivacité de l'esprit d'entreprise en France et en Europe et de leur ténacité à surmonter les difficultés.