vendredi, septembre 01, 2006

Open Source et logiciel libre continuent à faire débat

Mardi 01 août 2006
Comme le mettaient en avant les présentations à OSCON, la conférence O'Reilly annuelle sur l'Open Source, tenue la semaine dernière à Portland, les secteurs de l’Open Source et du logiciel libre sont récemment revenus au centre de stratégies actives de fusion-acquisition déployées par les grands éditeurs de logiciels d’entreprise. En avril dernier, par exemple, Red Hat achetait JBoss – éditeur du serveur d’applications Open Source éponyme – pour un montant d’environ $420m. Les manœuvres prédatrices d’Oracle autour de l’éditeur de bases de données Open Source MySQL, entamées avec l’acquisition du finlandais Innobase, qui fournissait un moteur de base de données au suédois MySQL, renforcent l’opinion généralement répandue que MySQL est la prochaine cible dans ce phénomène « d’endiguement » de l’Open Source par le secteur historique de l’informatique d’entreprise.

Il faut également évoquer l’hésitation de Microsoft, sensible depuis dix huit mois, entre attitude franchement hostile à l’Open Source et au logiciel libre – Steve Ballmer se déplace en personne en Europe, par exemple, pour défendre pied à pied les logiciels de Redmond contre le zèle croissant des gouvernements et des administrations européennes à se convertir au logiciel libre – et ouverture mesurée (avec Shared Source Initiative). Notons également les concessions accordées par Microsoft à la communauté avec le soutien du bout des lèvres au format Open Document Format. Ces décisions et ces repentirs du géant du logiciel d’entreprise sont d’autant plus intéressants que, comme ceux d’un Oracle ou d’un BEA, ils témoignent d’une recherche sincère d’un modèle économique du logiciel, et des applications d’entreprise en particulier, pour une industrie cisaillée entre les effets rémanents de l’indigestion de progiciels des années 1990, qui a entraîné une réduction et une fragmentation drastique des budgets informatiques des entreprises, et le formidable bouleversement provoqué par le Web et l’Internet dans toute l’économie du développement et du déploiement des logiciels.

L’économiste Yochai Benkler, que nous avons déjà abondamment cité dans cette tribune, tente de théoriser cette évolution dans son dernier ouvrage, The Wealth of Networks. D’après lui, le phénomène Open Source annonce la mise en place de grands systèmes de « production sociale » décentralisés mais, contrairement aux systèmes traditionnels et historiques, ne dépendant pas d’un mécanisme de prix ou d’une structure de management pour leur coordination. Une forme inédite, intermédiaire entre marché et entreprise, que l’auteur nomme « commons-based peer production » (production communautaire d’égal à égal). Laissant de côté le débat sur le fond, qui verrait dans cette proposition une tentative d’importation d’idées socialistes et marxistes de la fin du XIXe siècle dans l’analyse économique de l’industrie informatique d’aujourd’hui, certains observateurs réagissent à l’esquisse théorique de Benkler en contestant précisément la pérennité de cette place intermédiaire qu’occuperait l’Open Source.

Nicholas Carr, par exemple, l’auteur du très polémique Does IT Matter? (« À quoi servent les technologies de l’information ? », livre dans lequel l’auteur conteste les bénéfices économiques supposés de l’informatique d’entreprise), est prompt à faire remarquer que, d’une part, des considérations salariales commencent à voir le jour dans de nombreux projets Open Source et que, d’autre part, beaucoup de projets libres affichent, parfois même dès leur création, des structures de management qui n’ont rien à envier à celles des entreprises à proprement parler. Carr illustre ses remarques de l’exemple de Weblogs, une des premières sociétés à avoir mis en place une rémunération de ses bloggers et acquise depuis par AOL. Carr pointe aussi du doigt les contorsions de la politique éditoriale de Wikipedia depuis que les abus de son site ont été rendus publics et largement commentés, avec maintenant une politique de gestion plus stricte. Et, de fait, pourquoi des grands acteurs du secteur traditionnel se bousculent-ils pour racheter ces projets Open Source et logiciel libre, si ce n’est parce qu’éduqués par une existence entièrement vécue dans un système de marché ils pensent pouvoir précisément pallier un gouvernement d’entreprise inexistant ou à peine frémissant dans ces communautés.

Lorsque l’argent, du capital-risque ou de l’acquéreur industriel, se met à couler à flots sur les communautés Open Source et logiciel libre, celui-ci n’est-il pas le catalyseur d’une dénaturation profonde du projet et, au fond, la cause même de sa disparition annoncée ? Le débat théorique reste ouvert et l’industrie est actuellement son meilleur champ d’expérience !

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