mercredi, août 30, 2006

Moteurs de recherche : Service ou Application ? (15.11.2005)

Au moment où les deux géants des moteurs de recherche « d�entreprise », Autonomy et Verity, fusionnent, de nouvelles startups, moteurs de recherche « verticaux », ne cessent d�apparaître à l�autre extrémité du marché. Trulia pour l�immobilier, SimplyHired pour les offres d�emploi, Healthline pour la santé, Truveo pour la video � à noter que sur ce segment, Autonomy avait déjà racheté Virage en 2003 � et bien d'autres sont autant d'illustrations de ce nouvel angle d�attaque du marché, décidément hyperactif, de la recherche.


À un récent forum (tenu sur le campus de Microsoft dans la Silicon Valley, un de ces rares nouveaux centres de recherche et développement situé hors de son siège près de Seattle), les fondateurs de ces nouveaux moteurs de recherche verticaux ont tous été interrogés sur leur perception de celui qui, pour l�instant, définit complètement le champ de bataille, Google, dans la concurrence acharnée qu�il livre à Yahoo! et à Microsoft.


Une des réponses les plus remarquables, aux yeux même de John Batelle, auteur du livre de référence sur l�ascension vertigineuse de Google (« The Search: How Google and Its Rivals Rewrote the Rules of Business and Transformed our Culture »), fut que si Google sait très bien exécuter des recherches sur le Web, il n�est pas prouvé qu�il soit un très bon éditeur d�applications logicielles. Ce commentaire entraîne naturellement la réflexion vers d'autres questions : quelle est, en effet, le c�ur logiciel (ou progiciel) de compétences de Google (et par extension de ses concurrents Yahoo! et Microsoft) ? Comment cela éclaire-t-il éventuellement leur stratégie de développement et la succession rapide de leurs annonces récentes ? Et, bien sûr, pourquoi ces nouvelles startup se considèrent-elles franchement du côté des applications d�entreprise alors que le débat application versus « Software As A Service » traverse toute l�industrie, provoquant parfois des basculements stratégiques, même chez les plus grands (comme Microsoft qui vient de présenter Windows Live et Office Live) ?


Cette contradiction apparente repose au final sur des acceptions différentes du rôle du moteur de recherche. D�abord, notons que Google sait faire quelques très belles applications comme GMail pour le courrier électronique, GoogleEarth pour la géolocalisation et Blogger pour les auteurs et les lecteurs de blogs (celle-ci résultant cependant de l�acquisition de Pyra Labs), mais la recherche, au sens strict, n�y joue finalement qu�un rôle réduit. Et quand ces grands moteurs généraux de recherche livrent des versions « desktop » de leurs moteurs dans les barres d�outils de nos navigateurs, le résultat n�est pas tellement plus intéressant que celui que l�on obtiendrait avec une indexation « full-text » de moteurs de recherche d�entreprise comme Verity et de nombreux autres. Ces nouvelles startups défendent précisément l�idée de la recherche comme application, en la verticalisant et en la dédiant à un métier ou à un domaine précis, pour l�intégrer à un paysage applicatif du système d�information de l�entreprise. Et à ce jeu là, Google et les autres grands, sont, comme ces startup, des nouveaux entrants. (Le cas de Microsoft serait certainement à isoler, puisque ayant bâti son succès sur les applications du PC d�entreprise.)


Ce raisonnement peut éclairer un des axes de développement de Google, comme le signale John Batelle. Pourquoi Google accorde-t-il une telle importance aux développements Ajax, de GMail à GoogleMaps, à Desktop Toolbar, à Accelerator, à Local etc. si ce n�est parce qu�une application doit offrir une interface graphique riche et une interactivité spécifique à ses utilisateurs ? Contrairement à un Service Web qui fait une chose bien et la même pour tout le monde, une application présuppose une interface robuste et une bonne connaissance des intentions et des compétences des utilisateurs auxquels elle s�adresse. C�est dans la résolution de cette tension, qui anime l�industrie du logiciel depuis l�invention de l�architecture client-serveur, que se situe aujourd�hui le grand gisement d�innovations (cf. les startups Web 2.0, par exemple, et, pour s�intéresser un peu aux champions nationaux, le courant linguistique particulièrement fort qui anime nos moteurs de recherche français mentionnés par Alain Garnier dans son récent article sur ce site).


Au moment où Microsoft réalise, avec Live, que les applications d�entreprise vont aussi devenir des Services Web, Google réalise que la prochaine étape de la recherche serait l�application d�entreprise. Ce croisement est d�autant plus intéressant à observer que chacun d�eux part d�une base, visée par l�autre, pour atteindre celle de son concurrent en évitant de cannibaliser ses propres fondations : Microsoft reste prudemment vague sur le contenu réel d�Office Live, soucieux de préserver sa mainmise sur la bureautique, et Google ne semble guère vouloir pour l�instant s�aventurer au-delà du stade « Beta » de ses applications.

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