dimanche, avril 08, 2007

Tapis Rouge pour le financement de l'innovation

Tapis rouge pour l'investissement dans les startups innovantes jeudi dernier à Paris ! Tout à fait dans l'esprit du lieu, situé en face de la mairie du Xe arrondissement de Paris, l'espace « Tapis Rouge » renvoie historiquement au premier « grand magasin de nouveautés » établi dans la capitale en 1784... Et des nouveautés il y en avait en devanture à ces journées Capital IT de rencontres entre investisseurs et entreprises innovantes : biotechnologie, informatique, développement durables, énergie, télécommunications, santé... de nombreuses équipes se sont succédées sur l'estrade prouvant s'il en était besoin la vitalité des projets de startups en France.

Mais le tableau de l'écosystème français de l'innovation et, en particulier, de la niche écologique « jeunes entreprises innovantes » est pour le moins contrasté. Premier constat : peu de gens finalement dans la salle pour écouter ces présentations et celles d'invités prestigieux comme Bernard Charlès, le dirigeant de Dassault Systèmes. Deux pistes possibles d'explication : le désintérêt marqué en France des investisseurs, institutionnels en particulier, pour le capital risque entendu dans le sens de la prise de risque au côté des entreprises à capitaux privés et en démarrage, d'une part ; le curieux dispositif d'inscription à cet événement, et à d'autres d'ailleurs du même genre, où il est demandé de se classer dans une des catégories « entrepreneur », « business angel », « investisseur » - cette dernière se déclinant également sous les rubriques seed investor, incubateur, capital risque, capital développement etc. - d'autre part.

Au Tapis Rouge, on se félicitait abondamment et l'on s'autocongratulait dans les couloirs : en effet les investissements des fonds de capital-risque dans les sociétés françaises du secteur Internet, télécoms et logiciels ont augmenté de 27,7 % sur un an au premier trimestre 2007. Selon l'indicateur du Journal du Net, le montant des opérations s'établit sur les trois premiers mois de l'année 2007 à 104,62 millions d'euros, contre 81,9 millions il y a un an. Un chiffre également bien supérieur à la somme des opérations réalisées sur le dernier trimestre 2006. Et dire que malgré cela, une étude du cabinet d'avocats international Simmons et Simmons et de la Société Générale Corporate Investment Banking, montrait que la France ne se plaçait au cinquième rang des pays où une croissance de l'activité était attendue dans le secteur du private equity en 2007 (après la Chine, l'Allemagne, l'Europe Centrale et l'Europe de l'Est) et hors Etats-Unis - 5,8 milliards de dollars investis au dernier trimestre 2006, pour remettre en perspective.

Quant au travers de la classification forcenée et de ses diverses manifestations pathologiques : établissement de listes noires, blanches, protégées ; fragmentation en pôles, de compétitivité, de compétitivité mondiaux, de compétitivité à vocation mondiale ; étiquetage fébrile des bureaucrates, label FCPI ANVAR, JEI, micro-entreprise, gazelle, il est devenu caractéristique de la politique publique d'encouragement à l'innovation depuis maintenant dix ans. À chaque nouveau ministre, nouveaux labels, nouvelles initiatives et nouvelle redistribution des (mêmes) cartes. L'Etat, dans une démarche d'inspiration napoléonienne sans doute, centralise, classe, qualifie, catégorise et établit la hiérarchisation du dendogramme du système français de l'innovation.

Dernière illustration en date : « en France, on manque de gazelles parce qu'on est à court d'investisseurs providentiels » nous a-t-on expliqué début 2006, au plus haut niveau : Ministère des finances et Présidence de la République. Traduction : si la mortalité des très jeunes entreprises est très élevée en France, c'est sûrement parce qu'elles n'intéressent personne chez les investisseurs en capital, dont c'est pourtant le métier, et que les individus fortunés qui pourraient éventuellement s'y substituer, comme c'est le cas aux États-Unis, ont depuis longtemps déserté à Gstaad ou ailleurs, traîtres et déserteurs, une fiscalité qu'ils jugent punitive. Qu'à cela ne tienne ! La puissance publique décrète une nouvelle dotation de deux milliards d'euros à nos grandes agences publiques, à l'OSEO et à la Caisse des Dépôts pour se substituer à cette inadmissible défaillance bien soudainement constatée. Comme naguère à propos de l'AII, il est permis de se demander si le dirigisme est vraiment une bonne inspiration pour préserver la richesse des circuits de rencontres et de financement de l'innovation.

C'était d'ailleurs tout le sens de l'intervention de Bernard Charlès, le sémillant dirigeant de Dassault Systèmes, l'un des très rares poids lourds mondiaux du logiciel d'origine française - avec l'autre Bernard, Liautaud de Business Object. Son enthousiasme pour les nouvelles technologies, surtout pour celles de conception virtuelle de produits dont Dassault Systèmes est le champion, qu'il illustrait brillamment avec la reconstitution complète du chantier virtuel de la construction de la pyramide de Khéops réalisée par ses équipes pour valider les hypothèses de l'archéologue Jean-Pierre Houdin sur le processus d'édification des grandes pyramides d'Egypte, faisait plaisir à voir et offrait un contrepoint à l'apathie de l'audience. (Précipitez-vous sur le site 3ds.com pour découvrir cette saisissante visualisation, réalisée avec la technologie Virtools, une startup française acquise par le géant il y a plus d'un an.) Tout produit, nous dit-il, peut maintenant être entièrement conçu virtuellement, en collaboration avec des équipes réparties aux quatre coins du monde, testé, validé, exploré sous toutes ses formes avant de passer directement à la fabrication. Mieux que « Second Life », Bernard Charlès a l'ambition d'outiller la « First Life » ! Et les talents pour le faire, comme Virtools, existent en France et en Europe nous assure-t-il ; il s'agit simplement de préserver les conditions de l'épanouissement de ces talents. C'est pourquoi Bernard Charlès plaide en faveur d'un Small Business Act en France (une mesure mise en place depuis 1953 aux États-Unis imposant, entre autres, aux appels d'offres gouvernementaux de prendre systématiquement en compte les PME). C'est aussi la raison pour laquelle Dassault Systèmes a mis en place un programme d'assistance aux jeunes entreprises, visant à partager avec elles les savoir-faire et les bonnes pratiques acquises par le « grand frère » dans sa stratégie de développement.

Une « to do list » plus pressante que le discours lénifiant qui suivit de Julie Meyer, starlette de la Bulle Internet avec l'organisation des First Tuesday, qui voit en Europe les « prochains Google », suite naturelle, selon elle, des succès typiquement européens comme Skype. Un bon signe ? Il y aurait même, d'après Julie Meyer, moue mutine, des serial entrepreneurs américains - rendez-vous compte ! - qui viendraient en Europe créer leur nouvelle startup ! Entre South Kensington et Notting Hill, sans doute...

Restait ensuite à nos entrepreneurs, sélectionnés comme les grands crûs, à plancher hésitants devant l'audience perplexe : de quoi se réconcilier avec les jeunes entreprises innovantes, enfin !

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