Dimanche 06 août 2006
Time Warner, dont la fusion avec AOL début 2001 se révélera le signe avant-coureur de l’explosion de la « bulle Internet », subit aujourd’hui de plein fouet l’impact du tsunami de la banalisation du haut débit. Hier, Time Warner annonçait que les services et les logiciels d’AOL devenaient gratuits pour les abonnés (américains) haut débit. En prime, le courrier électronique, la messagerie instantanée, de la VoIP et une capacité de stockage jusqu’à 5Go sont désormais offerts à l’internaute, dans l’espoir de raviver une base installée en voie de décrépitude depuis quelques années.
Ce virage stratégique peut réellement être qualifié de phénoménal pour la société dont le « business model », inaltéré depuis sa création au début des années 1980, repose sur le « tout propriétaire » (« the walled garden » dit-on poétiquement dans les commentaires de la presse américaine). Bill von Meister, disparu en 1995, avait fondé The Source en 1979, le tout premier service en ligne, précurseur des bouleversements à venir ; après avoir frôlé la faillite un nombre de fois incalculable, The Source sera vendu en 1989 à Compuserve (lui-même créé en 1969). Sans se décourager, von Meister crée, en 1982, Control Video Corporation qui commercialise une console de jeux pour le tout nouvel Atari. La console permet de télécharger un jeu après paiement par carte de crédit : une nouveauté inédite à l’époque. Bell South contacte alors CVC pour développer une version hébergée pour les machines Apple et Commodore 64, qui viennent de sortir. Devant l’échec relatif du projet, la société change de nom, devient Quantum Computer Services, et ne retient du son « business model » que l’idée de services en ligne propriétaires qu’elle relance en 1985 sous le nom Q-link. Steve Case, qui a rejoint CVC en 1983, lance AppleLink pour le compte d’Apple Computer, puis PC-Link pour les détenteurs de l’IBM PC. En 1989, les services sont renommés America OnLine et Case devient CEO de la société en 1991, change à nouveau le nom de la société Quantum qui devient AOL et réussit son IPO sur le NASDAQ. Jusqu’à l’arrivée des premiers ISP en 1994, AOL fait la promotion des services en ligne face à GEnie de GE et Prodigy (une curieuse alliance entre CBS, IBM et Sears Roebuck un géant de la grande distribution) ; depuis 1992 et l’échec de négociations entre Microsoft et AOL, le géant de Redmond travaille à son offre propriétaire de services en ligne : MSN. De 1994 à 2000, AOL multiplie les acquisitions et les partenariats pour défendre sa position devant la déferlante des ISP et la concurrence de Microsoft. En particulier, AOL rachète en 1997 le réseau de Compuserve à Worldcom qui vient lui-même de racheter le vétéran des services en ligne, puis Netscape et ICQ en 1998. En janvier 2001, c’est l’apothéose : Time Warner et AOL fusionnent dans une transaction de 106 milliards de dollars.
Après avoir survécu avec un panache certain à la révolution des ISP et à la concurrence de Microsoft dans les années 1990, AOL souffrait depuis quelques années, bien sûr de l’indigestion financière de Time Warner après l’explosion de la bull qui suivit rapidement le rachat démentiel de janvier 2001, mais aussi, et surtout, de la diffusion du haut débit (ADSL) aux Etats-Unis. Cette banalisation précarise encore plus, s’il en était besoin, le modèle de services propriétaires qui fit les beaux jours de la société. Le déplacement du modèle économique de l’abonnement par celui des liens sponsorisés et des revenus publicitaires mettait dès lors AOL en panne de croissance là où YouTube, MySpace et Google « passaient le turbo ». En jetant l’éponge, Time Warner reconnaît que toute l’industrie des média et ses acteurs, quelles que soient leurs tailles, sont touchées par la révolution Internet et la réorientation massive des canaux de publicité vers le Web.
En France et en Europe certaines activités d’AOL seront cédées à 9 Telecom. Aujourd’hui, Time Warner annonce le licenciement de 5000 personnes dans cette restructuration massive qui clôt toute une époque dans l’histoire d’AOL. Steve Case lui-même avait appelé de ses vœux en décembre dernier la séparation d’AOL de Time Warner, témoignant du « loupé » dans la migration vers le haut débit que la société annonce aujourd’hui à son corps défendant. Il y a six mois, Case imaginait encore un avenir pour un AOL retrouvant son indépendance comme spécialiste de la voix sur IP (et l’enrichissant considérablement au passage comme nous avions tenté de le comprendre en détaillant le montage financier dans un précédent billet).
Time Warner se réveille-t-il trop tard ? Case arrivera-t-il à ses fins et relancera-t-il son rêve d’un AOL différent pour un siècle différent ? Ted Leonsis, président de la division AOL Audience Business, défend vigoureusement le choix de Time Warner dans son blog : « The strategy is right. Now we just have to execute. » dit-il…