vendredi, septembre 01, 2006

Consolidation en vue dans la SOA
Par Jean-Marie Chauvet
Mardi 17 janvier 2006

Les Services Web et le modèle des systèmes d’information qu’ils ont porté sur les fonts baptismaux, la SOA (Service Oriented Architecture) sont décidément bien difficiles à vendre. Les grands éditeurs de logiciels d’infrastructure qui s’étaient à peu près tous précipités pour rhabiller leurs serveurs d’application en « framework d’applications composites » et en « portail orienté services » semblent se heurter à une sérieuse résistance dans les grandes DSI.


Et pour cause. Formellement la proposition de la SOA est à proprement parler « révolutionnaire » : il s’agit d’un véritable modèle de l’urbanisation des systèmes d’information. À ce titre, elle est susceptible de remettre en cause la ou les architectures existantes du paysage informatique des grandes entreprises, souvent, on le sait, devenu au fil du temps un entrelacs hétérogène d’alluvions technologiques, charriées par les modes techniques et les états de l’art successifs et sédimentées en masses de codes et de structures de données impénétrables. Autant le « tout-service » prôné par l’orthodoxie SOA s’impose aujourd’hui pour des projets neufs, autant le rafistolage d’inspiration pragmatique et à moindre coût reste-t-il la voie souvent suivie au moment du passage au Web des applications métier.


Cet attrait des DSI pour la fonctionnalité de l’architecture SOA, mais sans les coûts qui lui sont attachés dans la perception prédominante, permit à une poignée de petits éditeurs indépendants, parfois novateurs, souvent pionniers de l’implémentation des standards et des protocoles complexes de la SOA, de s’infiltrer dans le territoire des applications d’entreprise pourtant laborieusement colonisé et, de ce fait d’autant plus jalousement surveillé, par les grands fournisseurs traditionnels comme IBM, Microsoft, BEA, Oracle, etc. Ces éditeurs proposent des solutions plus simples, souvent ponctuelles, pour vêtir bon marché les antiques carcasses applicatives des nouveaux atours du Web et des interactions en XML. Et, du dire même des entreprises, ça marche plutôt bien !


Les petits éditeurs ayant démontré leur agilité, mais trouvant ensuite quelque difficulté à croître et à multiplier les grands clients de référence, rapidement saturés qu’ils peuvent être par leurs premières et brillantes victoires, cherchent dès lors à se rapprocher des grands pour asseoir leur croissance. Il faut aussi dire qu’ils y sont poussés, plus cyniquement, par leurs actionnaires, des fonds d’investissement qui ont, pour beaucoup, abondamment investi dans ces jeunes pousses dans l’euphorie de la bulle Internet et dont la pugnacité est soudain ravivée par des perspectives de rapprochements industriels. Pour les gros éditeurs de progiciels, l’acquisition de ces acteurs innovants permet d’ajouter rapidement à leur offre la version « simple, pragmatique et bon marché », « hard discount » de la SOA.


Dernier exemple en date, annoncé fin décembre dernier : le rachat de Bowstreet par IBM. Bowstreet a, rappelons le, levé 135 millions de dollars depuis 1998. Pour qui se souvient des campagnes somptuaires de communication de Bowstreet dans les pages – alors innombrables, luxueuses et de papier glacé – des magazines Wired, Red Herring, Upside, The Industry Standard – de longues photos, d’un noir et blanc impeccable, de rues à l’architecture victorienne déserte, comme tirées d’épisodes inédits de Chapeau melon et bottes de cuir – la sobriété du communiqué (« IBM didn't disclose what it paid for the privately held Bowstreet ») rappelle encore combien la Roche Tarpéïenne reste proche du Capitole.


Pour 105 millions de dollars en numéraire, Mercury vient, de son côté, de s’emparer de Systinet, une startup fondée par des anciens de Netbeans passés par Sun, l’une des premières à avoir livré une implémentation solide des protocoles et des spécifications SOAP, WSDL et UDDI. Ici aussi, la société avait levé en 2002, à son dernier tour de table, plus de 21 millions de dollars auprès de Warburg Pincus qui était également son premier client (De là à soupçonner un contrat secrètement pignoratif entre le financier et la jeune pousse précurseur dans l’offshore en République Tchèque…).

Inattendu, Mercury Interactive vient troubler le jeu des acteurs traditionnels de la SOA. Oracle avait acheté Collaxa en 2004 sur le même sujet ; fin 2003 WebMethods avait acheté The Mind Electric, une jeune société à laquelle Systinet était souvent comparée à ses débuts, Dante Group et DataChannel dans un même mouvement ; l’été dernier BEA acquérait Plumtree (dont le concurrent direct, Epicentric avait été racheté en 2002 par Vignette). BEA avait suivi la même stratégie déjà, en 1998, avec l’acquisition de WebLogic pour le même prix d’ailleurs que celui de Plumtree, 200 millions de dollars. Les rumeurs vont bon train autour des quelques éditeurs encore indépendants comme Infarvio, Cape Clear et Intalio, qui vient de racheter FiveSight et propose la première implémentation Open Source de BPEL, la spécification standard en Business Process Management.


La consolidation en cours devrait donc profiter aux utilisateurs finaux en généralisant une vue plus réaliste des avantages et des difficultés de la mise en œuvre pratique de l’architecture SOA. À terme, elle ne devrait pas non plus remettre en cause l’ordre établi de l’écosystème des grands fournisseurs de progiciels d’entreprise.

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