vendredi, mai 13, 2011

Angry Birds


Difficile, cette semaine, de manquer de remarquer l'esprit de concurrence pied à pied et les poussées d'adrénaline qui forment l'âme de cette industrie : le Ballmer des grands jours à la tête d'un Microsoft, qu'on disait flottant entre deux eaux après les départs de ses managers historiques, Ray Ozzie, Bob Muglia, Robbie Bach, Stephen Elop, et Mich Matthews en quelques mois, annonçait triomphalement le rachat de Skype au prix inouï de 8,5 milliards de dollars, le jour même de l'ouverture de Google I/O, la grand-messe de Google au Moscone Center à San Francisco.

 



Microsoft ne pouvait, en effet, laisser s'établir sur le terrain de Windows 7, au lendemain de son accord avec Nokia dont le même Stephen Elop vient de prendre la barre le service Google Voice et le Facetime promis par Apple. (D'autant plus qu'après de sérieuses échauffourées par communiqués de presse interposés, Google Voice, exclu de l'App Store l'été dernier par un Apple propriétaire et tatillon, y est de retour.)

 



Paradoxalement, Facebook pressenti comme acheteur potentiel de Skype depuis quelque temps — mais à ce prix là, probablement gêné par son statut de société non-cotée malgré une valorisation stratosphérique sur des marchés de gré à gré à la réputation sulfureuse — pourrait aussi bénéficier de ce rachat pantagruélique. Google, d'une part, dont Facebook fait sa Nemesis — au point, paraît-il de commissionner l'agence de relations publiques Burston-Marsteller pour distiller un venin acrimonieux sur les pratiques de son concurrent sur le (non) respect des données privées — se trouve ainsi privé d'une proie qu'il convoitait. La concupiscence de Google pour Skype date peut-être même de 2005 quand Ebay emportait ce trophée âprement disputé pour 3,1 milliards de dollars, avant de le revendre pour 2 en 2009, aux vendeurs d'aujourd'hui : SilverLake Partners, Andreesen Horowitz, le fonds de pension canadien CPPIB, et... les fondateurs Niklas Zennström et Janus Friis au terme de laborieux procès. (Une incidente : vu de ce bout-ci de la lorgnette, il faut évidemment s'attendre à ce que le grand choeur de la communauté financière du capital risque européen, en déshérence par les temps récessifs qui courent, entonne l'aria galvaudé de l'immense succès retrouvé des entrepreneurs de la vieille Europe — un suédois et un danois — en tendant leur sébile, la larme à l'oeil, à des investisseurs institutionnels qui ont déserté depuis longtemps au premier coup de trompe de Lehman Brothers.)

 



Rappelons également, d'autre part, que Microsoft est actionnaire de Facebook, ayant acquis, sous les cris d'orfraie moqueurs des commentateurs, 1,6 % du capital pour 240 millions de dollars en 2007. (Qui valent aujourd'hui 1,2 milliards à la valorisation « irrationnellement exubérante » actuelle du réseau social !) Facebook aura ainsi peut-être accès à la technologie Skype au bout du compte via cet actionnaire bienveillant aux intérêts anti-Google alignés sur ceux de l'enfant terrible du Web social : des crédits Facebook pour payer des minutes Skype ? « I Like » !

 



Alors qu'opposait Google, lors de cet événement I/O, à ce qui ressemble donc à un assaut concerté contre le moteur de recherches ? Une riposte organisée sur deux fronts majeurs : Android et Chromebook.

 



Google a rendu compte de la progression rapide d'Android ces derniers douze mois, les 400.000 activations quotidiennes de smartphones aujourd'hui permettent d'anticiper 100 millions d'activation pour cette année. Quant à l'écosystème, il croît et embellit : une communauté en croissance (36 fabricants, 215 opérateurs, 450.000 développeurs) et plus de 200.000 applications sur Android Market ainsi que la location de films — toujours moins que l'App Store mais pour combien de temps, compte-tenu de la vitesse acquise. Au plan technique, l'arrivée de la version 3.1 dite Honeycomb est imminente ; les applications de domotique avec Android at Home (intégrant un serveur multimédia HD, Tungsten, couplé au nouveau service Google Music, et le support du protocole de communication radio Zigbee) envahiront nos foyers, un nouveau plug-in pour Eclipse permettant de développer des applications combinées Android - App Engine directement laisse imaginer la collecte instantanée des données mobiles dans le cloud Google ; ça tombe bien l'App Engine sort de révision pour accueillir le nouveau langage de programmation maison, Go, et l'API de prédiction, produira, grâce au machine learning, une analyse encore plus fine et permanente de votre comportement.

 



Go est le troisième langage de programmation, après Java et Python, à recevoir l'onction de Google pour App Engine. Relativement peu connu, malgré sa livraison en Open Source dès 2009, Go est pourtant le fruit de l'expérience des authentiques et vénérables pères de l'Eglix, prophètes en leur temps, Ken Thompson — une simple ligne dans son C.V déclare sobrement : 1969  Develops UNIX operating system — et Rob Pike — Plan 9, Inferno et avec Brian Kernighan : the UNIX Programming Environment —, accompagné de leur diacre Robert Griesemer, prosélyte de Sawzall. L'intérêt de Go a été récemment relancé par d'abscons débats techniques comparant ses mérites à ceux, révélés, de la star montante de la Silicon Valley pour le développement d'applications cloud, Node.js — ce qui nous ramène une fois de plus à Google, puisque Node.js est basé sur V8, le moteur Javascript de Google Chrome.

 



Pour aspirer encore plus vite les éphémères traces de notre vie en ligne et diriger à haut débit toutes ces scories personnelles dûment annotées, classées, et catégorisées vers les mausolées de données de Google, silencieux datacenters dévoreurs de terawatts, enfouis aux quatre coins du territoire, voici l'invasion des Chromebooks. Tel le Sardaukar de la Maison impériale Corinno, démarrant sous Chrome OS en quelques secondes (grâce à la mémoire flash), le Chromebook se connecte immédiatement sur le cloud Google à vos applications et vos données, votre musique et vos vidéos, en toute sécurité ; en permanence aux aguets, empressé de servir, il capture avec efficacité et déférence vos moindres intentions sur la Toile. Naturellement, le Chrome Web Store vous permet de faire votre marché de toutes ces nouvelles applications notamment, mirabile dictu, pour la première fois l'indispensable Angry Birds.

 



Quelle meilleure image de la bataille des angry birds du Web, Google, Microsoft, Facebook, Apple pour la domination de l'univers en ligne ?

 



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