vendredi, septembre 01, 2006

La débâcle de l'attribution des noms de domaine .eu

Mardi 15 août 2006
Comme beaucoup – le suffixe « .eu » est rapidement devenu le huitième plus populaire sur le Web – harcelé de courriers électroniques alarmistes rappelant la proximité de l’ouverture de la « sunrise period », je me suis naïvement précipité le 7 décembre dernier pour réserver l’extension .eu du nom de domaine (en .com) que nous utilisons déjà pour nos activités professionnelles.

Las ! Dans quoi m’engagé-je !

Première mauvaise surprise : renseignement pris auprès de notre hébergeur, la demande et la réservation du convoité nom de domaine en .eu nous coûte, pour un an, 97 Euros : près de dix fois plus que notre hébergement « .com » ! Motif (discutable) : frais que l’hébergeur engage pour notre compte pour se conformer à la procédure alambiquée imaginée par Eurid (http://www.eurid.eu/en/general/), basé en Belgique, pour l’attribution de ces noms de domaine.

Une fois réglé d’avance, il faut alors attendre patiemment qu’Eurid veuille bien enregistrer notre demande. Eurid est un organisme à but non lucratif mis en place par la Commission européenne, basé à Bruxelles et disposant de bureaux de représentation en Suède, en Italie et en République tchèque. Pendant la période dite « sunrise » les ayant droits légitimes (sociétés, institutions, détenteurs de marques etc.) ont l’opportunité de déposer leur demande. Au 7 avril 2006, s’est ouverte une seconde période dite poétiquement de « land rush » - on voir bien, hélas, l’analogie – ouverte à tous, premier arrivé, premier servi.

Deux mois plus tard, délesté donc de cette centaine d’euros, en vérifiant, une fois n’est pas coutume, la corbeille électronique du filtre anti-spam, quelle n’est pas ma surprise d’y découvrir un message isolé en provenance de Price Waterhouse Coopers, au nom de l’Eurid. Deuxième surprise, il contient une injonction comminatoire à envoyer dans le délai le plus bref, quelque part en Belgique, un KBis complet de la société et tout autre document asseyant la légitimité de l’entité juridique et légale mandant le domaine .eu. L’auditeur a été choisi comme « agent de validation » pour s’assurer de la bonne foi des quêteurs – pour des honoraires qui, n’en doutons pas, sont substantiels et leur permettant, au passage, de se constituer la plus complète et la plus actualisée des bases sur les sociétés européennes dont je ne doute pas un instant qu’ils trouveront des moyens « créatifs » de nous vendre ultérieurement l’accès et la consultation.

Suit alors une deuxième crise de furieuses activités sur les sites Infogreffe pour commander d’urgence le KBis à jour (5,50 Euros), d’attente dans la frustration alors que s’égrène le bref délai généreusement accordé par l’auditeur belge, d’expédition internationale par courrier des dits documents revêtus des nombreux tampons officiels (9 Euros environ), suivie d’un feu nourri de courriers électroniques, qui resteront sans réponse, pour obtenir au moins une forme d’accusé de réception.

Début août, soit après quand même six mois de silence radio absolu – au point même d’imaginer que toute cette procédure est un vaste canular – message électronique soudain de l’hébergeur :

« La demande pour votre nom de domaine .EU a bien été envoyée à l’Eurid et vos documents ont bien été reçus par Price Water House Coopers (Agent de Validation) le 20 février 2006 concernant votre demande pour le nom de domaine .EU.

L'Eurid a pris du retard sur le traitement des demandes reçues, il est cependant évident que dès que votre demande aura été examinée par les services de Price Water House Coopers vous serez notifié(e) de leur décision de refus ou acceptation par l'Eurid. »

Encourageantes nouvelles ! Est particulièrement apprécié le commentaire « il est cependant évident que dès que votre demande aura été examinée par les services de Price Water House Coopers vous serez notifié(e) de leur décision de refus ou acceptation par l'Eurid. »
On croit rêver ! Rien de moins évident, bien au contraire, comme on va le voir.

Quelques jours plus tard, comme si notre gesticulation agitée avait vaguement éveillé un souvenir diffus chez l’institution d’outre-Quiévrain, second message de notre hébergeur, d’un ton autrement triomphant, qu’on en juge :

« La demande pour votre nom de domaine .EU a bien été envoyée à l’Eurid.
Votre demande a été acceptée par l'Eurid. Votre domaine sera activé à expiration d’un délai de 45 jours suivant la réception du présent message.

Ce délai de 45 jours est fixé par l'Eurid afin de permettre à des tiers d'initier une procédure "ADR" contestant leur décision. »

Extraordinaire ! Après près de 8 mois et une somme d’argent – au montant faible mais considérable au regard de ce qui se fait pour l’obtention des noms de domaine – on nous annonce, sans recours possible, que l’attribution est enfin, dans la grande sagesse « euridienne », accordée – encore heureux ! – mais que, néanmoins, on laisse à tout le monde la possibilité de la contester pendant six semaines ! Je n’ose imaginer les arcanes des éventuelles procédures de résolution de contestation que les brillants et kafkaïens esprits d’Eurid ont certainement eu grand loisir de mettre au point. (Lire à ce sujet le sérieusement inquiétant http://domaine.blogspot.com/)

Histoire de nous rassurer, sans doute, la page d’accueil du site Web d’Eurid annonce simultanément :

« 24 Jul 2006
EURid, the non profit organisation operating the Internet top level domain .eu, has suspended 74 000 .eu domain names and has sued 400 registrars for breach of contract. This move was prompted by abusive behavior from a syndicate of registrars who have systematically acquired domain names with the obvious intent of selling them. In the domain name business this is called warehousing and is not permitted. »

Plus de 74.000 noms de domaine, nous avoue-t-on piteusement, ont été récupérés par des sociétés écran ou ad-hoc afin d’alimenter un marché noir de trafiquants qui les revendent à leur profit. John McCormac, qui dirige un annuaire de noms de domaine pour l’Irlande, rend compte, semaine après semaine, sur son blog de la débâcle complète de la procédure d’attribution. Il fut le premier à démontrer que ces fameux 74.000 noms étaient en réalité accordés à 400 boîtes postales hâtivement mises en vitrine par trois sociétés (Ovidio, Fausto, et Gabino – on se croirait à l’opéra) basées à Chypre, pour récupérer des termes d’usage fréquent – et donc très demandés comme nom de domaine. Sur d’autres sites, des blogs expliquent comment masquer une adresse américaine ou canadienne pour demander et obtenir un nom de domaine européen. Diane Wallis, membre du Parlement européen, sous-entendant ce que tout le monde soupçonne ouvertement maintenant, a exigé que soit mandatée une enquête sur l’attribution des noms de domaine en .eu, au motif de la présomption de fraude massive. La Commission va découvrir les finesses du stellionat, version Web !

Une fois de plus, l’Europe, si prompte à se draper de toutes les vertus quand il s’agit de taxer Microsoft, de critiquer la mainmise des Etats-Unis sur le contrôle de l’Internet au dernier Sommet de l’information, et à invoquer Les Lumières pour défendre l’Open Source contre l’impérialisme inacceptable de la mondialisation libérale, fait la parfaite démonstration de son bureaucratisme inapte à prendre la mesure des questions auxquelles elle est confrontée…

Quant à nous, on attend ! Il est maintenant plus que probable que la date d’expiration de la réservation de ma demande initiale du 7 décembre dernier soit concomitante à celle de l’activation tant attendue du nom de domaine – s’il n’est pas contesté par d’honorables américains « offshore » établis aux Îles Cayman, se prétendant chypriotes de mémoire ancestrale. Il faut nous préparer à certainement repayer pour finalement, je l’espère, mettre en œuvre le domaine.

La confusion règne, surfez tranquilles !

ShareThis