vendredi, septembre 01, 2006

L'Afdel recrute ! par Jean-Marie Chauvet
Dimanche 05 février 2006

La première réunion de l’Afdel, l’Association française des éditeurs de logiciels, se tenait jeudi dernier, au Press Club dans une atmosphère nettement plus détendue que l’ambiance sécuritaire - Bill Gates et Microsoft obligeaient ! - qui avait présidé à l’annonce de sa naissance au Pavillon Gabriel il y a à peine quelques mois. Animé par Philippe Manière de l’Institut Montaigne, l’après midi permettait de se faire une bonne idée des travaux déjà accomplis par ses membres fondateurs (Dassault Systemes, GEAC, Staff & Line, Navidis, AIMS Software, Reportive, Berger-Levrault, Cegid, et… Microsoft) et des missions de l’association.

D’après sa présidente, Viviane Ribeiro, également présidente de GEAC France, la création de l’Afdel part du constat que le métier d’éditeur de logiciels est mal connu et souffre d’un manque d’intérêt du public et, surtout, de l’acheteur public. L’AFDEL se veut donc « une force de propositions juridiques, fiscales, entre autres, visant à faire reconnaître la profession », un peu sur le modèle de Croissance Plus avec laquelle elle a déjà tissé des liens. Collision des dates anniversaires : il y a exactement trente ans, le 3 février 1976, le même Bill Gates faisait paraître sa « Lettre ouverte aux amateurs éclairés (hobbyists) » adressée à la communauté des amateurs du mythique Homebrew Computer Club. Chargé d’émotion, c’est là véritablement un des premiers plaidoyers – nonobstant le constat de l’Afdel – pour la « professionnalisation » et l’industrialisation de la production de logiciels. Et une attaque virulente contre ceux qu’il assimile à des pirates :

« Il y a presque un an, Paul Allen et moi, anticipant une expansion du marché de l’amateur, avons recruté Monte Davidoff et commencé à développer le BASIC de l’Altaïr. Bien que le travail initial n’ait duré que deux mois, nous avons tous les trois passé le plus clair de l’année dernière à documenter, à améliorer et à enrichir BASIC. Aujourd’hui, nous avons les BASIC, 4K, 8K, EXTENDED, ROM et DISK. La valeur du temps d’ordinateur que nous avons employé dépasse 40.000 dollars.

Le feedback que nous avons reçu des centaines de personnes qui disent utiliser BASIC est positif. Cependant deux surprises sont apparues :
1) la majorité de ces utilisateurs n’ont pas acheté BASIC (moins de 10 % des propriétaires d’Altaïr ont acheté BASIC)
et 2) le montant des royalties que nous avons reçu des ventes aux amateurs valorise le temps passé à développer le BASIC de l’Altaïr à moins de 2 dollars l’heure.

Pourquoi est-ce le cas ? La plupart des amateurs doivent en être conscients : vous volez les logiciels. Le matériel doit être acheté, mais, dites vous, le logiciel doit être partagé. Qui se soucie de rémunérer les gens qui l’ont développé ? »

(ma traduction libre, lire l’original à http://www.digibarn.com/collections/newsletters/homebrew/V2_01/gatesletter.html)

Lancinante complainte qui résonne encore étrangement aujourd’hui, amplifiée par l’hyper-développement d’Internet, à l’époque des débats français sur le projet de loi DAVDSI et des poursuites judiciaires américaines des associations MPAA et RIAA contre les réseaux de pair à pair. Replacée dans le contexte de l’époque – pour ceux que les premiers cheveux blancs n’empêchent pas de continuer à se passionner pour la haute technologie – le ton polémique et émotionnel de la lettre était salutaire : tous sans exception nous pensions qu’une fois acheté un disque dur tout ce qui s’y trouvait nous appartenait. L’idée même de payer pour du logiciel n’avait littéralement aucun sens. Trente ans plus tard, les mêmes questions agitent le microcosme parisien…

Je suis tiré de ces ratiocinations par le sémillant Bernard Charles qui ouvre les débats par une présentation dont le titre, « éditeur de logiciels par passion », est en lui-même un programme et un mot d’ordre ! De retour de Davos (tiens lui aussi, comme Lakshmi Mittal ?) il engage l’industrie française du logiciel à entrer de plain-pied dans un monde « globalisé » en profond changement. Il prophétise des modifications radicales des canaux de distribution et de rémunération du logiciel et fustige la culture « business » à la française qui ne reconnaît « ni le succès, ni l’échec d’ailleurs ».

Il faut dit-il, « ne plus se contenter d’être au milieu » sous peine de courir le risque de disparaître. Au passage il annonce, paternaliste, une initiative du géant de la 3D pour une « organisation intelligente des ressources gratuites », qui voit la mise à disposition d’ingénieurs de Dassault Systèmes chez de plus petits éditeurs de logiciels pour porter la bonne parole et les « best practices ». En exergue, la récente acquisition de Virtools, éditeur français, trouvé « par hasard » à Paris (c’est gentil pour leur marcom !), alors que le géant est aussi en veille et présent dans les pôles innovants en Inde, à Singapour et aux Etats-Unis !

Triste retour au monde réel après ces envolées lyriques : la démonstration Virtools rame comme jamais et la nouvelle vidéo publicitaire pour les logiciels « passionnés » de l’éditeur est massacrée par un énorme rectangle noir, trace laissée par un scan anti-virus déclenché inopinément ! Peu importe, Bernard Charles conclut en annonçant le proche déménagement du siège social de Dassault Systèmes sur un superbe campus, modernité de béton et de verre flottant dans la verdure à Velizy. Irrésistiblement, devant la maquette virtuelle du nouveau campus construite évidemment avec les logiciels maison, je pense aux hectares forestiers abritant le campus de Microsoft du côté de Seattle.

D’ailleurs, mon voisin de gauche, nouveau CEO d’une jeune pousse après un an sabbatique à la voile autour du monde, brutale transition suivant une dizaine d’années dans le capital risque, et ancien manager de Dassault Systèmes, se penche, l'air mystérieux, pour me glisser à l’oreille, en désignant Bernard Charles : « j’étais avec lui, c’était en novembre 1987, un vendredi ; nous étions chez Boeing et il m’a demandé à aller voir Bill Gates en passant ; j’arrive à joindre sa secrétaire et nous voilà partis en voiture ; pendant une demi-heure, nous avons erré, perdus et emerveillés sur ce campus avant de trouver notre chemin vers les bâtiments ultra-modernes ; ça l’a marqué ! ».

Mon voisin de droite lui, ricane. Responsable des transferts de technologie et de l’essaimage d’un grand institut national de recherche français, son « campus » est une ancienne base militaire de l’OTAN dans la banlieue de Paris, aux casemates maintenant enserrées dans un dense réseau d’autoroutes et de voies express. De toute manière, il a passé la conférence à lire et à répondre à son courrier électronique sur son laptop, s’interrompant de temps à autre pour me demander le nom des orateurs. Et puis il ne voit pas l’intérêt du dispositif, puisqu’il y a déjà le Syntec, alors...

Suivent des présentations d’un économiste et d’un représentant de McKinsey, tous deux consultants, l’un commentant quelques chiffres, l’autre déchiffrant quelques tendances. Au premier coup d’œil, il y aurait, d’après les statistiques de l'INSEE, 3000 éditeurs de logiciels en France regroupant 35000 salariés. En moyenne 35% y font de la recherche-développement, un taux évidemment très élevé comparé à la moyenne des entreprises françaises (moins cependant que chez les géants de l’industrie pharmaceutique).

Mais ces chiffres sont nécessairement inexacts, nous informe-t-on, les codes APE n’étant probablement pas les meilleurs indices de l’activité réelle dans ces secteurs. (Ce qui tend à confirmer le constat du début : si la puissance publique n’est pas capable de classer correctement et de recenser cette activité, c’est bien qu’il y a une certaine forme de méconnaissance de la profession.) Quels sont les chantiers, les questions et les défis du jour :

• La question de « l’hybridation » logiciels libres/logiciels propriétaires, surtout dans le cadre de la commande publique ; à ce sujet la position de Bernard Charles a un peu évolué depuis son discours inaugural du Pavillon Gabriel : « les brevets, certains jours je ne les souhaite pas » a-t-il avoué jeudi dernier dans un désarmant sourire – en tout cas, on ne peut que souscrire à sont point de vue que le débat sur la propriété intellectuelle des logiciels en Europe est devenu par trop manichéen.

• La R&D comme facteur de localisation (et de relocalisation) des emplois en France, contrant les effets de l’offshore.

• La France a un taux très élevé de piratage des logiciels !

• Le taux de « fécondité » de l’industrie : la France manque de startups comparé aux autres économies (on nous ressert d’ailleurs le plat réchauffé de « l’accès au capital » difficile des jeunes pousses, alors que là n’est pas le problème : l’accès est facile – entrepreneurs, téléphonez moi ! – ce sont les investisseurs dans les fonds qui délaissent le private equity et, en particulier, ce qu’on appelle l’early stage, asséchant en amont le financement).

• Mais le taux de « mortalité » est également élevé, en Europe comme ailleurs. Les barrières de $500m et de $1bn de chiffre d’affaires annuel sont rarement franchies : sur 20 éditeurs seulement dans le monde dont le CA dépasse le milliard de dollars, 13 sont américains et 3 sont européens (je suis curieux de savoir qui sont les quatre autres).

• L’industrie en général est en phase de maturation, avec la perspective de consolidations accélérées (prime au leader).

Mais le ton était curieusement plutôt optimiste, l’Europe, largement distancée par les Etats-Unis et maintenant par l’Inde, peut imaginer revenir dans la course. Car, dit McKinsey, c’est une industrie où l’impact du CEO et des talents individuels est bien plus important et critique que dans d’autres (cf., de mon point de vue, le génial Steve Jobs, l’exemplaire Bill Gates, l’insupportable Larry Ellison, l’exemplaire Bernard Liautaud, le passionné Bernard Charles, etc.).

Même si le vivier de ces personnalités est plus étroit en Europe, certains des entrepreneurs-managers ont été formés à l’école américaine, précisément chez ces géants du logiciel qui nous font défaut de ce côté de l’Atlantique. Compte tenu de la croissance des développements informatiques internes dans les grandes entreprises (+42% entre 1998 et 2003), une des pistes proposées consisterait peut-être à essaimer ces champions informatiques industriels « internes » en éditeurs indépendants, s’adressant du coup à tout un secteur industriel et plus uniquement à un seul de ses acteurs. (Encore faut-il imaginer un avenir à l’industrie européenne…)

Quoi qu’il en soit le programme de l’Afdel pour 2006 est défini, les commissions (Métier, International, Propriété intellectuelle) sont au travail, les premières propositions devraient voir le jour cette année, et l’enthousiasme de son porte parole, le Directeur général de Staff and Line, Jamal Labed est décidément communicatif.

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