vendredi, septembre 01, 2006

Le choix de l'entrepreneur : indépendance ou Google ? (4.12.2005)

Dans un précédent billet, j'avais étayé l'idée qu'Oracle était peut-être en train de devenir le consolidateur de facto des éditeurs de progiciels et d'applications d'entreprise par le comportement boulimique du géant de Redwood Shores, qui venait d'avaler Siebel Systems, Peoplesoft et Retek en quelques mois à peine. Entre temps, l'éditeur a poursuivi ses emplettes, avec, en particulier, le rachat très commenté du finlandais InnoDB qui fournit un coeur de technologies au grand concurrent du monde du libre, MySQL. Qui plus est, son CEO, Larry Ellison a été mis à l'amende (122 millions de dollars ! rien que ça) pour quelques opérations de marché indélicates en janvier 2001. L'idée de la consolidation inévitable n'est d'ailleurs pas nouvelle : depuis quelques années les analystes financiers expliquent que l'industrie du logiciel d'entreprise commençait à montrer les signes d'une maturité comparable à celles d'autres industries traditionnelles comme celles de l'automobile, par exemple.


Dans le même esprit, Google est peut-être en train de couper l'herbe sous le pied d'Oracle et, au grand détriment du venture capital, de rafler les jeunes pousses les plus intéressantes avant même qu'elles ne parviennent à trouver leur financement auprès des investisseurs financiers. Depuis ses premières acquisitions en 2003, Google a racheté une douzaine de sociétés très jeunes, juste après et parfois avant même leur première levée de fonds. On imagine facilement l'offre que la startup "ne peut pas refuser" : venez travailler pour nous (campus hyper-cool), recevez quelques actions NASDAQ:GOOG au passage (un phénoménal 419 dollars le titre à l'heure ou ces lignes sont écrites !), et voyez du jour au lendemain votre idée géniale exposée au yeux d'un demi-milliard d'utilisateurs ! Kaltix qui venait à peine d'être constituée sur le campus de Stanford, Where2, dont le produit, affiné, est à l'origine du nouveau service Google Local, Android et quelques autres n'ont pas réfléchi à deux fois avant de plonger.


Google avait déjà remplacé IBM, puis récemment Microsoft, au palmares des sociétés innovantes qui embauchaient visionnaires, stars, personnalités estimées et gourous de l'industrie à tour de bras. Eric Schmidt, Adam Bosworth (ex chef architecte de BEA), même Vinton Cerf, père spirituel d'Internet, travaillent tous pour Google maintenant. À l'autre extrémité du spectre, les aspirant à la célébrité, les jeunes entrepreneurs passionnés de nouvelles idées voient aujourd'hui en Google (et pour être juste aussi dans Yahoo!) un meilleur écosystème que celui des circuits traditionnels du financement de l'innovation.


Ce faisant, Google ne concurrence pas vraiment le venture capital qui, au final, n'est qu'un outil financier de croissance pour les entrepreneurs, mais tente de se substituer à l'écosystème précédent, celui des introductions en Bourse et des marchés, devenu précaire et, dans la période 2000-2003 de "la bulle Internet" carrément défaillant. Le chemin de la croissance d'une jeune pousse, dans quelque domaine que ce soit, est comme un certain autre plaisantait "droit mais la pente est raide". La "gratification instantanée" d'un rachat immédiat par l'un ou l'autre des titans qui occupent le devant de la scène aux plans techonologique, économique et financier paraît en comparaison tellement plus tentante...


Les cas Oracle et Google, à supposer que ces mouvements persistent et s'amplifient - mais si les marchés restent globalement réticents aux éditeurs de logiciels (ne parlons pas de l'Europe !), rien ne permet de supposer le contraire aujourd'hui -, mênent inéluctablement à se poser la question : quelles sont, aujourd'hui, les perspectives réelles pour la création d'éditeurs indépendants de logiciel ? Ignorant un instant la réponse gesticulatoire et convenue apportée en séance il y a quelques semaines à Paris sous les auspices de Microsoft, de Cegid et de Dassault Systèmes, force nous est de constater que l'entrepreneur, même américain et même dans la Silicon Valley, choisit rapidement son camp.


Il y a fort à parier que ce nouveau front ouvert dans la guerre au sommet que mênent les uns contre les autres Yahoo! et Google - du propre aveu de Yahoo! rapporté par John Battelle, l'auteur du livre de référence sur Google, dans son blog - auxquels il faudrait rajouter Microsoft, Oracle et quelques autres, est de nature à modifier profondément le paysage "culturel" et industriel dans lesquels éclosent les nouvelles entreprises et les entrepreneurs du logiciel. Paradoxalement, c'est peut-être dans le monde du logiciel libre, posé comme en opposition à l'industrie, qu'à l'avenir seront le mieux préservées les valeurs anciennes qui, précisément, ont animé l'industrie, alors naissante, du logiciel.

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