mercredi, août 30, 2006

Oracle le monopsone, ou encore : les excellentes retrouvailles de Larry et Tom ! (14.9.2005)

Episode Un (la menace fantôme) : Tom, le super-vendeur vedette d'Oracle depuis 1984, avait quitté la société en 1990 pour une année sabbatique laissant son mentor Larry se dépêtrer des pièges filandreux de la "créativité comptable" et du zèle exacerbé de la force commerciale d'Oracle (qui, d'ailleurs, faillirent emporter la société en 1991). En ces temps pré-Enron, il a heureusement suffi à Larry de s'isoler pour méditer dans son jardin japonais et réapparaître début 1992, plus Zen que jamais, pour reprendre victorieusement les rênes et retourner la situation.


Episode Deux (l'attaque des clones) : Entre temps, Tom le bien avisé avait pris la direction de Cayenne Systems, changé son nom en Gain Technology, et revendu le tout à Sybase - pas vraiment une société amie d'Oracle - pour une centaine de millions de dollars. Un an plus tard, Tom le bien enrichi fondait une nouvelle société avec Patricia House, une ancienne collègue d'Oracle qu'elle avait quitté - Oracle, bien sûr - pour accompagner l'IPO de Frame Technology. Siebel Systems naissait ainsi en 1993.


Tom et Patricia étaient partis sans argent du capital risque, bâtissant la société sur leurs propres fonds et ceux d'amis proches, comme par exemple Marc Benioff, lui-même ancien membre du premier cercle raréfié des (très) proches de Larry à Oracle, qui ne devait pas oublier la leçon lorsque quelques années plus tard il se lançait, également sur ses seuls fonds, dans Salesforce.com - "le" concurrent de Siebel Systems et, d'après certains analystes, le plus habiles des artisans de la perte de vitesse de la société de Tom !


Episode Trois : En 1996, l'année ou Siebel Systems réussit une des plus belles IPO de l'époque, le chiffre d'affaires s'élevait à $100m. L'année dernière, le chiffre d'affaires de Siebel Systems, dont on répète à l'envi que l'étoile se ternit, s'élevait quand même à plus d'un milliard trois cent millions de dollars ! Toutes les supputations vont bon train sur les réelles raisons de l'acquisition de Siebel par Oracle, mais finalement c'est comme dans un bon "space opera" à l'américaine : Larry ne contre-attaque-t-il pas aussi un peu Marc ("La Vengeance du Site" ?) en réintégrant Tom, de retour au bercail ?


Plus sérieusement, cette acquisition une fois remise dans la perspective de la succession rapide d'opérations menées tambour battant par Oracle (PeopleSoft acquiert JDE et Oracle acquiert PeopleSoft, TimesTen, ContexMedia, Collaxa, Oblix, ProfitLogic, Retek et j'en oublie sûrement) illustre la vision hégémonique de son Chief Mogul Officer : à la fin, il ne peut en rester qu'un !


Lorsque Larry avait expliqué, il y près de dix ans, avec la passion et l'arrogance dont il peut être coutumier, que l'industrie du logiciel se réduirait rapidement à un véritable oligopole (voire à un monopole : lui !), et que toutes les grandes entreprises ne s'approvisionneraient plus qu'auprès d'un très petit nombre de méga-fournisseurs - vraiment, vraiment petit : il pensait probablement à Oracle, SAP, IBM et Microsoft - les analystes attribuèrent ces déclarations à contre courant au caractère excessif du personnage.


Force est de constater que la "commoditization" du marché des applications d'entreprise est devenue depuis deux ou trois ans le dernier cliché des analystes et des investisseurs. Les uns proclament de la fin du progiciel en invoquant la dilution des applications d'entreprise dans les Services Web et le "on-demand computing" ; d'autres constatent que les profits financiers des très gros ne servent qu'au rachat des gros ; enfin tous annoncent que le marché des applications d'entreprises est de venu in-dus-tri-el et que l'on y constate, en bon Schumpeterien, les cycles qui sont familiers dans les industries bien établies, automobile, manufacturières etc. La consolidation se met alors imparablement en marche : À la fin, il ne peut en rester qu'un.


Si l'on pousse le raisonnement plus loin, on imagine alors une polarisation complète de l'industrie du logiciel/progiciel pour les grandes entreprises. Du point de vue des entreprises utilisatrices, elles font face à un monopole, ou à un oligopole constitué de quelques éditeurs - et c'est finalement bien ce que l'on a reproché à Microsoft en cour de justice aux USA et en Europe. Mais du point de vue de l'offre, la désertification des marchés cotés et l'appauvrissement en sociétés indépendantes de taille moyenne ne laissent alors aux petites sociétés innovantes d'autre alternative de croissance que l'acquisition par ce monopole. Du point de vue de l'offre logicielle, c'est donc l'inverse et Oracle, ou un des autres membre de cet oligopole restreint, est le seul avenir.
À la fin, il ne peut en rester qu'un : Oracle le monopsone. (14.9.2005)

Les premières expérimentations d'Oracle avec le modèle d'applications d'entreprises hébergées n'étaient pas convaincantes et, de plus, faisaient courir le risque de cannibalisation de ses canaux de vente habituels. En acquérant Siebel, Oracle hérite de l'application OnDemand CRM hébergée de Siebel Systems - elle-même réponse à l'indécent succès de Salesforce.com. Les intentions d'Oracle avec l'annonce de la suite "Fusion" sont donc bien conformes à la vision monopolistique exprimée par son CEO. Ce faisant, il réussit en même temps à se positionner comme l'aboutissement naturel de l'evolution des jeunes espèces de l'écosystème du logiciel - les vieilles, elles, cheminent vers le cimetière des éléphants, Computer Associates. Alors faudra-t-il prendre au sérieux la boutade qu'il lançait naguère :


À la fin, il ne peut en rester qu'un ?

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