Dimanche 02 juillet 2006
EMC vient tranquillement de débourser un peu plus de 2 milliards de dollars pour acquérir le spécialiste de la sécurité RSA. Dans les deux derniers mois, EMC a également acquis les sociétés Interlink Group, une des grandes SSII spécialisées sur les produits de Microsoft, Kashya, une startup israélienne dans le secteur de la réplication des données, et sa compatriote nLayers, spécialiste de la gestion de configuration (CMDB pour Configuration Management Database) puis ProActivity, un des leaders dans le domaine émergent du BPM (pour Business Process Management). Et ce ne sont que les effets récents de la boulimie de l’éditeur : on se rappelle du tiercé d’acquisitions réalisées en 2003 : Legato, Documentum et VMWare, ou bien encore de celle de Smarts, fin 2004.
Sous la direction énergique de Joe Tucci, qui, dans le passé, avait sorti Wang de la banqueroute et l’avait redressé, transformant le constructeur vétéran en société de services avant de le vendre avec profit à Getronics, EMC applique avec panache une stratégie sans faille de conquête de marché. Le nouvel acronyme symbolisant ce nouvel accès d’impérialisme sur les services informatiques des entreprises est ILM pour Information Lifecycle Management – la gestion du cycle de vie de l’information. Plongeant ses racines dans les systèmes et les logiciels de stockage et d’archivage de données, l’ILM cherche à étendre son emprise sur les flux de données, si possible depuis leur création même. D’où, pour EMC, la pertinence de rachats de spécialistes de la gestion de contenus (Documentum), de gestion de configuration (nLayers), de BPM (ProActivity) au-delà de ceux dans son secteur d’origine (Legato, Kashya, etc.). La sécurité et l’authentification dont l’importance est critique à chacune des étapes de la création et de la circulation de l’information deviennent alors des « briques » technologiques indispensables à EMC. Sans barguigner – l’éditeur paie un premium de 40% sur le prix de son acquisition – EMC s’empare donc du leader du secteur.
Dans les années qui viennent, le poids de l’ILM devrait croître dans les budgets des DSI. Il suffit de constater la charge croissante de la réglementation du monde des affaires, tant au plan juridique que financier – les contextes politique et économique encourageant cette tendance – de Bâle II à Sarbanes-Oxley, pour réaliser que l’ILM promet de devenir indispensable pour assurer développement et compétitivité dans un écosystème plus strict. Par exemple, lorsqu’une société est prise dans une tourmente légale, comme il s’en produit de plus en plus souvent aux Etats-Unis, il lui faut livrer immédiatement fichiers, archives, courriers électroniques, pages Web, etc. à la première injonction. Tous ces documents numériques constituent de plus en plus des preuves et leur destruction devient progressivement un délit. (C’est par des échanges de courriers électroniques indélicats qu’a éclaté l’affaire Frank Quattrone à CSFB. Et que dire de nos excellents « listings » nationaux chez Clearstream, où l’ILM se pratique encore au stylo et au « typex » !)
EMC a bien l’intention de se hisser au panthéon actuel des géants des applications d’entreprise. Aux Etats-Unis, ce type de mouvement de fond est de plus en plus l’objet de l’attention pointilleuse des autorités légales, qui soupçonnent inévitablement trust, monopole et cartel derrière les stratégies des grands éditeurs : Microsoft entretient un budget légal et juridique comparable à celui d’un petit pays et Oracle est un habitué des fusions hostiles débattues devant un juge. Il est à espérer qu’EMC pratique ce qu’il promeut et dispose d’un ILM parfaitement affûté. Peut-être en aura-t-il besoin à l’avenir !